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21/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18541

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2005, 18541


Tribunal administratif N° 18541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par la société … S.A. (LUXEMBOURG), Luxembourg, et par Monsieur …, … (Allemagne) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18541 du rôle et déposée le 12 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre ELVINGER, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme...

Tribunal administratif N° 18541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2004 Audience publique du 21 février 2005 Recours formé par la société … S.A. (LUXEMBOURG), Luxembourg, et par Monsieur …, … (Allemagne) contre une décision du ministre du Travail et de l’Emploi en matière de permis de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18541 du rôle et déposée le 12 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A.

(LUXEMBOURG), établie et ayant son siège social à L-…, et de Monsieur …, né le…, de nationalité chinoise, demeurant à D-…, tendant à l’annulation de la décision du ministre du Travail et de l’Emploi du 2 juillet 2004 refusant à Monsieur … l’octroi d’un permis de travail auprès de la de la société anonyme … S.A. (LUXEMBOURG) ;

Vu le mémoire en réponse, désigné par « mémoire en réplique », du délégué du Gouvernement déposé en date du 15 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique, désigné par « mémoire en duplique », déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2005 par Maître Pierre ELVINGER au nom des demandeurs ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Pierre ELVINGER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 février 2005.

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Par déclaration d’engagement datée au 28 avril 2004, la société anonyme … S.A.

(LUXEMBOURG), ci-après désignée par « la société … », introduisit en faveur de Monsieur … une demande en obtention d’un permis de travail pour un emploi de « deputy general manager ».

Par arrêté du 2 juillet 2004, le ministre du Travail et de l’Emploi, ci-après dénommé le « ministre », rejeta cette demande « pour les raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi suivantes :

-

des demandeurs d’emploi appropriés sont disponibles sur place dont une personne a été assignée à l’employeur -

priorité à l’emploi des ressortissants de l’Espace Economique Européen -

recrutement à l’étranger non autorisé -

salaire non en rapport avec le profil demandé ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 août 2004, la société … et Monsieur … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée.

La loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main d’œuvre étrangère ne prévoit pas de recours au fond en la matière, de sorte que seul un recours en annulation a pu être déposé.

Le recours en annulation formé à l’encontre la décision ministérielle déférée est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond et à l’appui de leur recours, les demandeurs contestent la décision ministérielle attaquée, dont la motivation est critiquée pour reposer de façon laconique sur des « motifs standards », sans tenir compte de la situation particulière ni du secteur particulier dans lequel la société … opère. Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs précisent à ce propos que la société … serait un « autre professionnel du secteur financier (PSF) » au sens de la loi modifiée du 15 avril 1993 relative au secteur financier, cette dernière loi imposant de façon stricte des conditions d’expérience professionnelle dans le chef des personnes chargées de la gestion d’un tel autre professionnel du secteur financier, pour en déduire que le candidat proposé en lieu et place de Monsieur … par l’administration de l’Emploi aurait été inadapté au poste déclaré.

Les demandeurs en concluent que cette seule candidature, inappropriée par rapport aux exigences de fait et de droit relatives au poste à pourvoir, ne saurait à suffisance motiver la décision de refus ministérielle, l’administration de l’Emploi restant par ailleurs en défaut de proposer tout autre demandeur d’emploi, soit disponible sur le marché de l’emploi luxembourgeois, soit ressortissant de l’Espace Economique Européen.

Ils contestent à ce sujet encore avoir soumis à l’administration de l’Emploi un profil exagéré relatif au poste à pourvoir, en soulignant le fait que les conditions de qualification et d’expérience exigées seraient objectivement justifiées.

Ils critiquent encore le motif de refus tiré d’un prétendu recrutement à l’étranger non autorisé, en relevant que le ministre, ce faisant, aurait commis une interprétation erronée des fait et une violation de la loi.

Les demandeurs critiquent finalement le motif de refus retenu par le ministre au titre d’un salaire non approprié, en contestant la pertinence en fait et en droit d’un tel motif de refus.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine application de la loi, de sorte que les demandeurs seraient à débouter de leur recours. Il expose en particulier que le ministre du Travail et de l’Emploi serait habilité à s’immiscer dans l’organisation de l’entreprise de l’employeur, notamment par référence à l’accès prioritaire aux emplois disponibles des ressortissants de l’Espace Economique Européen, qui constituerait une limitation à la liberté de l’employeur de recruter les personnes qu’il veut engager.

Il estime encore que nonobstant les conditions exagérées imposées par la société …, l’administration de l’Emploi aurait assigné une personne qui convenait à certaines conditions objectives, mais que la société … aurait maintenu ses propres critères excessifs lui permettant de refuser toute autre candidature que celle de Monsieur …, la société … ayant « déjà fait son choix et engagé le sieur … ».

Il souligne encore que Monsieur … n’a jamais eu d’autorisation de séjour au Grand-Duché de Luxembourg, de sorte qu’il serait à considérer comme ayant été recruté illégalement à l’étranger.

En ce qui concerne le moyen des demandeurs relatif à l’absence de motivation adéquate et concrète de la décision ministérielle attaquée, il y a lieu de relever, d’une part, que d’une manière générale, aucune disposition légale n'impose une motivation expresse de l'arrêté ministériel de refus d'une autorisation de travail. Il suffit, pour que l'acte de refus soit valable, que les motifs légaux aient existé au moment du refus, quitte à ce que l'administration concernée les fournisse a posteriori sur demande de l'administré, le cas échéant au cours d'une procédure contentieuse (voir Cour adm., 13 janvier 1998, n° 10241C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 44, et les autres références y citées).

D’autre part, force est de constater que la décision ministérielle déférée se réfère bien, concrètement, à la situation du marché de l’emploi qui intéresse directement le demandeur …, en indiquant l’existence d’une personne disposant a priori de la même qualification que le demandeur et se trouvant à la recherche d’un emploi, tout en énonçant deux motifs propres à la situation personnelle spécifique du candidat au poste à pourvoir, à savoir le fait que le demandeur aurait fait l’objet d’un recrutement à l’étranger non autorisé et que le salaire lui offert serait inapproprié par rapport au profil demandé.

Il s’ensuit que le moyen des demandeurs relatif au défaut de motivation de la décision ministérielle est à rejeter.

Les demandeurs critiquant et contestant l’ensemble des motifs de refus sous-

tendant la décision ministérielle déférée, le tribunal, en présence d’un recours en annulation, est amené à procéder à la vérification de la légalité et de la régularité formelle de l’acte administratif attaqué en ses différents motifs.

En ce qui concerne le motif de refus tiré des raisons inhérentes à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 10 (1) du règlement grand-ducal modifié du 12 mai 1972 déterminant les mesures applicables pour l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, dans sa teneur lui conférée par le règlement grand-ducal du 29 avril 1999, « l’octroi et le renouvellement du permis de travail peuvent être refusés au travailleur étranger pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les ressortissants des Etats membres de l’Union Européenne et des Etats parties à l’Accord sur l’Espace Economique Européen, conformément à l’article 1er du règlement CEE 1612/68 concernant la libre circulation des travailleurs ».

Il en résulte que le ministre compétent, est habilité à refuser l’octroi d’un permis de travail à un ressortissant étranger non ressortissant d’un pays de l’Espace Economique Européen en se basant notamment sur le fait que les candidats appropriés sont sur place.

Néanmoins, il appartient au ministre d’établir in concreto la disponibilité sur place de personnes bénéficiant d’une priorité à l’embauche, susceptibles d’occuper le poste vacant, en prenant notamment en considération leur aptitude à pouvoir exercer le travail demandé (trib. adm. 30 septembre 2002, n° 14619 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 40).

S’il résulte tant de la décision déférée que des mémoires échangés entre parties que l’administration de l’Emploi a assigné une personne indiquée comme susceptible de prétendre au poste à pourvoir auprès de la société …, la partie publique reste cependant en défaut de produire la moindre pièce permettant au tribunal de vérifier les qualifications de cette personne, la partie publique se contentant d’affirmer que cette personne aurait convenu « à certaines conditions objectives ».

Il résulte en revanche des écrits des parties demanderesses que l’administration de l’Emploi aurait assigné à la société … un candidat titulaire d’un master en « mechanical engineering » ainsi que d’un master « in applied computer science », dépourvu de toute expérience professionnelle en matière financière et comptable, et ce alors que la société … cherchait à recruter une personne possédant notamment un diplôme post-secondaire en gestion et comptabilité ainsi qu’une expérience professionnelle dans le secteur financier, expérience dictée en particulier par la législation sur le secteur financier, de sorte que le candidat assigné, hormis ses connaissances en langue chinoise, ne correspondait a priori pas au poste à pourvoir.

Le tribunal, au vu des explications concrètes et plausibles fournies par la société … concernant à la fois les conditions de qualification et d’expérience exigées, compte tenu de sa situation particulière de société appartenant à un groupe chinois et de son statut particulier de professionnel du secteur financier, et la non-conformité par rapport au candidat assigné par l’administration de l’Emploi, explications d’ailleurs ni énervées, ni même contestées par la partie publique, est amené à retenir, d’une part, que le motif de refus avancé par le ministre et ayant trait à la situation et à l’organisation du marché de l’emploi n’est pas vérifié en fait et, d’autre part, que la décision de la société … de ne pas retenir la candidature de l’unique personne assignée par l’administration de l’Emploi se justifie compte tenu de l’état actuel du dossier.

En ce qui concerne le reproche adressé à la société … comme quoi elle aurait procédé à un recrutement non autorisé à l’étranger, l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 concernant l’organisation et le fonctionnement de l’administration de l’Emploi et portant création d’une commission nationale de l’emploi, tel que modifié par la loi du 12 février 1999 concernant la mise en œuvre du plan d’action national en faveur de l’emploi, dispose dans ses deux premiers alinéas que « (1) Le recrutement de travailleurs non ressortissants de l’Espace Economique Européen dans les Etats non membres de l’Espace Economique Européen est de la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi.

(2) Dans ce cas, l’administration de l’Emploi peut, sur demande préalable, autoriser un ou plusieurs employeurs ou une organisation professionnelle d’employeurs, à recruter des travailleurs ».

Il résulte du libellé de cette disposition réglementaire que la compétence exclusive de l’administration de l’Emploi est limitée en ce qui concerne le recrutement de travailleurs étrangers au marché du travail « dans les Etats non membres de l’Espace Economique Européen », de sorte que l’obligation légale en résultant dans le chef de l’employeur de solliciter en premier lieu auprès de l’administration de l’Emploi l’autorisation de recruter un travailleur à l’étranger est soumise à une double condition, à savoir se rapporter au recrutement d’une personne non-ressortissante de l’Espace Economique Européen, et ce dans un Etat non membre de l’Espace Economique Européen.

Si la nationalité chinoise de Monsieur …, et partant sa qualité de non-ressortissant de l’Espace Economique Européen, n’est pas litigieuse, force est cependant de constater que Monsieur … n’a pas été recruté « dans un Etat non membre de l’Espace Economique Européen », mais en Allemagne, où il bénéficie d’un permis de travail à durée déterminée pour la durée du 20 octobre 2003 au 19 octobre 2005.

Il s’ensuit que le reproche d’un recrutement non autorisé à l’étranger au sens l’article 16 de la loi modifiée du 21 février 1976 précitée n’a pas pu être valablement retenu en tant que motif de refus.

Enfin, en ce qui concerne le motif tiré de l’inadéquation du salaire proposé, il y a lieu de relever qu’un tel motif est étranger à la législation et à la réglementation relatives à l’emploi des travailleurs étrangers sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que le ministre n’a pas pu valablement se prévaloir d’un tel motif pour refuser le permis de travail sollicité.

Il convient à ce sujet de souligner que la prévision dans un contrat de travail conclu entre un employeur et un travailleur étranger, d’un salaire inférieur au salaire habituel - ce qui en l’espèce reste par ailleurs en défaut d’être établi par la partie publique - ne saurait justifier un refus du permis de travail afférent, alors qu’ il incombe plutôt à l’autorité compétente pour la délivrance du permis de travail qui a pris soin de relever cette non-conformité du contrat de travail à appliquer par rapport à la législation applicable, d’inviter les parties au contrat à exécuter, conformément aux principes d’une bonne administration, à régulariser leur situation moyennant la prévision d’un salaire conforme (voir en ce sens : trib. adm. 15 mai 2002, n° 12944 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Travail, n° 51).

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent que c’est partant à tort que le ministre du Travail et de l’Emploi a refusé le permis de travail sollicité, de sorte que la décision ministérielle du 2 juillet 2004 est à annuler Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond le dit justifié;

partant annule la décision ministérielle déférée et renvoie l’affaire devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration actuellement compétent en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18541
Date de la décision : 21/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-21;18541 ?

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