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02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18799

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18799


Tribunal administratif N° 18799 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18799 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Lagos (Nigeria), d...

Tribunal administratif N° 18799 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18799 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Lagos (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 30 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 27 septembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 20 juillet 2004, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu le 22 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 30 juillet 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Il résulte de vos déclarations qu’un jour d’octobre 2003 le chauffeur de vos parents vous aurait contacté sur votre téléphone portable afin de vous informer de l’assassinat de vos parents par des membres du parti opposant « AD », effectué à la sortie d’un meeting, et de vous dire de vous enfuir sinon ils vous tueraient. Vous précisez que vos parents auraient été membres du parti « PDP », parti au pouvoir. Vous vous seriez alors rendu chez un ami, puis une connaissance de cet ami vous aurait payé le billet d’avion et fourni un passeport pour pouvoir vous rendre à Paris en avion. Arrivé dans la capitale française, vous auriez ensuite pris un train pour Luxembourg.

Vous déclarez avoir peur des assassins de vos parents, peur qu’ils vous tuent en raison de leur crainte d’une éventuelle future vengeance de votre part. Vous dites que même si vous ne les connaissiez pas, ils pourraient avoir des informations sur vous et peut-être même une photo.

Vous ajoutez ne pas être allé à la police car vous ne savez pas quelle serait l’identité des personnes qui auraient tué vos parents, d’ailleurs vous prétendez même que cela pourrait être la police, sans en apporter la moindre explication.

Enfin, vous n’êtres membre d’aucun parti politique.

Pour le surplus, vous n’auriez subi aucune persécution ni mauvais traitement.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution ni mauvais traitement, votre crainte de personnes inconnues traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’ailleurs des membres du parti opposant ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la prédite Convention. Et force est de constater que des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement peuvent être invoquées à l’appui d’une demande d’obtention du statut de réfugié si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. Or, vous déclarez ne pas avoir requis la protection des autorités de votre pays, il n’est ainsi pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous protéger ou bien qu’elles encourageraient vos prétendus ennemis.

De toute façon, il est peu probable que des personnes qui ne vous connaissent même pas, puissent vous retrouver. Vous ne faites que présumer qu’ils possèdent votre photo ou des informations sur vous, il en est de même pour les motifs fondant leur désir de vous tuer. Il convient également de remarquer qu’à supposer les faits établis, la volonté des membres du parti opposant de vous éliminer afin d’éviter un jour une vengeance de votre part eu égard au meurtre de vos parents ne constitue pas une crainte de persécution au sens d’un des motifs de la Convention de Genève.

De plus, une contradiction doit être relevée selon laquelle vous faites état de l’assassinat de vos parents exécuté par des membres du parti opposant, or plus loin vous dites que peut être il pourrait s’agir de la police, en revenant finalement sur vos dires en précisant que vous ne sauriez pas qui a tué vos parents. Par conséquent, l’arrière fond politique du décès de vos parents est loin d’être établi.

Enfin, à la question d’une possibilité de fuite interne, vous n’apportez en l’espèce aucune raison valable justifiant une impossibilité de vous installer dans une autre région de votre pays d’origine.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 2 septembre 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 27 septembre 2004, M…., par requête déposée le 29 octobre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées des 30 juillet et 27 septembre 2004.

Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance aux deux autorités ministérielles, successivement compétentes en la matière, d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif que ses père et mère, tous les deux membres du parti « PDS », auraient été assassinés à la sortie d’un meeting et qu’il risquerait de subir le même sort. Il ajoute qu’en raison du climat général d’instabilité et d’insécurité régnant au Nigeria, une protection des autorités chargées du maintien de l’ordre et de la sécurité publics ne lui serait pas garantie.

Le représentant étatique soutient que les deux ministres auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même en admettant le récit du demandeur relativement à l’assassinat de ses parents et en admettant qu’il ait été perpétré par des membres d’un parti d’opposition, c’est-à-

dire en admettant un arrière fond politique, force est de constater qu’il ne se dégage pas à suffisance de droit des éléments d’appréciation qui ont été soumis au tribunal que le demandeur, qui lui-même n’a pas été politiquement actif et qui n’a pas été présent lors du meurtre de ses parents, risquerait également d’être la cible des meurtriers.

S’y ajoute qu’au regard du champ d’action territorialement limité des prétendus agresseurs, les problèmes allégués se révèlent essentiellement limités à la ville ou région d’origine du demandeur, ce dernier ne justifiant pas l’existence d’une impossibilité de trouver refuge sur l’intégralité du territoire de son pays d’origine, étant rappelé que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Sünnen, juge, et lu à l’audience publique du 2 février 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18799
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18799 ?

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