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16/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18647

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 février 2005, 18647


Tribunal administratif N° 18647 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2004 Audience publique du 16 février 2005

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative et une décision du ministre de la Justice en matière de fonctionnaire et agent publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 18647 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2004 par Maître Jean KAUFFMA

N, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, emplo...

Tribunal administratif N° 18647 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 septembre 2004 Audience publique du 16 février 2005

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative et une décision du ministre de la Justice en matière de fonctionnaire et agent publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 18647 et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2004 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, employée de l’Etat, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation 1) d’une décision du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative du 16 décembre 2003 refusant de faire droit à une demande formulée par Mme … tendant à son « reclassement dans sa carrière d’expéditionnaire telle qu’elle s’est présentée au moment de sa démission comme fonctionnaire de l’Etat », 2) d’une décision confirmative rendue par le même ministre en date du 22 juin 2004, suite à un recours gracieux introduit par Mme …, 3) et de la décision négative du 7 décembre 1987 prise par le ministre de la Justice portant refus d’octroi d’un congé sans traitement tel que sollicité par Mme … ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 19 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé en date du 15 décembre 2004 au greffe du tribunal administratif en nom et pour compte de la demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 12 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean KAUFFMAN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Entrée aux services de l’Etat et ayant passé l’examen-concours pour l’admission au stage dans la carrière de l’expéditionnaire, session novembre 1978, Mme … … fut admise au stage d’expéditionnaire le 28 décembre 1978, stage qu’elle commença à la Caisse nationale d’assurance maladie des ouvriers, pour solliciter par la suite et obtenir, le 1er septembre 1980, son admission audit stage à l’administration judiciaire.

Par arrêté du ministre de la Justice du 1er octobre 1981, Mme … fut nommée expéditionnaire.

Entre-temps avancée au grade de commis principal auprès de l’administration judiciaire, Mme … donna naissance à une fille, le 25 octobre 1986, et elle sollicita un congé sans traitement d’une année consécutif au congé de maternité de 12 semaines.

Suite à un arrêté ministériel du 16 janvier 1987 lui accordant un congé sans traitement pour la période du 17 janvier au 16 mars 1987, elle se vit accorder un nouveau congé sans traitement pour la période du 17 mars 1987 au 16 janvier 1988 par arrêté grand-ducal du 18 mars 1987.

Le 12 novembre 1987 Mme …, passant par la voie hiérarchique, s’adressa au ministre de la Justice pour demander un congé sans traitement supplémentaire, « pour me permettre d’élever notre enfant commun …, née le 25 octobre 1986 à Luxembourg jusqu’à l’âge de quinze ans ».

Le 16 novembre 1987, le procureur général d’Etat avisa cette demande défavorablement, au motif que « l’administration judiciaire se trouve actuellement submergée par des demandes de congé de toutes sortes : congé de maternité, congés sans traitement, congés pour travail à mi-temps etc.

Même en cherchant à trouver les agents de remplacement temporaires pour les congés auxquels les fonctionnaires de l’Etat ont droit, l’administration a des problèmes pour trouver les agents nécessaires et capables pour maintenir le fonctionnement normal de ses services.

Aussi ne m’est-il pas possible d’accorder encore des congés facultatifs sur des périodes de plusieurs années.

Je suis d’avis qu’il faudra limiter les congés facultatifs au strict minimum et ne les accorder qu’en cas de présentation de motifs exceptionnels et sérieux, ce qui n’est pas le cas pour la demande [de Mme …] (…) ».

Au vu de l’avis négatif précité du procureur général d’Etat et au regard des difficultés rencontrés par l’administration judiciaire pour trouver des agents de remplacement, le ministre de la Justice rejeta la demande de Mme … par décision du 7 décembre 1987, au motif que l’octroi du congé sans traitement sollicité n’était que facultatif et ne pourrait être accordé que si le bon fonctionnement du service concerné le permettait et que tel ne serait pas le cas.

Suite au susdit refus, Mme … démissionna de ses fonctions au mois de décembre 1987 pour se consacrer à l’éducation de son enfant.

Après avoir réintégré les services de l’Etat en tant qu’employée de l’Etat dans la carrière B1, Mme … s’adressa par lettre du 3 octobre 2003 au ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative pour demander son reclassement dans sa carrière de l’expéditionnaire auprès de l’administration judiciaire, c’est-à-dire sa « réintégration [dans ses] anciennes fonctions aux niveaux de grade et d’échelon atteints avant [sa] démission ».

Par lettre du 16 décembre 2003 adressée au ministre de la Justice, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, sous la signature du secrétaire d’Etat audit ministère, prit position y relativement dans les termes qui suivent :

« Objet : Demande de réintégration et de reclassement de Madame … …, employée B1 à l’Administration judiciaire Monsieur le Ministre, Suite à votre communication du 14 octobre 2003 relative à l’objet sous rubrique, j’ai l’honneur de vous exposer ce qui suit.

Aux termes de l’article VIII, paragraphe 2 de la loi du 19 mai 2003, « le fonctionnaire qui, avant le 1er janvier 1984, soit a démissionné de ses fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à charge, soit se trouvait à cette date en congé de maternité, en congé sans traitement ou en congé pour travail à mi-temps et qui a dû démissionner consécutivement à ce congé en raison de la non-prolongation du congé sans traitement respectivement du congé pour travail à mi-temps a le droit de réintégrer le service de l’Etat dans son administration d’origine, par dépassement des effectifs, avec rétablissement de la situation de carrière telle qu’elle s’est présentée au moment de sa démission, et avec réintégration dans ses anciennes fonctions ».

Or, les termes de la loi précitée sont très clairs et ne sont pas susceptibles de donner lieu à interprétation, de telle sorte qu’aucune réintégration en dehors des limites et conditions y prévues n’est possible.

Concernant plus particulièrement Madame …, elle dû (sic) démissionner de ses fonctions en 1987 étant donné que le congé sans traitement qu’elle avait demandé jusqu’à l’âge de 15 ans de sa fille lui avait été refusé à l’époque. Comme en vertu de l’article 30, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, l’octroi de ce congé est facultatif, l’intéressée ne saurait se prévaloir à présent d’un droit à réintégration au motif que, par la suite, d’autres fonctionnaires ont pu bénéficier de ce congé sur base du même article. En effet, le bénéfice du congé précité dépend de l’intérêt du service, à apprécier au moment où le congé est sollicité et selon différents critères, tels que le poste occupé par le requérant ou encore la durée pour laquelle le congé est sollicité.

Au vu des considérations qui précèdent, je ne suis malheureusement pas en mesure de réserver une suite favorable à la demande de Madame ….

Veuillez (…) ».

Suite à une demande afférente libellée par Mme … le 20 février 2004, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, sous la signature du secrétaire d’Etat, l’informa des voie et délai de recours ouvert contre sa décision négative prévisée du 16 décembre 2003, dans un courrier du 15 mars 2004.

Un recours gracieux introduit le 14 mai 2004 par le mandataire de Mme … auprès du ministre de la Fonction publique ayant été rejeté par décision du 22 juin 2004 prise par le ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative, sous la signature du secrétaire d’Etat, Mme … a introduit, par requête déposée le 14 septembre 2004, un recours contentieux tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation des deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 16 décembre 2003 et 22 juin 2004, le recours visant en outre « pour autant que de besoin » la décision négative du 7 décembre 1987 prise par le ministre de la Justice et portant refus du congé sans traitement tel que sollicité à l’époque par Mme ….

Le délégué du gouvernement n’a pas pris position quant à la compétence de la juridiction saisie ni quant à la recevabilité du recours.

Quant à la compétence de la juridiction saisie Encore que la demanderesse entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation contre les différentes décisions querellées, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre les actes critiqués, l’existence d’une telle voie de recours rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation.

Aucun texte de loi ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation.

Quant à la recevabilité du recours en annulation Le recours en annulation, recours de droit commun, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond A l’appui de sa demande en annulation des deux décisions ministérielles des 16 décembre 2003 et 22 juin 2004, la demanderesse expose en premier lieu qu’en 1987, suite au refus d’octroi du congé sans traitement, elle n’aurait eu d’autre choix que de démissionner.

Dans ce contexte, elle relève avoir habité à l’époque à Mersch et qu’il n’y avait pas de crèche, que devant exercer ses fonctions à Diekirch, « ville qui à l’époque disposait d’une seule crèche, mais avec une liste d’attente impressionnante », qu’elle ne pouvait pas non plus confier ses enfants à sa mère qui était malade, que son époux, en sa qualité de policier, devait travailler selon des horaires variés et irréguliers et était également assujetti à des heures supplémentaires, de sorte que « la seule solution, malheureusement inévitable, suite au refus essuyé à l’époque, était celle de démissionner de ses fonctions ».

En droit, la demanderesse soutient que l’article VIII, paragraphe 2. de la loi du 19 mai 2003 modifiant entre autres la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat serait contraire à l’article 10bis de la Constitution énonçant le principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

En effet, selon la demanderesse, en introduisant « la limite temporelle qui est celle du 1er janvier 1984 », l’article VIII, point 2) de la loi du 19 mai 2003 exclurait arbitrairement et sans aucune explication valable du bénéfice du reclassement des fonctionnaires ayant démissionné après le 1er janvier 1984 mais qui se trouveraient exactement dans la même situation, cette non-conformité devant entraîner l’annulation des deux décisions entreprises.

En ordre subsidiaire, elle demande au tribunal de saisir Cour Constitutionnelle pour que cette dernière examine la conformité de l’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003 par rapport à l’article 10bis de la Constitution « en ce que cet article introduit une limitation temporelle permettant dès lors, selon la seule date de la démission, à certaines personnes de bénéficier d’un avantage légal alors que cet avantage est refusé à d’autres personnes qui ont démissionné à un autre moment ».

La demanderesse fait encore valoir qu’elle exercerait « de nouveau la fonction de greffière et qu’elle exécute de ce fait les tâches assignées aux personnes qui font partie du greffe d’un tribunal d’arrondissement », de sorte qu’« au niveau de l’exercice de l’activité, la seule chose à avoir changé, est celle que la requérante poursuit son activité à Luxembourg-

Ville auprès du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg et non plus devant le Tribunal d’arrondissement de Diekirch, [ainsi] elle exerce partant une fonction sans que le bénéfice attaché à cette fonction ne lui revienne, malgré le principe constitutionnel ci-dessus énoncé ».

Elle reproche encore aux deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative de violer l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui « interdit toute discrimination basée sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation », en ce que de façon indirecte, la loi introduirait « une situation inégalitaire, basée sur le sexe, alors qu’une nouvelle fois ce congé éducatif est sollicité par des femmes et non pas par des hommes et qui partant se retrouvent à l’instar de la requérante dans la situation inégalitaire telle que décrite ci-dessus (sic)».

En ce qui concerne la décision du ministre de la Justice du 7 décembre 1987, la demanderesse soutient que la motivation y énoncée manquerait en fait, au motif qu’elle aurait été prise « suite à l’avis du Procureur général d’Etat de l’époque qui de toute façon n’était pas familier de l’organisation du tribunal d’arrondissement de Diekirch (sic) », alors que sa demande aurait été appuyée par un avis favorable de la présidente du tribunal d’arrondissement de Diekirch.

Le délégué du gouvernement entend réfuter le moyen basé sur un prétendu traitement discriminatoire entre personnes se trouvant dans des situations comparables en soutenant que la date limite du 1er janvier 1984, prévue par l’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003, n’aurait pas été choisie arbitrairement, mais « résulte du fait que l’octroi de tout congé sans traitement ou congé pour travail à mi-temps, était facultatif avant cette date », que ce serait la loi du 14 décembre 1983, modifiant pour une première fois la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée, qui a introduit « le droit à un congé sans traitement d’une année consécutif au congé de maternité, durée étendue à deux années par une loi du 8 juin 1994 » et que « le bénéfice de la disposition transitoire litigieuse a donc été limité aux fonctionnaires qui n’avaient pas le droit, mais uniquement la possibilité de demander l’octroi d’un congé sans traitement consécutif au congé de maternité avant la prédite loi de 1983 ».

Selon le délégué, Mme … ne se trouverait pas dans la situation des fonctionnaires privés de tout droit à un congé sans traitement, mais dans une situation analogue à celle prévue par l’article 30, paragraphe 2 de la loi précitée du 16 avril 1979.

Il soutient encore que Mme … aurait tort de croire qu’elle devrait bénéficier du statut de fonctionnaire de l’Etat, au motif qu’elle exercerait les mêmes fonctions que celles d’un expéditionnaire, au motif que « le fait d’exécuter un travail identique à celui d’un expéditionnaire n’est pas de nature à conférer le droit d’obtenir le statut de fonctionnaire, qualité qui ne peut s’acquérir que conformément aux modalités de recrutement et de nomination prévues par le statut général et ses règlements d’exécution ».

Il estime par ailleurs que la demanderesse est mal venue de soutenir que la disposition transitoire litigieuse instaurerait une discrimination indirecte entre femmes et hommes, au motif que la seule distinction qui est faite à travers la disposition en question serait basée sur la date à laquelle un fonctionnaire de l’Etat a démissionné suite à l’impossibilité d’obtenir un congé pour l’éducation de ses enfants et qu’à l’instar de l’article 30 de la loi précitée du 16 avril 1979, ladite disposition ne distinguerait donc pas en fonction du sexe de l’intéressé.

Le représentant étatique de conclure que le refus de reclasser et de réintégrer la demanderesse serait conforme aux prescriptions légales en vigueur et qu’elle ne pourrait pas « exiger du Gouvernement d’appliquer une loi de manière contraire à ses termes ».

Dans sa réplique, la demanderesse admet que la situation légale instaurée par la loi précitée du 16 avril 1979 n’aurait prévu que la faculté d’un congé sans traitement d’une durée maximale d’un an consécutivement à un congé de maternité et que la loi précitée du 14 décembre 1983 aurait instauré un droit à un congé annuel sans traitement, après l’expiration du congé de maternité.

Sur ce, elle estime que le délégué du gouvernement aurait tort de vouloir justifier la différence de traitement instituée par la loi précitée du 19 mai 2003 « par la possibilité offerte aux fonctionnaires de bénéficier d’un congé sans traitement entre 1979 et 1983, d’une part, et le droit automatique reconnu aux mêmes fonctionnaires à un congé sans traitement, à partir de 1983, d’autre part », au motif que la différence de traitement instituée par la loi précitée du 19 mai 2003 « entre les fonctionnaires ayant démissionné avant le 1er janvier 1984 et ceux qui ont démissionné après le 1er janvier 1984 » ne serait pas justifiée.

A l’appui de sa conclusion, la demanderesse dresse le tableau des différentes étapes de l’évolution législative en la matière soutenant que :

- sous l’empire de la loi de 1979 tout comme sous celle de 1983 :

1) le congé de maternité est de droit ;

2) le congé de maternité pouvait être suivi d’un congé sans traitement ;

3) le congé sans traitement pouvait être renouvelé ;

- pour la période s’étendant du 16 avril 1979 au 31 décembre 1983, l’octroi ou le refus d’octroi de ce congé constitue une faculté pour l’Etat, le législateur ayant renvoyé « aux nécessités du service », la durée du congé étant sauf circonstances exceptionnelles limitée à un an, mais qu’une possibilité de prorogation au-delà d’une année était prévue par la loi ;

- pour la période s’étendant du 1er avril 1984 jusqu’à la réforme de 2003, le congé sans traitement d’une année qui auparavant constituait une faculté, est devenu un droit, mais qu’au-

delà de la durée d’une année, le renouvellement sollicité ne constitue pas un droit pour le fonctionnaire mais toujours une simple faculté pour l’Etat.

Ceci dit, la demanderesse estime que le problème se posant dans son cas de figure « et à travers celui-ci pour les fonctionnaires soumis, pour les uns au régime de 1979 et pour les autres au régime de 1983, est la différence de traitement au niveau du non renouvellement du congé sans traitement », au motif que l’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003 « renferme la réintégration au service de l’Etat dans l’administration d’origine par dépassement des effectifs avec tous les autres avantages, pour celles qui ont dû démissionner avant le 1er janvier 1984, cette possibilité de réintégration n’est pas prévue au bénéfice de celles qui ont dû démissionner après le 1er janvier 1984, bien que dans les deux espaces de temps sus-visés l’octroi du renouvellement du congé sans traitement ne dépendît que du seul bon vouloir de l’administration et ne constituât pas un droit automatique reconnu au fonctionnaire » et que ce faisant, la loi précitée du 19 mai 2003 aurait créée une inégalité.

Dans son mémoire en duplique, le délégué soutient encore que l’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003 ne serait pas contraire à l’article 10bis de la Constitution, au motif qu’il se dégagerait de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle que le législateur pourrait soumettre différentes catégories de personnes à des régimes légaux différents en qu’en l’occurrence, « nous sommes en présence de personnes qui se trouvent dans des situations objectivement différentes, à savoir que les unes ont dû démissionner avant le 1er janvier 1984 parce qu’elles ne bénéficiaient pas d’un droit à un congé sans traitement consécutif au congé de maternité et que d’autres ont démissionné après cette date tout en disposant du droit à un tel congé de traitement ».

Le recours introduit en nom et pour compte de la demanderesse tendant en ordre principal à l’annulation des deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 16 décembre 2003 et 22 juin 2004, il convient de prime abord d’analyser le moyen basé sur la prétendue incompatibilité de l’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003 avec l’article 10bis de la Constitution, étant donné que la question de la constitutionalité de la susdite disposition légale conditionne directement le bien-fondé du recours actuellement sous analyse en ce qu’il vise son objet principal, à savoir l’annulation des deux décisions du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative des 16 décembre 2003 et 22 juin 2004.

L’article 10bis de la Constitution dispose que « (1) les Luxembourgeois sont égaux devant la loi ».

L’article VIII, point 2) de la loi précitée du 19 mai 2003 dispose que « par dérogation aux dispositions légales et réglementaires relatives aux conditions d’admission, de nomination et de stage des fonctionnaires de l’Etat, le fonctionnaire, qui, avant le 1er janvier 1984, soit a démissionné de ses fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à sa charge, soit se trouvait à cette date en congé de maternité, en congé sans traitement ou en congé pour travail à mi-temps et qui a dû démissionner consécutivement à ce congé en raison de la non-

prolongation du congé sans traitement respectivement du congé pour travail à mi-temps, a le droit de réintégrer le service de l’Etat dans son administration d’origine, par dépassement des effectifs, avec rétablissement de sa situation de carrière telle qu’elle s’est présentée au moment de sa démission et avec réintégration dans ses anciennes fonctions ».

Il appert non sans intérêt de relever qu’il se dégage du commentaire de l’article 2 du titre D, intitulé « Dispositions abrogatoire et transitoire » (l’article 2 étant appelé à devenir par la suite l’article VIII point 2) du texte définitivement adopté par la Chambre des députés) du texte du projet de loi n° 4891, appelé à devenir la loi précitée du 19 mai 2003, qu’initialement, cet article se proposait de « régulariser la situation de carrière des fonctionnaires de sexe féminin qui, dans son temps, n’ont pas pu bénéficier des dispositions relatives au congé sans traitement et au congé pour travail à mi-temps introduites par la loi du 14 décembre 1983 : en effet, dans la mesure où aucun droit n’était attaché à ces congés et que leur octroi dépendait toujours de l’intérêt du service respectif, des fonctionnaires féminins avaient dû abandonner ainsi leur service pour pouvoir se consacrer à l’éducation de leur(s) enfant(s). Lors d’une reprise ultérieure de service, celle-ci aurait été de nouveau considérée comme première nomination, avec les désavantages considérables attachés à ce mécanisme. (…) ». Il convient de relever que le texte initial ne conférait le droit de réintégrer le service de l’Etat qu’au « fonctionnaire qui, avant le 1er janvier 1984, a démissionné de ses fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à charge ».

C’est par un amendement gouvernemental au susdit projet de loi déposé le 4 octobre 2002 (doc. parl. N° 48913) que le droit de réintégrer le service de l’Etat fut « étendu » pour viser « le fonctionnaire qui, avant le 1er janvier 1984, soit a démissionné de ses fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à charge, soit se trouvait à cette date en congé de maternité, en congé sans traitement ou en congé pour travail à mi-temps et qui a dû démissionner consécutivement à ce congé en raison de la non-prorogation du congé sans traitement respectivement du congé pour travail à mi-temps ». Cette extension du champ d’application de la possibilité de réintégrer les services de l’Etat n’a cependant pas fait l’objet d’une explicitation des motifs afférents.

Il est par ailleurs constant en cause que si la demanderesse avait démissionné avant la date butoir, respectivement si elle avait à ce moment été en congé sans traitement pour élever son enfant, pour démissionner par après suite à un refus de prorogation, elle aurait pu bénéficier d’un droit de réintégration, alors qu’ayant dû démissionner - consécutivement au non renouvellement de son congé sans traitement annuel - après ladite date, étant donné par ailleurs que le congé de maternité, de même que le congé annuel consécutif se situent postérieurement à la date butoir, la demanderesse se voit exclue du droit de réintégration, la seule disparité objective qui, sur base des éléments d’information soumis au tribunal, semble distinguer les deux cas de figure étant la date du 1er janvier 1984.

Par conséquent, il y a lieu d’analyser si pareille disparité est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but, afin de justifier une différence de traitement de fonctionnaires, se trouvant – en apparence - dans une situation comparable, étant donné qu’aussi bien avant qu’après la date butoir du 1er janvier 1984, la prolongation d’un congé sans solde n’était pas automatique, mais restait facultative et fonction des intérêts de service.

Le tribunal ne pouvant cependant pas apporter de réponse à cette question sans empiéter sur la compétence d’attribution de la juridiction suprême, mais, conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, est tenu de saisir la Cour Constitutionnelle, étant entendu qu’une décision sur la question soulevée est nécessaire pour rendre son jugement, que la question n’est pas dénuée de tout fondement et que la Cour Constitutionnelle n’a pas déjà statué sur une question ayant le même objet, il y a dès lors lieu de surseoir à statuer et de demander à la Cour Constitutionnelle de statuer à titre préjudiciel sur la question suivante :

« L’article VIII, point 2) de la loi du 19 mai 2003 portant notamment modification de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, en ce qu’il limite le droit de réintégrer le service de l’Etat dans son administration d’origine, par dépassement des effectifs, selon les modalités y plus amplement spécifiées, aux fonctionnaires qui, avant le 1er janvier 1984, soit ont démissionné de leurs fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à sa charge, soit se trouvaient à cette date en congé de maternité, en congé sans traitement ou en congé pour travail à mi-temps et qui ont dû démissionner consécutivement à ce congé en raison de la non-prolongation du congé sans traitement respectivement du congé pour travail à mi-temps, est-il conforme à l’article 10bis, point 1) de la Constitution aux termes duquel « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ? » Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, surseoit à statuer jusqu’à ce que la Cour Constitutionnelle ait statué à titre préjudiciel sur la question suivante :

« L’article VIII, point 2) de la loi du 19 mai 2003 portant notamment modification de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, en ce qu’il limite le droit de réintégrer le service de l’Etat dans son administration d’origine, par dépassement des effectifs, selon les modalités y plus amplement spécifiées, aux fonctionnaires qui, avant le 1er janvier 1984, soit ont démissionné de leurs fonctions pour élever un ou plusieurs enfants à sa charge, soit se trouvaient à cette date en congé de maternité, en congé sans traitement ou en congé pour travail à mi-temps et qui ont dû démissionner consécutivement à ce congé en raison de la non-prolongation du congé sans traitement respectivement du congé pour travail à mi-temps, est-il conforme à l’article 10bis, point 1) de la Constitution aux termes duquel « les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » ? » ;

réserve les frais ;

fixe l’affaire au rôle général.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 février 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18647
Date de la décision : 16/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-16;18647 ?

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