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23/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18361

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2005, 18361


Tribunal administratif N° 18361 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 23 février 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée X Horlogerie Sàrl, Luxembourg contre deux décisions de la Commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18361 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004 par Maître Héloïse BOCK,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la so...

Tribunal administratif N° 18361 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2004 Audience publique du 23 février 2005 Recours formé par la société à responsabilité limitée X Horlogerie Sàrl, Luxembourg contre deux décisions de la Commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18361 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004 par Maître Héloïse BOCK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée X Horlogerie Sàrl, établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la Commission nationale pour la protection des données du 27 février 2004 l’autorisant à enregistrer les points d’accès de son magasin sis à Luxembourg 105, avenue du X septembre sous la condition que « les données enregistrées devront être effacées toutes les semaines », ainsi que d’une décision confirmative de la même commission du 9 avril 2004, suite à un recours gracieux de la demanderesse du 12 mars 2004 ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Carlos CALVO, demeurant à Luxembourg, du 23 juillet 2004, portant signification dudit recours à la Commission nationale pour la protection des données, établie à L-4221 Esch/Alzette, 68, rue de Luxembourg, représentée par ses organes statutaires actuellement en fonctions ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2004 par Maître Laurent MOSAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour compte de la Commission nationale pour la protection des données ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 19 octobre 2004, portant signification dudit mémoire en réponse à la société à responsabilité limitée X Horlogerie Sàrl, en son domicile élu ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2004 au nom et pour compte de la partie demanderesse;

Vu la notification par acte d’avocat à avocat de ce mémoire en réplique à Maître Laurent MOSAR en date du 17 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 16 décembre 2004 au nom et pour compte de la Commission nationale pour la protection des données ;

Vu la notification par acte d’avocat à avocat de ce mémoire en duplique à Maître Héloïse BOCK en date du 15 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Héloïse BOCK et Jerry MOSAR, en remplacement de Maître Laurent MOSAR, en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 17 juin 2003, la société à responsabilité limitée X Horlogerie Sàrl, ci-

après dénommée « la société X », introduisit sur base de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, ci-

après dénommée « la loi de 2002 », auprès de la Commission nationale pour la protection des données, ci-après dénommée « la CNPD », une demande d’autorisation de surveillance par vidéo des points d’accès de son magasin sis à Luxembourg, 105, avenue du X septembre, en spécifiant notamment une durée de conservation des données sollicitée de six mois.

Sur demande de la CNPD du 2 septembre 2003, la société X compléta, suivant courrier du 16 septembre 2003, sa demande initiale par des informations supplémentaires tout en précisant baser ladite demande d’autorisation sur l’article 10 (1) c) de la loi de 2002.

Suite à un rappel du 17 février 2004, la CNPD fit parvenir en date du 27 février 2004 à la société X sa décision du même jour, référencée sous le numéro 5/2004, et dont le dispositif est conçu comme suit :

« La Commission nationale, réunissant ses trois membres effectifs et délibérant à l’unanimité des voix, se déclare compétente pour connaître de la demande d’autorisation présentée par la requérante au sujet du traitement à des fins de surveillance ;

reçoit la demande d’autorisation en la forme ;

au fond, la déclare fondée ;

partant, autorise la requérante à recourir au moyen de surveillance sollicité, selon les modalités précisées dans sa demande du 17 juin 2003, complétée en date du 16 septembre 2003, sous réserve de respecter les conditions suivantes :

- les caméras doivent être fixes - le traitement ne doit porter que sur des images à l’exclusion de tout enregistrement sonore - le champ de vision des caméras doit être limité dans toute la mesure du possible de façon :

 à ne pas déborder sur les lieux d’accès public ou sur des lieux d’accès privé mais qui ne sont pas exclusivement réservés au responsable du traitement,  ne pas être dirigé vers le lieu de travail des salariés (à l’intérieur du magasin), - les données enregistrées devront être effacées toutes les semaines ».

Concernant plus particulièrement la condition visant la durée de conservation des données, la CNPD, dans ladite décision s’exprima comme suit :

« J ) Durée de conservation des données La requérante a indiqué comme durée de conservation des données le délai de « Six mois ».

Une durée limitée de conservation de données constitue une garantie supplémentaire pour éviter d’éventuels détournements de finalité.

Les données personnelles enregistrées par une caméra doivent être effacées dans un délai particulièrement bref.

En effet, la constatation d’une infraction aura lieu dans la plupart des cas dans les heures qui suivent sa perpétration.

La Commission nationale estime dès lors qu’un délai d’une semaine apparaît suffisant en l’espèce au regard de la finalité poursuivie dans la mesure où aucune infraction n’est constatée dans ce délai ».

Par courrier recommandé du 12 mars 2004, la société X introduisit un recours gracieux à l’encontre de la prédite décision de la CNPD du 27 février 2004, recours qui a été de la teneur suivante :

« Messieurs, Je me réfère à votre délibération du 27 février 2004, par laquelle vous accordez à la société X Horlogerie S.àr.l. (la « Société »), l’autorisation de recourir à la vidéosurveillance sur base de l’article 10 de la loi du 10 août 2002, à certaines conditions.

Une de ces conditions est que les données enregistrées par caméra devront être effacées toutes les semaines.

Par la présente, je sollicite au nom et pour compte de la Société que cette durée soit portée à six mois, ainsi qu’indiqué dans la demande d’autorisation.

Cette demande est fondée sur des recommandations des autorités judiciaires.

En effet, ainsi que je l’avais indiqué précédemment le magasin a déjà fait l’objet de plusieurs cambriolages. Les autorités judiciaires qui ont enquêté m’ont indiqué qu’il était utile pour leur enquête d’avoir des informations et notamment des données issues de la vidéosurveillance.

Si le raisonnement de la Commission Nationale pour la Protection des Données en ce qui concerne le fait que la constatation d’une infraction est dans la plupart des cas rapide est exact, le but de la vidéosurveillance, n’est pas le constat de l’infraction mais l’utilité pour l’enquête judiciaire des données stockées dans la période qui a précédé l’infraction.

Les autorités judiciaires m’ont en effet indiqué qu’avant un cambriolage, les personnes faisaient généralement un repérage, en se faisant éventuellement passer pour des clients.

Ce qui intéresse dès lors les autorités judiciaires pour leur enquête est de pouvoir visionner les enregistrements des mois précédant l’infraction, afin de découvrir d’éventuels comportements suspects ou le cas échéant d’identifier une personne déjà connue de leurs services.

Les autorités judiciaires m’ont informé que les enregistrements devaient donc être conservés au moins six mois pour leur être d’une quelconque utilité dans leur enquête.

Dès lors, je vous saurais gré de prendre en considération ces éléments afin de modifier votre décision quant à la durée de conservation des données par vidéosurveillance ».

Suivant courrier du 9 avril 2004, la CNPD rejeta le recours gracieux comme n’étant pas fondé et confirma sa décision « en toutes ses dispositions et notamment en ce qui concerne la limitation de la durée de conservation des données à une semaine », en estimant notamment que :

« le législateur a voulu distinguer la portée des articles 10 et 17 de la loi.

L’article 10 visant les traitements à des fins de surveillance, l’article 17 visant les traitements à des fins de prévention et de répression.

Il en découle que la finalité actuellement invoquée n’est pas compatible avec la condition de légitimité invoquée, à savoir le traitement aux fins de surveillance du « lieu d’accès privé » de l’article 10, paragraphe 1), lettre c) de la loi ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2004, la société X a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation des décisions prévisées de la CNPD des 27 février et 9 avril 2004.

Etant donné que ni la loi de 2002, ni aucune autre disposition légale ne prévoient un recours de pleine juridiction en la matière, le recours en annulation, introduit dans les formes et délai de la loi, et d’ailleurs non autrement contesté à cet égard, est recevable.

A l’appui de son recours, la société X expose que la bijouterie exploitée par elle aurait été cambriolée à diverses reprises dans le passé et que l’installation d’une vidéosurveillance lui aurait été fortement suggérée par la police judiciaire qui lui aurait également conseillé de demander à ce que les enregistrements des caméras vidéo puissent être conservés pendant un délai de six mois, étant donné que « ce n’est pas le film de la constatation du cambriolage qui est le plus utile, mais les six mois précédant le cambriolage, ceci afin d’essayer d’identifier les personnes ayant pu faire du repérage pour la mise au point du cambriolage ». Dans ce contexte, elle estime que si l’installation de caméras n’est d’aucune utilité pour la police judiciaire, il serait inutile de faire les investissements nécessaires pour les caméras de vidéosurveillance.

La société X relève plus particulièrement que la décision de la CNPD du 27 février 2004 reposerait sur une interprétation erronée de l’article 10 de la loi de 2002, au motif que la CNPD, à un premier stade aurait reconnu légitime le traitement pour lequel l’autorisation a été demandée pour retenir ensuite, en vertu du principe de proportionnalité, qu’un délai d’une semaine serait suffisant au regard de la finalité poursuivie. Or, d’après la société X, l’effet utile de la surveillance ne serait pas seulement la constatation de l’infraction mais également les faits de reconnaissance en vue d’un cambriolage, faits qui se dérouleraient, d’après la police judiciaire, dans les six mois précédant le cambriolage et non pas dans la semaine précédant celui-ci. Il s’en suivrait que la CNPD enlèverait tout effet utile à la mesure de surveillance sollicitée et la durée de conservation des données enregistrées pourrait même être réduite à 48 heures, si son utilité serait uniquement la constatation de l’infraction.

Concernant plus particulièrement la décision confirmative de la CNPD du 9 avril 2004, la société X conteste que la finalité invoquée par elle dans le cadre de la demande d’autorisation ne serait pas compatible avec la condition de légitimité invoquée et critique encore la distinction mise en avant par la CNPD entre la finalité de l’article 10 et celle de l’article 17 de la loi de 2002, à savoir les traitements à des fins de surveillance, d’un côté, et les traitements à des fins de prévention et de répression, de l’autre côté, en soulignant que les données collectées dans le cadre d’une autorisation accordée sur base de l’article 10 de la loi de 2002, à savoir une activité de surveillance, peuvent être communiquées aux autorités publiques agissant dans le cadre de l’article 17.

Pour le surplus, la société X estime encore que le risque d’atteinte à la vie privée n’est pas plus élevé si les données sont conservées six mois au lieu d’une semaine, étant donné que la conservation des données se fera selon les moyens que la CNPD a jugés suffisants et le visionnage des données recueillies ne se fera que par la police judiciaire en cas d’infraction. Pour le surplus, même en admettant que le risque d’atteinte à la vie privée soit plus élevé en cas d’une durée de conservation des données plus longue, la finalité du traitement, à savoir l’arrestation des personnes qui commettent des infractions, justifierait une durée de conservation de six mois.

Dans son mémoire en réponse, la CNPD souligne en premier lieu que l’intention du législateur aurait été d’établir une balance entre les intérêts des responsables des traitements et les droits et libertés fondamentales des personnes concernées. Se basant plus particulièrement sur l’article 20 de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, la CNPD rappelle que la loi de 2002 a entendu soumettre à un examen préalable le traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance « au motif que ces traitements présentent des risques particuliers au regard des droits et des libertés des personnes concernées du fait de l’usage particulier d’une technologie nouvelle ».

Concernant la finalité de ce traitement, la CNPD relève que la demande initiale de la société X aurait été basée sur l’article 10 de la loi de 2002 visant le traitement à des fins de surveillance et que dans le cadre de son recours gracieux, celle-ci aurait fait état d’un enregistrement et d’un stockage des données en vue de les transférer à la police et aux autorités judiciaires, activités qui se situeraient dans le contexte de l’article 17 de la loi de 2002 qui prescrit que « les traitements d’ordre général nécessaires à la prévention, à la recherche et à la constatation des infractions pénales, doivent faire l’objet d’un règlement grand-ducal ». Partant, la société X dans son recours gracieux aurait fait état d’une finalité totalement différente de l’activité de surveillance initialement mise en avant, procédant de sorte à un changement de base légale.

Il s’en suivrait que la société X ne pourrait obtenir une autorisation de pouvoir enregistrer des données en vue de les transmettre aux autorités judiciaires et à la police sur base de l’article 10 de la loi de 2002. De même, la société X n’aurait aucune qualité pour invoquer l’article 17 de la loi de 2002, aux motifs qu’elle se substituerait aux autorités judiciaires et que toute autorisation sollicitée sur base dudit article 17 devrait de toute façon être précédée par l’entrée en vigueur d’un règlement grand-ducal.

Concernant plus particulièrement la durée de conservation des données, la CNPD est d’avis que toute conservation ne devrait être autorisée qu’à titre subsidiaire et tout à fait exceptionnellement et qu’un système de vidéosurveillance relèverait du champ d’applicabilité de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, que la recherche de preuves devrait être soumise aux conditions strictes du respect de la vie privée et que la durée de conservation des données devrait être proportionnelle par rapport à la finalité poursuivie, cette période devant par essence être très brève et articulée selon les caractéristiques spécifiques du cas en examen. Il s’en suivrait que le délai d’une semaine, tel que préconisé par la CNPD en l’espèce, serait conforme par rapport à la finalité poursuivie, étant entendu que dans le cadre de la transmission des données aux autorités judiciaires compétentes pour constater ou poursuivre une infraction pénale, la séquence où l’infraction est enregistrée ne ferait pas l’objet de l’obligation de destruction après une semaine.

Dans son mémoire en réplique, la société X conteste avoir procédé à un changement de base légale et réaffirme avoir basé sa demande uniquement sur l’article 10 de la loi de 2002 en invoquant comme finalité la surveillance de son magasin « afin de pouvoir, en cas d’infraction pénale, communiquer les données aux autorités judiciaires chargées de constater et de poursuivre de telles infractions ». Cette finalité ne relèverait pas de l’article 17 de la loi de 2002, loi qui prévoirait d’ailleurs expressément que les données collectées dans le cadre d’une activité de surveillance en vertu de l’article 10 puissent être communiquées aux autorités publiques agissant dans le cadre de l’article 17.

Il s’en suivrait que l’autorisation sollicitée ne viserait pas la recherche et la poursuite des infractions pénales, mais la surveillance des lieux et l’action préparatoire de l’infraction, à savoir le repérage des lieux, ferait partie intégrante de l’infraction commise quelques temps après. Or, comme la CNPD aurait accepté la finalité de ce traitement de surveillance, la durée de conservation des données ne relèverait pas d’une question de changement de finalité, mais d’une question de proportionnalité, à savoir le délai pendant lequel les données collectées peuvent être conservées. Partant, le reproche du défaut de qualité ne serait pas pertinent.

Concernant plus particulièrement la durée de conservation des données collectées, la société X, en se référant à l’article 4 (1) de la loi de 2002, estime que la durée de conservation de six mois sollicitée n’est pas excessive et ne viole partant pas le principe de proportionnalité, mais résulterait d’une recommandation des autorités judiciaires, durée qui serait nécessaire pour identifier les coupables d’éventuelles infractions au moment du repérage des lieux qui aurait lieu bien antérieurement à la semaine qui précède ledit cambriolage. Finalement, la société X estime encore que l’atteinte potentielle à la vie privée n’est pas plus importante si les données sont conservées six mois plutôt qu’une semaine, au motif que lesdites données ne seraient transmises à la police judiciaire que dans l’hypothèse de la commission d’une infraction pénale et que durant la période de conservation des données elles seraient déposées en chambre forte et ne seraient pas visionnées.

Dans son mémoire en duplique, la CNPD distingue à nouveau la portée des articles 10 et 17 de la loi de 2002, précisant que si l’article 10 (3) de la loi de 2002 prévoit la communication des données collectées à des fins de surveillance aux autorités publiques, cette disposition constituerait une exception et ne saurait permettre au responsable du traitement de conserver les données et de les utiliser aux fins décrites à l’article 17 de la loi de 2002, sous peine d’agir à l’encontre de la volonté du législateur.

Plus particulièrement, la CNPD estime que le fait de stocker des informations pendant une durée de six mois engendre « un grand risque d’atteinte physique à ces données par des tiers, c’est-à-dire sur le plan de la sécurisation des données, mais aussi par le responsable du traitement lui-même qui serait tenté d’en abuser en commettant un détournement de finalité ».

En relation avec le principe de proportionnalité, la CNPD souligne que « les dispositifs de surveillance ne peuvent être mis en place que sur base de subsidiarité, c’est-à-dire lorsqu’il existe des finalités justifiant effectivement le recours audit système » et que si une durée de conservation était nécessaire, il y aurait lieu de prévoir qu’elle soit aussi courte que possible.

Aux termes de l’article 10 de la loi de 2002 intitulé « Traitement à des fins de surveillance » :

(1) Le traitement à des fins de surveillance ne peut être effectué que : (…) c) aux lieux d’accès privé dont la personne physique ou morale y domiciliée est le responsable du traitement.(…) (3) Les données collectées à des fins de surveillance ne sont communiquées que :

a) si la personne concernée a donné son consentement sauf le cas interdit par la loi, ou, b) aux autorités publiques dans le cadre de l’article 17, paragraphe (1), ou c) aux autorités judiciaires compétentes pour constater ou poursuivre une infraction pénale et aux autorités judiciaires devant lesquelles un droit en justice est exercé ou défendu (…) ».

Il convient de souligner en premier lieu que la société X, dans son courrier explicatif du 16 septembre 2003, a clairement porté à la connaissance de la CNPD qu’elle base sa demande d’autorisation sur l’article 10 (1) c) de la loi de 2002, base légale qu’elle a encore une fois précisée dans le cadre de son recours gracieux du 12 mars 2004. De même, la société X, dans sa demande initiale du 17 juin 2003, a clairement indiqué que les données collectées seraient susceptibles d’être communiquées à la police et elle a encore précisé dans son courrier du 16 septembre 2003 qu’« en cas d’incident majeur, tel un hold-up p.ex., les données y relatives seront bien entendu transmises à la police et aux autorités judiciaires si cela est requis ». Pour le surplus, dans le cadre de son recours gracieux du 12 mars 2004, la société X a indiqué que « le but de la vidéosurveillance n’est pas le constat de l’infraction mais l’utilité pour l’enquête judiciaire des données stockées dans la période qui a précédé l’infraction ».

Partant, c’est à tort que la CNPD reproche à la société X un défaut de qualité pour invoquer l’article 17 de la loi de 2002 voire, dans le cadre de son recours gracieux, d’avoir procédé à un changement de base légale respectivement d’avoir invoqué une autre finalité, à savoir le traitement des données collectées à des fins de prévention et de répression. En effet, la demande est valablement et pertinemment située dans le cadre de l’article 10 (3) qui prévoit expressément sub. b) et c) que les données collectées à des fins de surveillance sont susceptibles d’être communiquées aux autorités publiques dans le cadre de l’article 17 paragraphe (1) respectivement aux autorités judiciaires compétentes pour constater ou poursuivre une infraction pénale et aux autorités judiciaires devant lesquelles un droit en justice est exercé ou défendu, de sorte que la société X s’est strictement tenue au cadre tracé par l’article 10 de la loi de 2002 et n’a pas modifié la finalité de sa demande d’autorisation dans le cadre de son recours gracieux.

Il s’ensuit que c’est également à tort que la CNPD estime que la société X ne peut pas demander une autorisation sur base de l’article 10 de la loi de 2002 en vue de transmettre des informations aux autorités judiciaires et de les conserver à cette fin, ledit article 10 prévoyant expressément cette possibilité de communication.

Concernant le désaccord des parties demanderesse et défenderesse par rapport à la durée de conservation des données collectées, étant relevé que la CNPD ne conteste pas le principe de l’installation du dispositif de surveillance, il convient de rappeler que, d’une part, la société X sollicite une durée de conservation de six mois suite aux conseils lui donnés par la police judiciaire, d’après laquelle l’effet utile de pareille surveillance ne viserait pas seulement la constatation de l’infraction mais également l’identification des personnes ayant pu faire du repérage pour la mise au point du cambriolage pendant une période de six mois précédent ledit cambriolage et que le délai d’une semaine préconisé par la CNPD enlèverait tout effet utile à la mesure de surveillance sollicitée, alors que, d’autre part, la CNPD estime que les données personnelles enregistrées par une caméra doivent être effacées dans un délai particulièrement bref pour éviter d’éventuels détournements de finalité, d’autant plus que la constatation d’une infraction a lieu dans la plupart des cas dans les heures qui suivent sa perpétration et que dès lors un délai d’une semaine est suffisant au regard de la finalité poursuivie, dans la mesure où aucune infraction n’est constatée dans ce délai.

Lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés (cf. Cour adm. 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 9 et autres références y citées).

Dans le cadre d’un recours en annulation, l’appréciation du caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis est limitée aux cas exceptionnels où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par cette autorité (cf. Cour adm. 18 juin 2002, n° 14771C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Recours en annulation, n° 13 et autres références y citées).

Il ressort de l’examen de la motivation à la base des décisions attaquées, de même que des développements au niveau de la phase contentieuse, que la CNPD semble avoir uniquement apprécié le délai de conservation des données enregistrées en relation avec les devoirs nécessaires à la constatation d’une infraction à la suite de la perpétration de celle-ci et qu’elle n’a pas tenu compte de la légitime revendication de la société X, suite aux recommandations non autrement contestées fournies à cette dernière par la police judiciaire, de conserver les données collectées en relation avec le délai nécessaire pour des cambrioleurs de repérer les lieux de leur cambriolage, précédant nécessairement la commission de pareille infraction.

S’il est exact que les risques d’atteinte à la vie privée sont d’autant plus importants que la durée de conservation des données est longue, cette pétition de principe ne saurait cependant empêcher la CNPD à examiner la demande d’autorisation de la société X dans sa globalité, et surtout en relation avec la motivation fournie à la base du délai de conservation des données sollicité. En effet, ni dans sa décision initiale, ni en cours des phases gracieuse et contentieuse, la CNPD n’a jugé utile de contredire l’affirmation de la société X, faisant sienne les recommandations de la police judiciaire, à savoir que le repérage d’une bijouterie susceptible d’être cambriolé se fait généralement dans les six mois précédant ledit cambriolage, de sorte que les décisions attaquées, en réduisant sans motivation apparente le délai de conservation des données collectées à une semaine, ne reposent pas sur une motivation valable par rapport aux finalités contenues dans la demande d’autorisation.

S’y ajoute que si le délai de six mois recommandé par la police judiciaire à la société X peut paraître très ou trop long, au vu des éléments d’appréciation lui soumis, le tribunal, même en tant que juge de la légalité se doit de relever que les préparatifs en vue du cambriolage d’une bijouterie, et plus particulièrement le repérage des lieux, ne se font pas seulement dans la semaine précédant ledit cambriolage, mais s’étalent sur une période nécessairement plus étendue, de sorte que la CNPD, dans la mesure où elle a limité la durée de conservation des données collectées à une semaine, a encore procédé à une limitation non proportionnée de l’autorisation requise et partant commis une erreur manifeste d’appréciation en relation avec les données et considérations lui soumises.

Il résulte des développements qui précèdent que les décisions attaquées encourent l’annulation dans la mesure où elles ont limité la durée de conservation des données collectées à une semaine, pour défaut de motivation adéquate et erreur manifeste d’appréciation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule les décisions de la Commission nationale pour la protection des données des 27 février et 9 avril 2004 dans la mesure où elles ont limité la durée de conservation des données collectées à une semaine ;

renvoie l’affaire en prosécution de cause devant la Commission nationale pour la protection des données ;

condamne la Commission nationale pour la protection des données aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 23 février 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18361
Date de la décision : 23/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-23;18361 ?

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