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02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18441

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18441


Tribunal administratif N° 18441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n

om de Monsieur …, né le … (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant actuellement à L-...

Tribunal administratif N° 18441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 3 mai 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 juin 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur, ainsi que Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries à l’audience publique du 24 janvier 2005.

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Le 22 novembre 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu en date du 16 avril 2003 ainsi que des 11 et 13 juin 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 3 mai 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 5 mai 2004, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur … par courrier du 4 juin 2004, le ministre prit une décision confirmative datée du 15 juin 2004, qui lui fut notifiée par courrier recommandé expédié le 18 juin 2004.

Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 juillet 2004.

L'article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile, 2. d'un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d'asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l'analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Monsieur … fait exposer qu’en tant que journaliste du « Yerevanian Orer » enquêtant sur des sujets sensibles, tels que la situation des conscrits dans les forces armées arméniennes, il aurait fait l’objet de persécutions de la part des autorités. Il relate avoir été agressé et arrêté en mai 1997 par la police militaire à la suite de la publication d’un article dénonçant des cas de corruption de fonctionnaires et de favoritisme au profit d’enfants de fonctionnaires à l’occasion de leur service militaire. Il précise que le « Yerevanian Orer » a été contraint de fermer pour avoir tenté de rendre public son arrestation, et n’aurait repris ses activités qu’en avril 1998.

Il fait encore plaider qu’en 1998, suite à une enquête qu’il aurait mené au sujet de la mort tragique de plusieurs soldats près de la frontière avec l’Azerbaïdjan, mort qui aurait été causée par le fils du responsable de la police militaire d’Erevan, un certain B., les persécutions à son encontre auraient repris, pour culminer en octobre 1999, à l’occasion d’une tentative de coup d’Etat, où il aurait été à nouveau arrêté et où son domicile aurait été perquisitionné, les locaux du journal ayant à leur tour été fouillés en juin 2000.

Il affirme que depuis lors les menaces à son égard se seraient multipliées, de sorte qu’il aurait décidé de fuir l’Arménie.

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

Il y a lieu de relever liminairement que les décisions ministérielles litigieuses, outre d’être motivées quant au fond par la considération que les motifs de persécution invoqués par le demandeur ne sauraient pas, de par leur nature générale s’apparentant à un sentiment d’insécurité, être utilement retenus pour justifier une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, sont d’abord basées sur le constat d’un défaut de crédibilité au niveau du récit présenté par le demandeur à l’appui de sa demande, le ministre, dans sa décision initiale du 3 mai 2004, ayant fait état à cet égard d’éléments mettant en doute la crédibilité des déclarations du demandeur.

Le ministre a plus précisément mis en exergue que selon ses propres informations, émanant du « Yeravanian Press Club », le journal où travaillait le demandeur, à savoir le « Yerevanian Orer », n’est plus repris dans la liste de la presse écrite depuis mars 1997, pour en déduire que ce fait jette des doutes sur la véracité du récit du demandeur.

Le tribunal constate à ce sujet que le demandeur, confronté lors de son audition du 11 juin 2003, a affirmé que le « Yerevanian Orer » aurait continué à paraître après avril 1997 et s’est engagé à en fournir la preuve par la production d’exemplaires parus après avril 1997.

Force est encore de constater que si le demandeur mentionne dans son recours gracieux des « exemplaires de 1999 » prétendument communiqués au ministre, les pièces versées par lui au tribunal ne contiennent que des traductions d’extraits d’un journal dénommé « Aravot ».

Le tribunal relève encore que le demandeur verse une attestation datée du 24 mai 2004 émanant apparemment du rédacteur en chef adjoint du « Yerevanian Orer », de sorte qu’il aurait dû être aisé pour le demandeur d’obtenir par la même voie copie de publications récentes de ce même journal, ce qui aurait permis de clarifier la question de la réalité, ou du moins de la persistance des craintes de persécutions alléguées par Monsieur ….

Force est dès lors de constater que le demandeur n’a pas fourni le moindre élément tangible susceptible d’élucider sa situation au regard des interrogations pourtant clairement posées, de sorte que le tribunal, confronté à un dossier non autrement instruit sur ce point, ne peut que constater que ledit motif de refus n’a pas été utilement combattu, de manière à ne pas avoir mis le tribunal en mesure d’engager utilement un quelconque débat afférent.

En effet, si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond en la présente matière, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, mais que son rôle ne consiste pas à procéder indépendamment des motifs de refus ministériels à un réexamen général et global de la situation des requérants. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif aux déclarations du demandeur faites lors de ses auditions, mais il appartient au demandeur d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier le tribunal ne saurait utilement tenir compte des éventuelles persécutions personnelles dont le demandeur fait état, étant donné que le demandeur reste en défaut d’écarter les doutes y relatifs émis par le ministre.

Il suit de ce qui précède que le demandeur, à défaut de faire état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, se prévaut plutôt d’un sentiment d’insécurité. Cette conclusion est d’ailleurs corroborée par les propres dires du demandeur, qui lors de l’audition du 11 juin 2003, après avoir fait état des persécutions analysées ci-avant, précise « ce que je viens de raconter jusqu’à présent, ne constitue pas la raison de mon départ pour le Luxembourg, mais uniquement un prétexte. La profonde raison est qu’un grand nombre de journalistes sont amenés soit à ne plus exercer leur métier, soit à partir pour l’étranger face aux pressions exercées par le gouvernement et autorités criminelles en Arménie (…) ».

Or un tel sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, la reconnaissance du statut de réfugié n’étant en effet pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile sous analyse comme n’étant pas fondée. Il s’ensuit que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18441
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18441 ?

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