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21/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18712

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2005, 18712


Tribunal administratif N° 18712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié et en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18712 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Crimée / Ukraine), ...

Tribunal administratif N° 18712 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié et en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18712 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Crimée / Ukraine), de nationalité russe et de citoyenneté ukrainienne, et son épouse Madame …, née le…, et de nationalité et de citoyenneté ukrainiennes, ainsi que de leur fille mineure …, demeurant ensemble actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 mai 2004 déclarant non fondée leur demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 septembre 2004, suite à un recours gracieux du 12 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 14 février 2005, en présence de Maître Ardavan FATHOLAZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et de Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH qui se sont rapportés aux écrits de leurs parties respectives.

La famille … introduisit le 3 octobre 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur … et son épouse, Madame …, furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-

ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … et Madame …… furent entendus séparément le 16 décembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre de la Justice les informa par décision du 28 mai 2004, expédiée par courrier recommandé le 10 juin 2004, de ce que leur demande est refusée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Par courrier de son avocat du 12 juillet 2004, référencé comme concernant une « demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève », la famille … sollicita le réexamen « de leur demande du 3 octobre 2003 visant à leur voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » pour demander quelques lignes plus loin « un titre de séjour pour raisons humanitaires ».

Par ailleurs, elle demande encore à titre subsidiaire le réexamen de sa demande initiale en obtention du statut de réfugié politique.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit position par une décision confirmative de refus du 7 septembre 2004, motivée par l’absence d’éléments pertinents nouveaux.

Le 11 octobre 2004, les époux … ont fait introduire un recours en annulation contre les décisions ministérielles précitées.

Les demandeurs reprochent à l’autorité administrative de ne pas avoir pris position par rapport à leur demande qui aurait visée « à se voir accorder un titre de séjour à caractère humanitaire ».

Ils estiment à ce sujet que les motifs par eux invoqués dans le cadre de leur démarche, à savoir la nécessité dans le chef de Monsieur … de se voir accorder des soins médicaux, auraient dû amener le ministre à qualifier cette démarche en ce sens qu’elle « est étrangère au cadre légal de la Convention de Genève applicable en matière d’asile », de sorte que les décisions litigieuses seraient à annuler pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que les ministres compétents auraient fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Il relève en particulier que les demandeurs n’auraient à aucun moment formellement sollicité une autorisation de séjour pour motifs humanitaires, de sorte qu’il aurait été évident de traiter leurs demandes en fonction de leur objet, c’est-à-dire l’asile.

Le tribunal constate que les demandeurs reprochent en substance à l’Etat de ne pas avoir constaté qu’ils auraient déposé une demande de « séjour humanitaire », et non une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, et qu’ils estiment que les décisions litigieuses seraient entachées d’illégalité pour absence de motivation, dans la mesure où les ministres compétents auraient omis de répondre à la demande de séjour humanitaire introduite par eux.

Le tribunal est dès lors amené à vérifier si l’Etat a valablement pu conclure au dépôt d’une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, ou, au contraire, aurait dû à celui d’une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour humanitaire.

Le tribunal tient de prime abord à souligner à ce sujet que le terme de « séjour à caractère humanitaire » est inconnu en droit luxembourgeois, le droit luxembourgeois ne connaissant que des demandes tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, respectivement des demandes tendant à l’obtention du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ainsi que des demandes tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour par application de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Il ressort du dossier administratif qu’en date du 11 novembre 2003, la famille … s’est vu adresser une lettre de convocation, émanant du « bureau d’accueil pour demandeurs d’asile », indiquant clairement qu’au cas où les demandeurs ne se présenteraient pas sans excuse à ladite convocation, leur demande d’asile « pourra être considérée comme manifestement infondée au sens de l’article 62 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Si les demandeurs n’ont apparemment aucune connaissance de la langue française, il n’en demeure pas moins qu’ils se sont manifestement fait traduire la lettre de convocation, de sorte que la référence à la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile n’a pas pu leur échapper. S’il est vrai que l’on ne saurait exiger d’un demandeur d’asile une connaissance approfondie de la législation luxembourgeoise, l’indication précise d’une loi déterminée dans un courrier officiel lui adressé aurait cependant dû l’amener à s’informer, ou du moins à s’intéresser à la signification de la référence à la loi y indiquée, ce qui en l’espèce aurait permis aux demandeurs de se rendre compte de l’objet et des conséquences éventuelles de la procédure d’asile à laquelle ils ont été admis.

La famille … a par la suite été auditionnée en présence de son avocat en date du 16 décembre 2003 dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, audition aux termes de laquelle les demandeurs ont chacun signé sans émettre la moindre réserve le procès-verbal d’audition intitulé « Rapport sur la demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 », de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’ils n’ont pas pu se méprendre sur l’objet de leur demande introduite, d’autant plus qu’ils étaient assistés lors de cette audition par un conseil juridique, qui s’est bien gardé à ce moment de requalifier la demande de la famille … ou d’émettre une quelconque réserve.

En effet il aurait appartenu aux demandeurs, dûment assistés d’un conseil juridique, d’avertir les services compétents au plus tard au moment de l’audition dans le cadre de leur demande d’asile introduite, qu’ils se seraient mépris sur l’objet de leur demande laquelle serait à considérer comme une demande tendant à l’obtention d’un titre de séjour. Les demandeurs sont dès lors mal venus d’invoquer, après coup, qu’ils n’auraient jamais fait une demande d’asile sur base de la Convention de Genève, mais qu’ils auraient depuis le début de la procédure, affirmé leur volonté de faire une demande en obtention d’un titre de séjour provisoire pour raisons humanitaires.

Dès lors le simple fait d’avoir invoqué lors de leur audition des raisons relatives à des problèmes de santé dans le chef de Monsieur … et l’espoir d’obtenir un traitement médical adéquat comme unique motif à la base de leur demande d’asile ne saurait suffire pour faire admettre que les demandeurs ont posé une demande de séjour humanitaire, qualifiée comme telle.

En effet, s’il est certes exact qu’en vertu de l’obligation de collaboration de l’administration, toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et qu’il appartient à celle-ci de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable, il n’en reste pas moins qu’il appartient également à l’administré - d’autant plus lorsque celui bénéficie de l’assistance et des conseils d’un avocat, auxiliaire de justice - de collaborer avec l’administration et de mettre celle-ci en mesure de lui appliquer la règle la plus favorable, notamment en précisant en temps utile la portée exacte de sa demande (trib. adm. 28 juin 2004, n° 17522 du rôle, www. ja.etat.lu).

Force est de constater que cela n’a manifestement pas été le cas en l’espèce.

Le tribunal constate par ailleurs que les demandeurs eux-mêmes, dans leur courrier du 12 juillet 2004 adressé au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, qualifient explicitement leur demande initiale de « demande du 3 octobre 2003 visant à leur voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ».

Dès lors le moyen soulevé par le mandataire des demandeurs tendant à voir qualifier leur demande ab initio comme ayant tendu à l’octroi d’une autorisation de séjour est à rejeter.

Force est par contre de constater au vu du libellé explicite du courrier du 12 juillet 2004, que les demandeurs se sont entre temps ravisés de leur propre côté en précisant vouloir formuler une demande tendant à obtenir « un titre de séjour pour raisons humanitaires » du fait de graves problèmes de santé de Monsieur ….

Les demandeurs ayant en effet eux-mêmes déclaré que leurs prétentions sont étrangères au cadre légal de la Convention de Genève pour se situer en dehors de celui-ci, il y a dès lors lieu de retenir qu’à partir du courrier du 12 juillet 2004, l’objet de la demande de la famille … était clairement avoué.

Il se dégage des considérations qui précèdent que ledit courrier du 12 juillet 2004 est dès lors à considérer non pas comme un recours gracieux par rapport à la décision initiale du ministre du 28 mai 2004, nonobstant la rédaction quelque peu confuse de ce courrier, mais en tant que demande nouvelle différente quant à son objet de celle initialement introduite par les demandeurs.

Dans la mesure où les demandeurs maintiennent à titre principal dans le cadre du recours contentieux sous examen leur argumentation consistant à dire que c’est en vue de se voir accorder une autorisation de séjour qu’ils se sont adressés au ministre, il y a lieu de constater que ce recours n’a pas pu être utilement dirigé contre la décision déférée du ministre de la Justice du 28 mai 2004, faute pour cette décision d’avoir toisé une demande afférente.

Il s’ensuit que le recours est irrecevable pour autant que dirigé contre la décision ministérielle déférée du 28 mai 2004.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, à l’encontre de la décision ministérielle du 7 septembre 2004 intervenue à la suite de la demande nouvelle adressée au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par les demandeurs en date du 12 juillet 2004, est recevable.

Quant au fond, il y a lieu de retenir que celui-ci est fondé étant donné qu’il aurait appartenu au ministre de prendre position quant à la nouvelle demande introduite.

Il s’ensuit que la décision ministérielle du 7 septembre 2004 encourt l’annulation pour défaut de motifs par rapport à la demande en obtention d’un titre de séjour présentée le 12 juillet 2004.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare irrecevable dans la mesure où il est dirigé à l’encontre de la décision déférée du 28 mai 2004 ;

le déclare fondé dans la mesure où il est dirigé à l’encontre de la décision déférée du 7 septembre 2004 ;

partant l’annule et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

partage les frais pour moitié entre les demandeurs et l’Etat ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M.Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18712
Date de la décision : 21/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-21;18712 ?

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