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21/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18853

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2005, 18853


Tribunal administratif N° 18853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2004 Audience publique du 21 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18853 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2004 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Delta State (Nigeria), de nationalité nigériane, dem...

Tribunal administratif N° 18853 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 novembre 2004 Audience publique du 21 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18853 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2004 par Maître Gilles PLOTTKE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Delta State (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 6 septembre 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par ledit ministre le 8 novembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2005 au nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Radu DUDA, en remplacement de Maître Gilles PLOTTKE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 février 2004, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le 23 août 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 11 février 2004 que vous auriez quitté le Nigeria le 28 décembre 2003 pour Cotonou/Bénin où vous seriez resté deux jours avant de prendre un bateau accostant dans un port européen. Vous ne pouvez pas donner plus d’indications quant à ce port. Lors de l’audition du 23 août 2004, vous précisez être arrivé en Belgique. Par la suite, vous auriez pris un train pour le Luxembourg, où vous seriez arrivé le 10 février [2004] (sic). Votre demande en obtention du statut de réfugié politique date du lendemain. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Nigeria pour avoir une meilleure vie. Il y aurait beaucoup de souffrances en Afrique et le Nigeria serait un pays corrompu. Vous n’auriez pas de travail et vous ne seriez pas marié. Vous admettez ne pas avoir subi de persécutions personnelles dans votre pays d’origine et vous ne faites pas état de problèmes quelconques. Enfin, vous ne seriez pas membre d’un parti politique.

Selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ». Par ailleurs, l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions ou de craintes de persécutions dans votre pays d’origine du fait de votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Les motifs que vous invoquez ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Par ailleurs, il n’est pas exclu que des raisons matérielles sous-tendent votre demande d’asile. Or, des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande d’asile politique.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 29 septembre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 8 novembre 2004, M. …, par requête déposée le 12 novembre 2004, a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des deux décisions prévisées des 6 septembre et 8 novembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il expose être originaire de la région Delta State au Nigeria, de confession chrétienne et faire partie du groupe ethnique des « Isoko » et d’avoir quitté son pays d’origine en raison de son appartenance ethnique et des troubles politiques qui affectent son pays d’origine. Dans ce contexte, il expose plus particulièrement que sa région d’origine serait mise « à feu et à sang » par des rivalités entre les diverses communautés ethniques, et plus particulièrement les ethnies des « Ijo » et « Ishekiri », qu’il aurait publiquement pris position en faveur du clan des « Ijo », ce qui aurait eu pour conséquence que des jeunes « Ishekiri » l’auraient menacé de mort et incendié son commerce. Il ajoute finalement que le gouvernement nigérian serait actuellement incapable d’offrir une protection efficace aux minorités persécutées.

Le représentant étatique soutient que les deux ministres auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les déclarations du demandeur restent à l’état de simples allégations non confortées par un quelconque élément de preuve tangible et qu’elles sont insuffisantes pour justifier qu’il risquait ou risque, individuellement et concrètement, de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine.

A cela s’ajoute, d’une part, que le seul fait concret invoqué par le demandeur, à savoir la destruction du commerce qu’il tenait avec un ami remonte à 1996, fait qui, d’autre part, s’inscrit plutôt dans le cadre d’une criminalité de droit commun.

Pour le surplus, il ressort du rapport d’audition que le demandeur est en aveu de ne pas avoir été politiquement actif, de ne pas avoir été personnellement persécuté et que les motifs véritables qui l’ont conduit à quitter son pays et pour lesquelles il ne veut pas y retourner semblent résider dans des considérations d’ordre matériel et économique, dès lors qu’il a clairement déclaré lors de son audition qu’il est venu au Luxembourg pour avoir une vie meilleure « I just came to Luxembourg to have a good life. There are a lot of sufferings in Africa. I want to go to school too » (page 10 du rapport d’audition). Or, pareilles motivations, aussi compréhensibles qu’elles puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

S’y ajoute qu’au regard du champ d’action territorialement limité des prétendus agresseurs, les problèmes allégués se révèlent essentiellement limités à la ville ou région d’origine du demandeur, ce dernier ne justifiant pas l’existence d’une impossibilité de trouver refuge dans une autre région de son pays d’origine, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas.

adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Au dispositif de son recours, le demandeur sollicite encore, en application de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « l’effet suspensif du recours contre un jugement confirmatif pendant le délai et l’instance d’appel, le tout au regard du préjudice grave et définitif que créerait l’exécution de la décision attaquée ».

Or, ladite demande est à rejeter non seulement au regard du présent litige, le demandeur ayant succombé en ses moyens et arguments, mais elle se révèle en tout état de cause être superflue, étant donné que, d’une part, d’après l’article 12 (1) de la loi du 3 avril 1996, précitée, le recours en réformation contre une décision de refus d’octroi du statut d’asile a un effet suspensif, et d’autre part, d’après l’article 12 (2) de ladite loi de 1996, l’appel contre la décision du tribunal administratif a également un effet suspensif.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

rejette la demande en obtention de l’effet suspensif pendant le délai et l’instance d’appel ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 21 février 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18853
Date de la décision : 21/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-21;18853 ?

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