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02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18830

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18830


Tribunal administratif N° 18830 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Montén...

Tribunal administratif N° 18830 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18830 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 20 août 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 30 septembre 2004, suite à un recours gracieux du 22 septembre 2004 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 31 janvier 2005, en présence de Maître Louis TINTI ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES.

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Le 13 juillet 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur… fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur… fut entendu le 30 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 20 août 2004 notifiée par courrier recommandé expédié le 1er septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur… de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 22 septembre 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre prit une décision confirmative le 30 septembre 2004.

Le 8 novembre 2004, Monsieur… a fait introduire un recours en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait été victime « ou pourrait être victime » de persécutions au Kosovo du fait de son appartenance à la minorité goranaise. Il précise à ce sujet qu’il aurait été lui-même, tout comme tous les Goranais, considéré comme collaborateur des Serbes pendant la guerre, et décrit, d’une manière générale, la situation difficile dont souffriraient les minorités ethniques en général et les Goranais en particulier au Kosovo, ainsi que sa propre situation, caractérisée par le fait qu’il était exposé aux reproches verbaux d’Albanais.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il relève que ni la situation générale d’un pays, ni la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il expose encore que la situation des Goranais se serait améliorée, en renvoyant à un rapport de l’UNHCR de janvier 2003 et reproche enfin au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il résulte en effet des déclarations du demandeur telles que relatées dans le rapport d’audition du 30 juillet 2004 que celui-ci n’a pas fait l’objet de persécutions spécifiques laissant supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, s’il fait état de manière générale et vague d’un sentiment d’insécurité trouvant son origine dans l’attitude hostile des Albanais, il ne relate aucun incident précis laissant supposer un danger sérieux et spécifique pour sa personne, et qui justifierait sa fuite, les seuls persécutions concrètes auxquelles il aurait été exposé se limitant à des reproches verbaux : « Ce sont des mots. Cela veut dire beaucoup.(…) Ils me disent que je suis une vraie merde (…) On me l’a dit plus que dix fois. Quand je marche dans la rue j’ai peur de tout le monde ».

Il s’avère dès lors que sa fuite vers le Luxembourg a été motivée par un sentiment général d’insécurité .

Or, concernant cette crainte générale exprimée par le demandeur d’actes de persécution à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise de la part d’Albanais, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités ethniques au Kosovo, en l’espèce celle des Goranais, est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à des discriminations, elle n’est cependant pas telle que tout membre d’une minorité ethnique serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève. Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

A cet égard, il y a lieu de constater que suivant la version actualisée du rapport de l’UNHCR datant de juin 2004 sur la situation des minorités au Kosovo, et notamment celle des Goranais : « The overall security situation of the Gorani, who are predominantly concentrated in the isolated and underdeveloped southernmost municipality of Dragash/Dragas, remained stable.

With the exception of one stoning incident against a Gorani-operated bus in May 2003, no ethnically motivated incidents involving Gorani were reported. The local population, both Gorani and Albanian, continued to be exposed to insecurity arising from infiltration of criminal elements from Albania and were subjected to robberies and violence1».

Quant à leur situation après les incidents ayant eu lieu entre le 15 et le 19 mars 2004, force est de constater que les Goranais n’étaient pas la cible directe des affrontements. En effet il est relaté dans la troisième partie du rapport précité intitulée « Situation of minority groups by region in light of the turmoil in march 2004 » que « Kosovo Serbs were the primary target of inter-

ethnic violence. … Finally, whereas Bosniaks and Gorani did not become a direct target of the violence, in some locations they felt sufficiently at risk that they opted for precautionary movements, or where evacuated by police, to safer places2 et encore « The few Bosniaks and Gorani who were displaced during the mid-March unrest have returned to their home communities. Returnees and remainees have resumed the same levels of freedoms they enjoyed prior to the events.3».

Enfin, dans un second rapport datant quant à lui d’août 2004, l’UNHCR souligne que « the security situation for Kosovo Bosniaks and Goranis has remained stable,with no serious incidents of violence reported » ainsi que « whereas the Bosniaks and Goranis were not directly targeted during the turmoil in March 2004, in some locations they felt insecure and opted for precautionary movements. Two families were evacuated by the police from the Bosniak Mahalla in Mitrovice/a North, while several others left on their own initiatives. Living in a Serb neighbourhood in Fushe Kosova/Kosovo Polje and seeing their Serb neighbours being attacked, several Gorani families left their homes as a precautionary measure. No other attacks or self-

imposed evacuations have been reported, although the two ethnic communities anxiously followed the unfolding developments. The events have inevitably left the communities with a heightened sense of insecurity and in a state of constant alert 4».

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont le demandeur fait état s’analysent en substance en un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

1 Update on the Kosovo Roma, Ashkaelia, Egyptian, Serb, Bosniak, Gorani and Albanian communities in a minority situation, UNHCR Kosovo, June 2004, p.28.

2 op.cit., p. 31 et 32.

3 op.cit., p. 46.

4 UNHCR Position on the Continued International Protection Needs of Individuals from Kosovo, August 2004, p.5.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18830
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18830 ?

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