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14/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18714

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 février 2005, 18714


Tribunal administratif N° 18714 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 14 février 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18714 du rôle et déposée le 11 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu

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Tribunal administratif N° 18714 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 14 février 2005 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18714 du rôle et déposée le 11 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Bénin), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation du ministre de la Justice du 25 mai 2004 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 7 septembre 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 2 février 2005.

En date du 5 février 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 25 mai 2004, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« Il résulte de vos déclarations que vous travailleriez au port de Cotonou et qu’en septembre-octobre 2003 vous auriez été mis au courant d’un vol de 12 voitures. Votre ami Michael aurait rapporté les faits à votre chef, un douanier, qui lui aurait dit de ne pas se mêler de l’affaire. Votre chef vous aurait alors tous les deux invités à aller manger chez lui le lendemain. Suivant le conseil de votre mère, vous n’y seriez pas allé pour éviter d’être mêlé à quelque chose. Le lendemain Michael ne serait pas venu au travail et vous seriez allé voir sa femme qui vous aurait dit qu’il ne serait pas rentré à la maison.

Votre mère vous aurait alors conseillé de ne pas aller au travail, ce que vous auriez fait.

Par la suite des amis vous auraient reporté que le corps de Michael aurait été retrouvé et que selon les dires des gens il aurait été tué par votre chef après une dispute concernant une somme d’argent. Avant d’aller chez le chef, Michael vous aurait dit qu’il demanderait une grosse somme au chef pour acheter son silence étant donné que votre chef serait mêlé dans ce trafic de voiture. Vous faites état d’un réseau de trafiquants de voitures dans lequel plusieurs membres du gouvernement seraient également impliqués.

Votre oncle, que vous dites être un grand bandit serait venu vous voir pour vous protéger, mais votre mère vous aurait dit qu’il aurait été payé pour vous faire du mal, pour vous empoisonner, voire même vous fusiller. En novembre 2003, vous seriez allé chez une amie de votre mère pour vous cacher pendant un certain temps. Vous dites que la police serait à votre recherche, qu’elle serait venue chez vous. Vous ignorez pourtant pourquoi, mais vous êtes persuadé qu’elle serait venue pour vous faire du mal, pour vous tuer. Vous auriez dû sortir de votre cachette parce que votre oncle aurait eu connaissance de celle-ci. Le 1er février 2004 vous auriez pris un avion à Cotonou ensemble avec un couple habitant probablement le Luxembourg. Ce couple se serait occupé des papiers et aurait montré ces derniers à votre place lors des contrôles d’identité à l’aéroport. Vous ne pouvez pas donner de précisions quant à ces papiers.

Vous avez déposé votre demande d’asile au Luxembourg le 5 février 2004.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et vous ne faites pas état de persécutions personnelles.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a d’abord lieu de relever que votre refus de collaboration caractérisé puisque vous ne vous êtes pas acquitté des obligations imposées par le ministère de la Justice dans l’article 6, paragraphe 2 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée. En effet, vous ne vous êtes pas présenté à l’audition complémentaire fixée dès le 8 mars 2003 au 26 mars 2003.

Aucune excuse à cette absence n’a été présentée auprès de nos services. A cela s’ajoute que depuis avril 2004 vous ne venez plus prolonger votre attestation de demandeur d’asile. Un doute quant à l’intérêt que vous portez à votre demande d’asile doit également être soulevé.

Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève. Le fait que vous auriez eu connaissance d’un trafic de voiture et que vous pensez qu’on voudrait vous éliminer pour éviter que ce trafic ne soit découvert ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique, car il ne rentre pas dans le cadre de la Convention de Genève. Il n’est par ailleurs pas prouvé qu’on voudrait effectivement vous tuer comme vous le pensez. En effet, vous dites vous même ne pas savoir pourquoi la police serait à votre recherche, vous supposez seulement qu’elle vous voudrait du mal. Or, des simples craintes purement hypothétiques et basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient ainsi constituer des motifs visés par la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’il n’existe aucune certitude que votre ami Michael aurait effectivement été tué parce qu’il aurait voulu dénoncer le trafic de voitures. Le fait qu’il aurait été tué par votre chef ne se base que sur des simples rumeurs, des dires d’autres personnes. En plus, vous dites qu’il aurait été tué après une dispute concernant une somme d’argent, argent que Michael aurait probablement demandé pour acheter son silence et non parce qu’il serait au courant de ce trafic. Dans ce contexte, il faut également ajouter que vous dites vous même que tout le monde serait au courant de ce genre de trafic dans lequel des membres du gouvernement seraient impliqués.

Votre chef, même étant agent de l’Etat et votre oncle ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Ils agiraient tous les deux, à supposer qu’ils voudraient effectivement vous tuer, à titre privé et non motivés du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos convictions politiques tel que le prévoit l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

A cela s’ajoute que le Bénin, pays démocratique, doit être considéré comme pays d’origine sûr où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution au sens de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, qui dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution. Le Bénin n’enregistre aujourd’hui aucun cas de détenu politique.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 26 juin 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 7 septembre 2004 la décision initiale du 25 mai 2004 dans son intégralité.

Le 11 octobre 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions prévisées des 25 mai et 7 septembre 2004.

A l’appui de son recours, le demandeur expose que les éléments du dossier porteraient à croire que le même sort que celui qu’A connu son ami Michael lui aurait été réservé s’il n’avait pas pris la fuite, étant donné que les autorités policières auraient été à sa recherche au moment de son départ. Il estime que le récit présenté à l’appui de sa demande serait cohérent et crédible et il reproche à l’autorité administrative d’avoir fait abstraction, lors de l’analyse des faits présentés, de leur contexte, voire de leur arrière-

fond politique, de manière à en avoir méconnu manifestement la portée exacte. Il insiste en outre qu’il serait évident que son ami a été tué pour avoir été témoin de faits compromettants des autorités publiques en place.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître en tant que juge du fond de la demande introduite contre la décision ministérielle entreprise. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est d’abord de constater que le motif de refus basé sur l’article 6, paragraphe 2, f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, relativement au refus de collaboration reproché à Monsieur … n’a pas été abordé dans le cadre de la requête introductive d’instance, de manière à ne pas être susceptible d’être utilement énervé, étant entendu que le tribunal est amené à analyser le bien fondé d’une décision dans le cadre des moyens qui lui sont présentés, à l’exception de ceux ayant trait à l’ordre public et devant être soulevés d’office.

La même conclusion s’impose relativement au motif de refus basé sur le fait que le Bénin doit être considéré comme un pays d’origine sûr où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions au sens de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 précité, le demandeur restant en effet en défaut, au-delà d’évoquer de manière tout à fait générale un arrière-fond politique à ses problèmes, d’expliciter concrètement et spécifiquement en quoi la conclusion ministérielle lui opposée serait erronée, voire de soumettre ici encore un quelconque élément tangible de nature à contredire en fait cette conclusion.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en réformation laisse d’être fondé faute de comporter des éléments suffisants permettant d’ébranler utilement le bien fondé des motifs de refus opposés à Monsieur ….

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais .

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18714
Date de la décision : 14/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-14;18714 ?

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