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21/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18947

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2005, 18947


Tribunal administratif N° 18947 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18947 du rôle, déposée le 7 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et Monsieur …, tou

s les deux de nationalité cap-verdienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation...

Tribunal administratif N° 18947 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 décembre 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par Madame … et Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18947 du rôle, déposée le 7 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … et Monsieur …, tous les deux de nationalité cap-verdienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion, sous-jacente à une décision de rétention administrative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prise à l’encontre de Monsieur … le 15 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 par le délégué du Gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 février 2005.

Par décision du 15 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration ordonna le placement de Monsieur …, de nationalité cap-verdienne, au centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière pour une durée maximum d'un mois.

Par requête déposée le 7 décembre 2004, inscrite sous le numéro 18946 du rôle, Madame … et Monsieur … ont introduit une requête en sursis à exécution par rapport à la décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion, sous-jacente à la décision de rétention administrative citée ci-avant prise à l’encontre de Monsieur … le 15 novembre 2004.

Par une ordonnance du 9 décembre 2004, le président du tribunal administratif a déclaré la demande de sursis à exécution non justifiée et en a débouté les demandeurs, mais en revanche a dit qu’il y a lieu à institution d’une mesure de sauvegarde et a autorisé Monsieur … à résider sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg en attendant que le tribunal administratif se soit prononcé sur le mérite du recours au fond.

Par requête déposée 7 décembre 2004, inscrite sous le numéro 18947 du rôle, Madame … et Monsieur … ont déposé une requête en annulation contre la décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion sous-jacente à la décision de rétention prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prise le 15 novembre 2004.

En premier lieu, le délégué du Gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours introduit, étant donné que l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 23 juillet 2002 pris à l’encontre de Monsieur … serait d’ores et déjà coulé en force de chose jugée.

Monsieur … répond que l’arrêté de refus d’entrée et de séjour du 23 juillet 2002 devrait être écarté dans la présente affaire, étant donné que ledit arrêté aurait implicitement mais nécessairement perdu ses effets en présence du nouveau visa délivré à Monsieur … en 2004 sur base de la Convention de Schengen.

Il ressort des pièces du dossier que Monsieur … a fait l’objet en date du 23 juillet 2002 d’une décision de refus d’entrée et de séjour. Pour le surplus il n’est pas contesté que Monsieur … est entré au courant du mois de juillet 2004 au Luxembourg avec un visa valable pour trois mois.

C’est à bon droit que les parties demanderesses font valoir que cette décision de refus d’entrée et de séjour datant de 2002 a perdu ses effets et qu’actuellement il appartient au tribunal d’analyser les circonstances de l’affaire telles qu’elles se sont présentées au moment de la décision litigieuse.

Même à admettre que Monsieur … se trouve sous le coup d’une décision de refus de séjour au pays coulée en force de chose décidée, il n’en reste pas moins qu’il peut exercer un recours contre la décision d’éloignement laquelle constitue un acte administratif distinct de la décision de refus de séjour.

De tout ce qui précède, il résulte que le recours en annulation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi introduit, est recevable.

L’unique moyen invoqué à l’encontre de la décision implicite de refoulement consiste à dire que celle-ci violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet les demandeurs se prévalent de l’existence d’une vie familiale et privée au sens de l’article 8 de la CEDH au moins depuis l’année 2001. Ils ajoutent que l’exécution de la décision litigieuse entraînerait inévitablement une rupture difficilement supportable, alors qu’il existerait des obstacles légitimes dans leur chef de s’installer et de mener une vie familiale ailleurs qu’au Luxembourg, en prenant en considération le fait que la majeure partie des membres de la famille des demandeurs résideraient au Luxembourg.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que les demandeurs ne seraient pas en droit de se prévaloir d’une vie familiale effective.

Il y a dès lors lieu d’examiner le moyen des demandeurs fondé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est, le cas échéant, de nature à tenir en échec la législation nationale.

La garantie du respect de la vie privée et familiale comporte des limites. En premier lieu, elle ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux. En second lieu, elle ne s’applique qu’à une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national.

En l’espèce, il ressort des pièces versées au dossier que Monsieur …D est entré par la France au Luxembourg fin 2001 et qu’il a habité auprès de sa sœur Madame …. Il a été appréhendé par la police en juillet 2002 étant donné qu’il travaillait dans un restaurant sans permis de travail ni permis de séjour. A l’époque une mesure de rétention a été prise à son égard avant de procéder à son rapatriement au Cap-Vert.

Il résulte d’un recours gracieux à l’encontre de la décision de rétention adressé en juillet 2002 par son ancien avocat au ministre de la Justice ce qui suit : « Le 17 juillet 2002, Monsieur … a été arrêté alors qu’il travaillait dans un restaurant sans être en possession ni d’un titre de séjour régulier, ni d’un permis de travail.

Par décision du même jour, mon mandant a été placé, en attente d’un éloignement, au Centre pénitentiaire de Luxembourg en raison d’un risque de fuite.

Par la présente, je me permets de former un recours gracieux contre ladite décision en ce qu’elle concerne le placement.

En effet, malgré les faits, Monsieur … n’a pas l’intention de s’établir au Grand-

Duché. Après son séjour en France, Monsieur … est venu au Luxembourg rendre visite à sa sœur Madame … avant de rentrer au Cap-Vert où l’attendent ses deux enfants orphelins de mère. Il n’a jamais eu l’intention de rester au Luxembourg plus d’un mois.

Il n’y a par conséquent pas de risque de fuite nécessitant un tel placement.

Je vous prie de bien vouloir réexaminer le dossier et d’accorder mainlevée du placement de mon mandant.

Monsieur … demande simplement à pouvoir rentrer dignement dans son pays.

A titre de garantie, et pour prouver sa bonne foi, la sœur de mon mandant, Madame … s’engage à acheter son billet d’avion à destination du Cap-Vert ».

Monsieur … est revenu au Luxembourg en juillet 2004, sans préjudice quant à la date exacte, et il s’est marié au Luxembourg avec Madame … en date du 6 août 2004.

Madame … , la sœur de Monsieur … atteste ce qui suit : « Je confirme que mon frère vivait déjà en concubinage notoire avec Madame … au Cap-Vert.

Madame … est venue en première au Luxembourg en 1996. Mon frère est venu en 2001 et a été expulsé en 2002. Madame … n’a pas pu le voir lors de l’expulsion.

Mon frère est revenu en 2004 au Luxembourg et ils vivaient ensemble avant le mariage du 06.08.2004 et sont toujours ensemble ».

De tout ce qui précède il y a lieu de retenir que Madame … et Monsieur … ne peuvent pas se prévaloir d’une vie familiale et effective. En effet même à supposer que Madame … et Monsieur … se sont déjà connus en 1996 au Cap-Vert, il n’en reste pas moins que Madame … a pris la décision en 1996 de quitter le Cap-Vert et de venir s’installer au Luxembourg tout en laissant son concubin au Cap-Vert. Celui-ci, après une séparation de 5 ans de Madame … est venu au Luxembourg s’installer chez sa sœur, sans qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier qu’il serait venu au Luxembourg pour revoir Madame … ou pour s’installer avec elle. Bien au contraire il résulte du courrier de son avocat de juillet 2002 qu’il n’a à l’époque jamais eu l’intention de s’installer au Luxembourg et qu’il désirait rentrer au Cap-Vert où l’attendaient ses deux enfants orphelins de mère. Même si Madame … déclare que Madame … n’a pas pu voir Monsieur … au moment de son éloignement du territoire en 2002, cette simple affirmation ne saurait suffire pour établir qu’il existait déjà à l’époque des liens étroits entre les demandeurs. Il en est de même de la simple affirmation des demandeurs, aucunement étayée par un élément concret, qu’ils vivaient en concubinage depuis 2002 et qu’ils envisageaient ensemble une vie commune, d’autant plus que cette simple affirmation est contredite par les déclarations mêmes de Monsieur … telles qu’actées par la police au procès-

verbal établi le 17 juillet 2002 où il a déclaré habiter auprès de sa sœur. En ce qui concerne l’attestation versée par Madame …, même si celle-ci déclare connaître Monsieur … depuis 1996 et déclare qu’il a vécu en concubinage avec Madame …, cette attestation ne contient aucune précision permettant au tribunal de fixer ce concubinage dans le temps et d’en mesurer la durée éventuelle.

Dès lors le simple fait de revenir au Luxembourg en juillet 2004, après une nouvelle séparation de deux ans, pour se marier avec Madame … en août 2004 ne saurait suffire pour caractériser une vie familiale effective entre les demandeurs.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que les demandeurs ne tombent pas sous le champ d’application de l’article 8 de la CEDH en l’absence d’une vie privée et familiale au moment de la prise de la décision litigieuse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18947
Date de la décision : 21/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-21;18947 ?

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