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02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18713

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18713


Tribunal administratif N° 18713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18713 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2004 par Maître Louis TINTI,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Plesh...

Tribunal administratif N° 18713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 octobre 2004 Audience publique du 2 février 2005

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18713 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Pleshist (Albanie), et de son épouse, Mme …-…, née le … à Sboq-Korc (Albanie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 24 juin 2004 rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 7 septembre 2004, suite à un recours gracieux des demandeurs ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 6 mai 2003, M. … et son épouse, Mme … …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, les époux …-… furent entendus par un agent de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Ils furent encore entendus respectivement les 27 mai et 21 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 24 juin 2004, le ministre de la Justice les informa que leur demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté Tirana le 3 mai 2003. Vous seriez montés dans un camion et le 6 mai, vous auriez été déposés au Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune précision quant à votre trajet.

Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié le 6 mai 2003.

Monsieur, vous auriez fait votre service militaire de 1986 à 1988. Vous auriez été membre du parti démocratique depuis 1991. A partir de 1997, vous auriez été président de la section de votre quartier, à Tirana. A ce titre, vous auriez organisé les meetings demandés par votre hiérarchie et vous auriez été membre de la commission des élections municipales d’octobre 2000.

Le 11 novembre 2000, un grand meeting aurait été organisé à Tirana. Ce meeting aurait eu pour but de renverser le régime socialiste. A la fin du meeting, vous auriez été arrêté par le SHIK. Vous auriez été frappé par les agents du SHIK. Vous auriez passé soixante-douze heures en garde à vue. Le 13 novembre 2000, vous seriez passé en jugement et vous auriez été condamné à une peine d’emprisonnement. Vingt-cinq jours après votre arrestation, des membres d’une organisation humanitaire seraient venus vous voir. Vous auriez comparu une seconde fois devant le tribunal le 26 décembre 2000 et vous auriez été encore condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée. Lors du second procès, vous dites avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat. Vous seriez resté en prison jusqu’au 10 septembre 2002. Par la suite, vous auriez été assigné à résidence et, en pratique, la police serait passée régulièrement contrôler votre présence à la maison.

Le 14 avril 2003, après avoir reçu la visite de deux amis, des policiers venus vous contrôler vous auraient frappé. Ils vous aurait menacé de subir le même sort que le cousin de votre épouse qui aurait été tué devant sa maison. Votre épouse vous aurait emmené à l’hôpital et trois journalistes seraient ensuite venus vous voir. Après cela, vous auriez décidé de quitter l’Albanie pour n’y revenir que quand votre parti sera au pouvoir.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez que, d’après votre belle-mère, des policiers le rechercheraient encore.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentifs au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je constate, Monsieur, que, en tant que président d’un comité de quartier de votre parti, vous n’aviez qu’un poste d’exécutant puisque vous n’organisiez des meetings que sur instigation du parti. Ceci ne vous plaçait pas dans une situation particulièrement exposée.

Votre arrestation et votre condamnation à un emprisonnement datent de l’année 2000, époque où la situation en Albanie était différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Je note pour le surplus que vous n’avez pas interjeté appel contre cette sentence. Quant à l’attaque du 14 avril 2003, vous dites qu’elle émanait de deux policiers, mais je note que la pièce que vous versez à ce sujet (un article de journal) parle de « personnes inconnues » et non de policiers.

Quant à vous, Madame, je note que vous n’avez fait l’objet d’aucune persécution particulière. Ce qui serait, d’après vous, arrivé à votre cousin ne saurait entraîner dans votre chef l’obtention d’office du statut de réfugié.

Je constate donc que vos dires reflètent surtout un sentiment d’insécurité générale qui ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En effet, en ce qui concerne la situation politique en Albanie, elle s’est considérablement stabilisée. Depuis 2002, le dialogue est ouvert entre le parti socialiste et le parti démocratique de Sali BERISHA. Actuellement, le premier ministre Fatos NANO doit composer avec les membres des partis de l’opposition.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de leur mandataire le 26 juillet 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 7 septembre 2004, les consorts …-…, par requête déposée le 11 octobre 2004, ont fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions prévisées des 26 juillet et 7 septembre 2004.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs reprochent aux deux autorités ministérielles, successivement compétentes en la matière, d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant leur demande d’asile. Ils soutiennent remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif que M. … aurait subi différentes persécutions en raison de son appartenance au parti démocratique, dont il aurait été président de section dans un quartier de Tirana, fonction l’ayant appelé à organiser des meetings, étant relevé qu’en raison de son activisme, il aurait été arrêté au mois de novembre 2000 et aurait subi deux peines d’emprisonnement jusqu’au 10 septembre 2002, date à laquelle il aurait été libéré, mais assigné à résidence. Les demandeurs ajoutent que le 14 avril 2004, après avoir reçu des amis, sympathisants du parti démocrate, M. … aurait été « violemment frappé » par des policiers et menacé de mort, suite à quoi ils auraient décidé de quitter leur pays d’origine.

Etant donné que la situation générale resterait instable et que le parti socialiste serait au pouvoir, ils estiment ne pas pouvoir rentrer en Albanie sous peine de mettre leur vie en danger.

Le représentant étatique soutient que les deux ministres auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation des demandeurs d’asile en cas de retour dans leur pays d’origine, en l’occurrence l’Albanie, il convient de relever qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait avant leur départ, respectivement à l’époque de leur départ.

En ce qui concerne cette situation actuelle, s’il est vrai que des tensions, notamment politiques persistent en Albanie, il est cependant vrai aussi que depuis l’année 2002, la situation générale s’est stabilisée et la situation politique y a favorablement évolué, étant relevé plus particulièrement qu’il n’appert pas des éléments d’appréciation soumis en cause que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Albanie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres du parti démocratique.

Ceci étant, même si les déclarations des demandeurs relativement à l’engagement politique de M. … et aux exactions et poursuites dont il déclare avoir été la victime dans le passé peuvent être considérées comme étant crédibles, le tribunal est néanmoins amené à retenir que les risques concrets de persécution invoqués ne revêtent plus un caractère d’actualité faisant dégager qu’en cas de retour en Albanie, les demandeurs seraient placés dans une situation qu’il faudrait considérer comme intolérable. Ainsi, il n’est pas établi à suffisance de droit qu’à l’heure actuelle, M. … ou les membres de sa famille seraient toujours particulièrement exposés à des actes de persécutions en raison des activités politiques de M.

…, étant précisé que le rôle politique assumé par M. … au sein du parti démocratique n’a pas été un rôle de dirigeant spécialement exposé, mais essentiellement, comme le soulignent à juste titre les ministres compétents, de même que le délégué du gouvernement, un rôle de simple exécutant.

Enfin, même en admettant qu’en cas de retour dans son quartier d’origine, voire même dans sa ville d’origine, un risque persisterait à l’heure actuelle, les demandeurs n’établissent pas qu’ils ne peuvent pas trouver refuge dans une autre ville ou village albanaise, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Sünnen, juge, et lu à l’audience publique du 2 février 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18713
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18713 ?

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