La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18806

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18806


Tribunal administratif N° 18806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2004 Audience publique du 2 février 2005

=============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

--------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18806 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avo

cats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Gllogovc (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de national...

Tribunal administratif N° 18806 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 novembre 2004 Audience publique du 2 février 2005

=============================

Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

--------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18806 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Gllogovc (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration intervenue le 20 août 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 18 novembre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 16 janvier 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 août 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du service de police judiciaire du 18 novembre 2003 que vous auriez quitté votre domicile au Kosovo le 13 novembre 2003 à bord d’une voiture qui vous aurait emmené au Luxembourg, où vous seriez arrivé le 18 novembre 2003, date du dépôt de votre demande d’asile.

Vous déclarez que l’oncle de votre père, un certain Gjafer Qorri, aurait été responsable du poste de police à Gllogovc/Kosovo et aurait collaboré avec le régime serbe. Il aurait été tué par des membres de l’UCK en septembre ou octobre 1998. A partir de cette date, la maison de cet oncle voisine de la vôtre aurait été sous surveillance permanente de la police serbe. Peu après cet assassinat, vous et votre père auriez été la cible de deux tentatives de meurtre commises également par des membres de l’UCK le 25 octobre 1998 et le 29 ou 30 janvier 1999. D’après vous, ces tentatives seraient liées conjointement au fait que vous seriez simple sympathisant du LDK et que l’oncle de votre père aurait collaboré avec les serbes.

Votre père aurait également été soupçonné de ce même fait, mais vous dites qu’il ne l’aurait pas effectivement fait. Ne vous sentant plus en sécurité à Gllogovc/Kosovo, vous auriez déménagé à Bresa/Kosovo en janvier 1999. Depuis ce déménagement, vous reconnaissez ne plus avoir été la cible de l’UCK, mais vous précisez que des anciens membres de l’UCK auraient menacé votre famille de mort et qu’elle serait menacée de par sa position « entre deux feux », du côté des serbes et des albanais.

Vous dites avoir quitté le Kosovo parce que vous auriez craint pour votre vie. Vous auriez peur des anciens membres de l’UCK qui se seraient retrouvés fonctionnaires au sein du TMK, Corps de sécurité du Kosovo. Vous motivez votre crainte par rapport au nombre d’assassinats politiques qui auraient été perpétrés par des anciens membres de l’UCK depuis la fin du conflit du Kosovo.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je me dois tout d’abord de constater que vous n’êtes pas en mesure de prouver que votre dernier lieu de résidence a effectivement été au Kosovo.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève.

En effet, à défaut d’un quelconque élément objectif de preuve, les deux prétendues tentatives d’assassinat par l’UCK en 1998 et 1999 ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique alors que ces évènements sont non seulement trop éloignés dans le temps pour être pertinents, mais encore parce qu’ils ne se sont plus reproduits depuis votre déménagement à Bresa/Kosovo en janvier 1999. Force est donc de constater que vous avez pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne en déménageant à Bresa.

En ce qui concerne les menaces de mort émanant d’anciens membres de l’UCK, elles ne sauraient constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève de 1951 étant donné que ces personnes ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la prédite Convention. Par ailleurs, il n’est pas établi que les forces onusiennes seraient dans l’incapacité de vous fournir une protection quelconque. De même, la simple sympathie pour un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que non seulement vous n’exerciez aucune activité politique au sein du LDK mais encore que le LDK est actuellement au pouvoir au Kosovo, de sorte qu’une crainte liée à l’appartenance à ce parti n’a pas lieu d’être. Votre peur des serbes et des albanais à Bresa ne saurait davantage justifier une demande d’asile politique. Pris dans leur ensemble, vos craintes traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, il n’est pas exclu que des raisons matérielles sous-tendent votre demande d’asile. A ce sujet, il y a lieu de noter que des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande d’asile politique.

Il faut également souligner qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Après les violences généralisées de mars 2004, « la situation en matière de sécurité est restée, dans l’ensemble, calme et stable » a indiqué Hédi Annabi, sous-secrétaire général aux opérations de maintien de la paix de l’ONU le 5 août 2004. De nouvelles élections législatives sont prévues pour octobre 2004. Le Kosovo doit également être considéré comme territoire où il n’existe pas en règle générale des risques de persécutions pour les albanais.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 22 septembre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 30 septembre 2004, M. …, par requête déposée le 3 novembre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus susvisée du 20 août 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient que tous les membres de sa famille auraient subi des menaces de la part d’anciens membres de l’UCK, qu’un oncle aurait été assassiné par ceux-ci et que lui même aurait reçu des menaces de mort. Sur ce, ajoutant qu’une possibilité de fuite interne n’existerait pas dans son chef et qu’en cas de retour dans son pays d’origine, sa vie y serait en danger, il sollicite l’octroi du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre compétent aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il y a lieu de préciser dans ce contexte que le fait que son oncle a été assassiné par des individus, prétendus anciens membres de l’UCK, et les prétendues menaces de mort à son encontre, à les admettre comme étant vraies, ne sauraient suffire à eux seuls pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur, les auteurs ne pouvant pas être considérés comme des agents de persécution au sens de ladite Convention et le demandeur restant en défaut d’établir à suffisance de droit avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine ainsi qu’un refus ou une impossibilité de pouvoir obtenir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine au Kosovo et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle notamment dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Sünnen, juge, et lu à l’audience publique du 2 février 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18806
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18806 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award