La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18771

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18771


Tribunal administratif N° 18771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18771 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sophie TRAXER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, né le … (Guinée), de nationalité guinéenne, retenu actuellement au ...

Tribunal administratif N° 18771 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, Schrassig contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18771 du rôle, déposée le 25 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sophie TRAXER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Guinée), de nationalité guinéenne, retenu actuellement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 mai 2003, notifiée en mains propres le 24 septembre 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2004 au nom et pour le compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 31 janvier 2005, en présence de Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES.

___________________________________________________________________________

Monsieur … introduisit en date du 24 juillet 2003 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu les 6 et 15 octobre 2003 et 20 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur… par décision du 4 mai 2004, lui notifiée en mains propres le 24 septembre 2004, de ce que sa demande avait été rejetée au motif que non seulement sa demande serait basée sur une fausse déclaration, mais encore que le demandeur n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef. Il y précise que du moment où sa demande peut être considérée comme manifestement infondée, elle peut, a fortiori, également être rejetée comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 4 mai 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait plaider que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé le statut de réfugié au motif qu’il aurait dans un premier temps « omis » de mentionner le fait qu’il aurait auparavant déjà déposé dans d’autres pays de l’Union Européenne des demandes tendant à l’obtention du statut de réfugié.

Il fait valoir que ce comportement serait justifié « par la crainte de voir sa demande rejetée par le seul fait que des demandes ont été faites pour les mêmes raisons auprès d’autres pays », et estime en substance que cette omission ne serait pas relevante, puisque les faits gisant à la base de sa demande exprimeraient « la parfaite réalité de sa situation ».

Il reproche encore au ministre d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, à savoir le fait d’appartenir à une minorité ethnique persécutée ainsi qu’à un parti d’opposition réprimé par l’armée guinéenne, qui se serait rendue coupable de nombreuses exactions.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.

Il insiste à ce sujet sur les invraisemblances et mensonges qui constelleraient le récit du demandeur et souligne que le seul fait d’appartenir à une minorité ethnique – en l’espèce l’ethnie peul – ne saurait justifier à elle seule l’octroi du statut de réfugié.

Le demandeur fait répliquer en précisant ses craintes de persécution et en affirmant qu’il aurait été contraint de cacher aux autorités luxembourgeoises la vérité en ce qui concerne les demandes d’asile présentées dans d’autres pays européens « pour éviter d’être renvoyé dans son pays d’origine où de graves ennuis l’attendent ».

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu des dispositions de l’article 6 1), 2b) et 2c) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée : « Une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. (…) 2) Tel est le cas notamment lorsque le demandeur a(…) b) délibérément fait de fausses déclarations verbales ou écrites au sujet de sa demande, après avoir demandé l’asile; c) détruit, endommagé ou fait disparaître de mauvaise foi un passeport ou tout autre document ou billet pouvant servir à l’examen de sa demande, dans le but d’établir une fausse identité pour les besoins de sa demande d’asile ou d’en compliquer l’examen. » Les cas énumérés à l’article 6, alinéa 2, sub a) à g) constituent non pas des conditions supplémentaires à remplir dans le chef d’un demandeur d’asile pour voir sa demande d’asile considérée comme manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er du même article, mais traduisent des illustrations de ce que le législateur a envisagé d’une manière plus générale à l’alinéa 1er de l’article 6 prévisé, de sorte que le demandeur d’asile qui range dans une des hypothèses plus particulièrement envisagées à l’alinéa 2 de l’article 6 peut en principe automatiquement être considéré comme ayant présenté une demande d’asile manifestement infondée au sens de l’alinéa 1er de l’article 6, sans que le ministre n’ait besoin d’établir au-

delà des éléments caractérisant le cas pertinent énuméré à l’alinéa 2 de l’article 6, également le caractère frauduleux de l’objectif de la demande lui adressée, celui-ci se dégageant précisément des éléments constitutifs des différents cas plus particulièrement envisagés (trib.

adm. 5 février 2001, n° 12469a, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 96, p.214).

En l’espèce, force est de constater que le demandeur centre sa crainte de persécution autour de son arrestation en février 2003 par l’armée guinéenne. Il relate à ce sujet avoir emprunté en date du 13 février 2003 la voiture d’une connaissance et avoir accepté de prendre trois jeunes en auto-stop. Ceux-ci ayant insisté pour que le demandeur fasse un détour afin de prendre des sacs qui leur appartenaient, le demandeur aurait accepté, mais serait tombé dans un contrôle de l’armée au cours duquel il se serait avéré que les sacs transportés contenaient des armes. Le demandeur affirme avoir été aussitôt arrêté et emprisonné, mais avoir réussi à s’évader en juillet 2003 grâce à la complicité d’un officier, oncle de sa copine.

Il affirme encore avoir changé de religion en mars 2002 pour faire plaisir à sa copine qui aurait été enceinte à cette époque, mais se ravise aussitôt pour affirmer que sa copine ne serait tombée enceinte qu’en 2003.

Au cours de cette audition, le demandeur affirme encore n’avoir auparavant jamais séjourné dans un pays de l’Union Européenne et n’avoir jamais demandé d’asile dans un autre pays.

Au cours de son audition du 15 octobre 2003, le demandeur réaffirme ne jamais avoir demande auparavant d’asile, de s’être trouvé tant en 2000 qu’en 2002 en Guinée et n’avoir jamais séjourné auparavant aux Pays-Bas. Confronté par l’agent du ministère au fait que le ministère détiendrait des informations selon lesquelles il aurait déjà précédemment formulé une demande d’asile dans un autre pays, le demandeur conteste formellement : « Je n’ai jamais demandé l’asile avant ».

En date du 20 février 2004, le demandeur s’est rendu à une troisième audition au cours de laquelle il réaffirma avoir quitté la Guinée le 22 juillet 2003 et ne jamais avoir déposé auparavant de demande d’asile.

Confronté au fait que ses empreintes digitales auraient été prises en Belgique en 2000, le demandeur rétorque « Cela m’étonnerait (…) je ne vous mens pas, j’étais déjà venu chez vous deux fois dans l’audition, je ne vais pas vous mentir trois fois », pour aussitôt se rétracter et admettre avoir séjourné auparavant en Belgique et aux Pays-Bas où il aurait chaque fois déposé une demande d’asile.

Il ressort en effet d’un document établi par l’Office des Etrangers du Service Public Fédéral Intérieur néerlandais que les empreintes digitales de Monsieur… ont été relevées aux Pays-Bas en date du 7 août 2000, le demandeur s’étant identifié à cette occasion en tant que Ibrahim BARRIE, né le 15 septembre 1976 à Freetown (Sierra Leone), tandis qu’il résulte d’un document émanant du ministère de la Justice belge que le demandeur a déposé une demande d’asile en Belgique le 17 octobre 2000 sous l’identité de Mohamed Lamine…, né le 6 août 1978 en Guinée, demande rejetée en date du 28 février 2001. Il ressort encore de ce même document que Monsieur… s’est soustrait aux autorités belges aux alentours du 18 décembre 2002.

Il en résulte qu’à l’époque des faits relatés par le demandeur à l’appui de sa demande, il ne se trouvait pas en Guinée mais en Europe sous le couvert de différentes identités.

Le tribunal est partant amené à constater que le demandeur a délibérément fait de fausses déclarations, en affirmant ne jamais avoir séjourné auparavant dans un pays de l’Union européenne et ne jamais avoir déposé de demande d’asile dans un pays européen.

Outre le fait qu’une telle fausse déclaration délibérée, de même que l’usage d’identités différentes, est de nature à sérieusement ébranler la crédibilité du demandeur et de son récit, il y a lieu de relever qu’à partir du moment où il est établi que le cas d’un demandeur d’asile correspond à l’un des cas plus particulièrement envisagés à l’alinéa 2 de l’article 6, le demandeur ne peut éviter que sa demande ne soit automatiquement rejetée qu’en donnant, en application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 6, une explication satisfaisante relative à la fraude lui reprochée.

Force est cependant de constater que le demandeur ne fournit aucune explication plausible pour justifier ses fausses déclarations, l’explication selon laquelle il aurait été obligé de cacher la vérité aux autorités luxembourgeoises pour éviter d’être renvoyé en Guinée n’étant pas crédible et ne saurait en aucune mesure justifier la fraude délibérée, étant donné que le fait d’avoir précédemment posé des demandes d’asile dans d’autres pays n’a pas pour conséquence le refoulement du demandeur vers son pays d’origine, mais, le cas échéant, son transfert vers le pays européen en charge de sa première demande d’asile.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm.

19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18771
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18771 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award