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14/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18807

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 février 2005, 18807


Tribunal administratif N° 18807 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2004 Audience publique du 14 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18807 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, n

é le … (Sierra Léone), actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers e...

Tribunal administratif N° 18807 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2004 Audience publique du 14 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18807 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de …, né le … (Sierra Léone), actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 14 novembre 2003 l’excluant de la procédure d’asile, ainsi que d’une décision confirmative rendue en date du 30 septembre 2004 par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES à l’audience publique du 31 janvier 2005.

En date du 27 novembre 2002, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 20 janvier 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 novembre 2003, lui notifiée le 23 août 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de son exclusion de la procédure d’asile en application de l’article 1 F) de la Convention de Genève en retenant que le fait pour Monsieur … d’avoir tué et mutilé plusieurs personnes, sans préjudice quant au nombre exact, serait à qualifier de crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil en ce qu’il a déclaré avoir été contraint par les rebelles d’attaquer des villages, avoir amputé des villageois de leurs membres, les avoir battu et même les avoir tué au moyen notamment d’acide.

Le recours que Monsieur … a fait introduire par courrier de son mandataire datant du 23 septembre 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle s’étant soldé par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 30 septembre 2004, il a fait introduire, par requête déposée en date du 3 novembre 2004, un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation desdites décisions ministérielles des 14 novembre 2003 et 30 septembre 2004.

Etant donné que ni la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ni aucune autre disposition légale ne prévoit expressément la possibilité d’introduire un recours en réformation contre une décision d’exclusion de la procédure d’asile, seul un recours en annulation a pu être introduit devant les juridictions administratives à l’encontre de la décision litigieuse. Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il aurait été forcé par les rebelles de participer à leurs activités meurtrières mais qu’il n’aurait pas accepté cette façon de faire et qu’il aurait alors décidé de prendre la fuite étant donné qu’il n’aurait pas eu d’autre possibilité pour mettre fin à cette situation. Il précise qu’il s’agirait là justement de la raison pour laquelle il ne pourrait plus retourner dans son pays d’origine, étant donné qu’il risquerait d’être poursuivi à son tour par les rebelles qui le considéreraient désormais comme un déserteur ou un ennemi de leur groupe. Dans ces circonstances, le demandeur estime remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il serait indéniable que le fait d’avoir tué de façon sauvage des personnes innocentes constitue un crime grave de droit commun commis en dehors du pays d’accueil tel que visé par l’article 1 F de la Convention de Genève. Il se réfère en outre au guide des procédures de l’UNHCR qui dit qu’un crime grave « doit être un meurtre ou une autre infraction que la loi punie d’une peine très grave » et qui parle également de circonstances aggravantes. A cet égard le délégué du Gouvernement estime qu’au vu du comportement délictueux de Monsieur … au Luxembourg, se serait encore à juste titre que les ministres respectivement compétents ont estimé qu’il fallait exclure l’intéressé de la procédure d’asile.

En vertu de l’article 1 F) de la Convention de Genève, « les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (…) b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés ; (…) ».

Cette disposition de droit international a pour objet d’écarter du champ d’application de la Convention de Genève les personnes qui ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays dans lequel ils ont introduit une demande en vue d’obtenir la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de ladite convention. Au cas où cette exclusion est décidée par les autorités compétentes, qui doivent à cet effet vérifier si les conditions d’application dudit article 1 F) b) sont remplies dans le cas d’espèce, elle a pour effet de rendre inapplicable la loi précitée du 3 avril 1996 qui constitue une mesure d’application nationale de ladite Convention et se situe ainsi en aval de ce texte de droit international d’essence supérieure à la loi nationale, en ce que cette loi, dans le respect du cadre général posé par la Convention de Genève, détermine la procédure qui est applicable aux personnes qui introduisent au Grand-Duché de Luxembourg une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il y a partant lieu d’examiner si en l’espèce les ministres respectivement compétents ont valablement pu recourir aux dispositions de l’article 1 F) b) de la Convention de Genève pour exclure Monsieur … de la procédure d’asile. A cet effet, ils ont dû vérifier si les quatre critères prévus par la disposition en question étaient remplis au moment où ils ont statué, à savoir, l’existence d’indices suffisants quant à la commission d’un crime grave, la qualification du crime grave comme constituant une infraction de droit commun, à l’exclusion des infractions politiques, la commission de cette infraction en dehors du Luxembourg ainsi que le fait que l’infraction elle-même doit avoir été commise avant l’introduction de sa demande d’asile au Luxembourg.

En l’espèce, seul le premier critère donne lieu à discussion par les parties à l’instance, étant donné qu’il n’est pas contesté que les trois autres critères ci-avant énumérés sont remplis dans le chef du demandeur.

Pour conclure en l’espèce à l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun en dehors du Grand-Duché de Luxembourg avant de s’y être présenté en vue d’y être admis comme réfugié, le ministre de la Justice, loin de se livrer à un examen abstrait des faits relatés par le demandeur, a considéré ceux-ci dans le contexte global relaté par Monsieur … lors de son audition par un agent du ministère de la Justice dans le cadre de l’instruction de sa demande d’asile.

C’est ainsi qu’il est arrivé à la conclusion que la gravité des faits commis n’est pas susceptible d’être neutralisée par le contexte relaté, alors que le demandeur s’est livré à des actes de barbaries particulièrement choquants.

Au vu des déclarations du demandeur, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en annulation, est amené à constater que le demandeur reste en défaut d’établir une erreur d’appréciation manifeste, voire une conclusion disproportionnée dans le chef du ministre dans l’appréciation des faits. En effet, quelque désolant le contexte général des « enfants soldats » peut paraître par ailleurs, les enfants concernés, s’ils ont été auteurs de crimes aussi graves que ceux commis en l’espèce, ne sauraient a priori utilement trouver remède à leur situation par le biais de la Convention de Genève qui, à travers le libellé clair et non équivoque de la clause d’exclusion appliquée au cas d’espèce, ne saurait trouver application.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18807
Date de la décision : 14/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-14;18807 ?

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