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02/02/2005 | LUXEMBOURG | N°18301

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2005, 18301


Tribunal administratif N° 18301 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18301 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 juin 2004 par Maître Victor Elvinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, te

ndant à l’annulation d’une décision, ainsi désignée, du ministre des Classes moyennes, du ...

Tribunal administratif N° 18301 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juin 2004 Audience publique du 2 février 2005 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18301 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 juin 2004 par Maître Victor Elvinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision, ainsi désignée, du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 5 février 2004 ainsi que d’une décision prise par le même ministre le 8 avril 2004 révoquant dans son chef l’autorisation d’établissement à exercer au Luxembourg l’activité d’architecte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Victor ELVINGER déposé au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Serge MARX, en remplacement de Maître Victor ELVINGER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2004.

Le 19 février 2003, Madame … s’adressa de la façon suivante au ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après « le ministère » :

„Betreff : Niederlassungsgenehmigung gem. Gesetz vom 28. Dezember 1988 Hiermit möchte ich einen Antrag auf Niederlassung gemäss dem oben angeführten Gesetz stellen.

Ich beabsichtige dauerhaft meine Tätigkeit als Architektin in Luxemburg auszuüben.

Mein Büro wird auch weiterhin in D. angesiedelt bleiben.

Seit dem 1.9.2002 habe ich meinen privaten Wohnsitz in Luxemburg…“ Suite à une demande d’information de la part du ministère sur l’adresse de l’établissement en question, Madame … précisa, en se référant à sa demande du 19 février 2003 que son bureau d’architecte restera établi à D. en Allemagne.

Le 24 juillet 2003, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-

après « le ministre » délivra à Madame … l’autorisation d’établissement à Luxembourg en tant qu’architecte.

Suite à l’invitation du ministre de se mettre en rapport avec l’Ordre des architectes et ingénieurs-conseils en vue de son inscription audit ordre, Madame … et ledit ordre échangèrent entre le mois de septembre 2003 et le mois de janvier 2004 plusieurs courriers.

Ainsi ledit ordre exigea de la part de Madame … d’abord « une copie de l’autorisation d’établissement délivrée par le Ministère des Classes Moyennes dont la localité où vous êtes autorisée à exercer doit correspondre à l’adresse de votre bureau (B. ou D. en Allemagne et dans ce cas il s’agit d’une autorisation pour une prestation de service) » et ensuite « une copie de l’autorisation d’établissement délivrée par le Ministère des Classes Moyennes établie pour la commune de B. ou F. et non pas Luxembourg ».

Suite à ces difficultés relatives à son inscription à l’Ordre des architectes et ingénieurs-

conseils, Madame … s’adressa le 5 janvier 2004 au ministère en précisant de nouveau qu’elle n’entendait pas ouvrir un second bureau d’architecte au Luxembourg et demanda d’être inscrite dans la troisième catégorie d’architectes intitulée « Bureaux d’architectes : Siège en dehors du Grand-Duché de Luxembourg ».

Le 5 février 2004, le ministre s’adressa de la façon suivante à Madame … :

« … suite à une erreur matérielle intervenue dans le dossier, l’organe consultatif prévu à cet effet propose de procéder à la révocation de l’autorisation no 100644 délivrée en date du 24 juillet 2003 pour l’exercice de la profession libérale d’architecte à Luxembourg-

Ville. En effet, d’après les données transmises par l’Ordre des Architectes et des Ingénieurs-

Conseils, il s’avère que votre siège d’établissement se trouve en République fédérale d’Allemagne et plus précisément à D., et non à Luxembourg.

Par conséquent, à défaut d’établissement sur le territoire luxembourgeois, seule une autorisation pour la prestation de services d’architecte, en d’autres termes pour un chantier précis au Grand-Duché de Luxembourg, pourra vous être délivrée.

Je fais miennes les conclusions de la commission. Une autorisation appropriée pourra vous être octroyée. Vous voudrez dans ces conditions m’indiquer préalablement le lieu et l’adresse exacte du chantier ainsi que le maître d’ouvrage en vue de l’octroi de l’autorisation afférente.

Conformément aux dispositions du règlement du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, vous disposez d’un délai de 8 jours à partir de la réception de la présente pour présenter d’éventuelles observations ou être entendue en personne … ».

Par un courrier du 12 février 2004, qualifié par la demanderesse de recours gracieux, Madame … s’adressa au ministre en lui faisant part de ses objections.

Le 8 avril 2004, le ministre fit parvenir à Madame … une décision libellée ainsi :

« Objet : Votre autorisation délivrée le 24 juillet 2003 Madame, Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre autorisation susmentionnée.

Comme suite à votre courrier en date du 12 février 2004 en réponse à notre courrier ministériel du 5 février 2004 proposant la révocation de l’autorisation susvisée pour défaut d’établissement au Luxembourg et consécutivement aux maints échanges téléphoniques me confirmant que vous opérez à partir de la République fédérale d’Allemagne, je révoque par conséquent l’autorisation n° 100644 délivrée en date du 24 juillet 2003, conformément aux dispositions de l’article 2 al. 3 de la loi d’établissement du 28 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997 ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2004, Madame … a fait déposer un recours en annulation contre la décision, ainsi désignée, du 5 février 2004 et contre celle du 8 avril 2004.

Quant au courrier ministériel du 5 février 2004 Force est de constater que le courrier ministériel du 5 février 2004 ne comporte pas d’élément décisionnel proprement dit, mais ne constitue qu’une étape préparatoire à la décision du 8 avril 2004 révoquant l’autorisation d’établissement en tant qu’architecte à Madame …, étant donné que le ministre a préalablement requis la demanderesse, en conformité avec l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes de lui faire part de ses observations éventuelles, étant donné qu’il s’apprêtait à révoquer dans son chef l’autorisation d’établissement délivrée, sans que ce courrier ne puisse être considéré comme constitutif d’une décision de refus.

Il s’ensuit que le recours dirigé à son encontre est irrecevable, pour être dirigé contre un acte préparatoire d’une décision administrative finale, constitutif d’une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci et échappant en tant que tel au recours contentieux1.

1 cf. Cour adm. 17 octobre 2000, n° du rôle 11904C, Pas. adm. 2003, V° Actes administratifs, n° 10 et autres références y citées Quant à la décision ministérielle du 8 avril 2004 Le délégué du Gouvernement fait valoir que le recours introduit ne serait pas fondé étant donné que Madame … a soutenu que sa demande adressée au ministère en vue d’exercer au Luxembourg la profession d’architecte, aurait dû être considérée dans le cadre de la libre prestation de services et non pas dans le cadre d’une autorisation d’établissement.

Il fait en plus valoir que dans la mesure où Madame … aurait omis jusqu’à ce jour de faire parvenir au ministère une déclaration préalable pour l’exercice d’une prestation ponctuelle de services, la décision ministérielle du 8 avril 2004 se prononçant sur la révocation de l’autorisation d’établissement serait irrecevable pour être dépourvue d’objet ou pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la demanderesse.

Même à admettre que la demande de Madame … aurait dû initialement être examinée dans le cadre de la libre prestation de services, il n’en reste pas moins que le ministre a examiné ladite demande dans le cadre de la législation applicable en matière d’autorisation d’établissement et a délivré à Madame … une autorisation d’établissement au Luxembourg en tant qu’architecte, de sorte qu’en procédant à la révocation de ladite autorisation le dit ministre s’est placé dans le cadre de la législation sur les autorisations d’établissement et a émis une décision faisant grief par sa nature même.

Dans le cadre du recours sous analyse, il n’appartient pas au tribunal d’examiner si c’est à bon droit que le ministre a délivré une autorisation d’établissement en tant qu’architecte à Madame …, même à admettre qu’en application du droit communautaire une telle autorisation n’aurait pas été nécessaire ou aurait dû s’inscrire dans un autre cadre légal, mais à examiner, dans le cadre des moyens présentés à l’appui du recours, si la révocation de cette autorisation d’établissement est légalement justifiée. A ce titre c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement a souligné que c’est la légalité du retrait d’une autorisation d’établissement qui est en discussion.

Au vu de ce qui précède, le recours en annulation, expressément prévu par l’article 2, alinéa 7 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ci-après dénommée « la loi d’établissement », est recevable pour avoir été introduit, par ailleurs, suivant les formes et délai de la loi.

Madame … demande ensuite l’annulation de la décision déférée pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

L’article 9 du règlement grand-ducal cité ci-avant dispose que « sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, …, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir… ».

Etant donné que par son courrier du 5 février 2004, le ministre a informé Madame … de son intention de révoquer dans son chef l’autorisation d’établissement délivrée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’ont amené à agir et étant donné que celle-

ci a pu faire parvenir au ministre ses observations y relatives par un courrier du 12 février 2004, ledit article 9 n’a pas été violé, de sorte que le moyen ainsi soulevé est à rejeter pour être non fondé.

Quant au fond La décision déférée comporte deux éléments :

1. le retrait de l’autorisation délivrée le 24 juillet 2003 au motif du défaut d’établissement au Luxembourg, 2. l’exigence de la présentation d’une demande d’autorisation pour la prestation de services en indiquant préalablement le lieu et l’adresse du chantier ainsi que le maître de l’ouvrage.

En ce qui concerne le 1er volet Même si Madame … estime que sa demande aurait dû être examinée dans le cadre de la libre prestation de services, elle fait valoir que par le fait que le ministre lui a néanmoins délivré une autorisation d’établissement, cette autorisation lui aurait permis de prester ses services sur le territoire du Luxembourg sans devoir demander une autorisation préalable pour chaque chantier. Elle ajoute que l’article 1er de la loi d’établissement n’exigerait pas expressément la présence d’un établissement au Luxembourg, motif qui a cependant été invoqué par le ministre pour lui retirer ladite autorisation, de sorte que cet article ne s’opposerait pas au maintien de l’autorisation. Elle termine en faisant valoir que le ministre, en lui retirant ladite autorisation, aurait commis un excès de pouvoir.

Le délégué du Gouvernement estime que le recours dirigé contre le retrait de l’autorisation d’établissement devrait être déclaré non fondé, dans la mesure où l’autorisation pour l’exercice de ses activités d’architecte avec établissement à Luxembourg aurait été délivrée erronément par le ministre, étant donné que Madame … exercerait en réalité ses activités en Allemagne et ce d’autant plus qu’elle aurait déclaré ne pas avoir sollicité une autorisation d’établissement, de sorte qu’elle ne saurait contester la décision de retrait sous ce rapport.

Il y a dès lors lieu d’analyser si le ministre a pu retirer l’autorisation d’établissement délivrée à Madame … pour défaut d’établissement au Luxembourg.

Aux termes de l’article 2, alinéa 4 « l’autorisation peut être révoquée pour les motifs qui en auraient justifié le refus », de sorte qu’il y a ensuite lieu d’analyser si le défaut d’établissement constitue un motif de refus d’une autorisation d’établissement.

L’établissement en droit européen est défini de la façon suivante : « fait, pour le ressortissant d’un Etat membre, d’entreprendre sur le territoire d’un autre Etat membre une activité non-salariée matérialisée par une installation et destinée dans l’esprit de son initiateur à prendre un caractère durable (ex. : création ou acquisition d’une entreprise), par opposition à prestation de services2 ».

L’exigence d’une « l’installation matérielle » est donc inhérente à la définition de l’établissement, de sorte à conditionner l’existence même du droit d’établissement.

L’installation matérielle, même si celle-ci n’est pas expressément exigée par la loi d’établissement, étant donné qu’elle est inhérente à la définition même de l’établissement, constitue dès lors une condition à remplir afin de pouvoir exercer son droit à établissement. Il s’ensuit que le constat du défaut d’établissement constitue un motif de refus de l’autorisation d’établissement. A ce titre, c’est à bon droit que le délégué du Gouvernement souligne qu’une autorisation d’établissement ne peut être délivrée, par définition, qu’en cas d’établissement sur le territoire de l’Etat d’accueil.

En l’espèce, dans la mesure où il est constant et non contesté sous cet aspect par la partie demanderesse que celle-ci est établie en tant qu’architecte en Allemagne et ne désire pas ouvrir un second bureau au Luxembourg3, le ministre a pu retirer l’autorisation d’établissement à Madame …, étant donné que la condition de fait devant être nécessairement remplie pour bénéficier d’une autorisation d’établissement, à savoir l’installation matérielle sur le territoire de l’Etat d’accueil, fait défaut dans son chef.

Ce faisant le ministre n’a ni violé la loi, ni commis un excès de pouvoir.

A ce titre les considérations avancées par Madame … en ce qu’il aurait appartenu au ministre de lui appliquer d’office le droit applicable n’enlèvent rien. En effet on peut légitimement admettre, au vu des courriers adressés par Madame … au ministère que celui-ci a interprété la demande de Madame … comme une demande tendant à l’octroi d’une autorisation d’établissement au Luxembourg, en sus de celle lui déjà délivrée en Allemagne et que ce malentendu entre parties s’est seulement dénoué suite aux difficultés rencontrées par Madame … au moment des démarches entreprises en vue de son inscription à l’Ordre des architectes et ingénieurs-conseils, de sorte que le ministre a légalement pu procéder au retrait de l’autorisation délivrée à partir du moment où il s’est rendu compte qu’en fait Madame … n’est pas établie et ne désire pas s’établir au Luxembourg.

En ce qui concerne le 2ième volet Madame … estime que le ministre, en exigeant une autorisation avec indication préalable d’un chantier, aurait violé la directive 85/384/CEE du Conseil du 10 juin 1985 visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres du domaine de l'architecture et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services et la loi d’établissement. Elle fait valoir qu’aux termes de l’article 22, paragraphe 1 de la directive 85/384/CEE, la prestation de service serait dispensée d’une autorisation administrative. Elle ajoute que cette dispense serait confirmée par l’article 20, alinéa 1er de la loi d’établissement et par l’article 7 de la loi du 13 décembre 1989 portant organisation des professions d’architecte et d’ingénieur-conseil.

2 Vocabulaire juridique, G. CORNU, PUF 1987, p. 320 3 Voir lettre de Madame … du 5 janvier 2004 adressé au ministre : « Finalement, je vous prie de bien vouloir considérer que je réside avec ma famille au Luxembourg, plus précisément à B.. Pour des raisons de travail administratif supplémentaire non négligeable et de qualité de vie, je veux éviter à créer un second siège d’établissement ».

Ensuite elle fait valoir que l’obligation de l’indication préalable d’un chantier, prévue à titre facultatif par l’article 22, paragraphe 2 de la directive 85/384/CEE, n’aurait pas été transposée en droit national, de sorte que le ministre ne saurait lui imposer pareille obligation.

En troisième lieu, elle soutient que le refus de l’Ordre des architectes et ingénieurs-

conseils refusant de l’inscrire à l’ordre des architectes serait constitutif d’un comportement entravant la libre prestation de services.

En premier lieu le délégué du Gouvernement fait valoir que la décision déférée ne serait pas à analyser dans le cadre de la prestation de service d’architecte, d’autant plus que la demanderesse n’aurait pas introduit une telle demande, de sorte que jusqu’à ce jour le ministre n’aurait pu lui délivrer ni une autorisation, ni un refus.

A titre subsidiaire, pour autant que la demande de Madame … pourrait être considérée comme une demande valable s’inscrivant dans le cadre de la libre prestation de service et que les décisions déférées porteraient refus ou retrait du droit d’effectuer des prestations de service d’architecte, il fait valoir que le recours ne serait pas fondé. Le délégué du Gouvernement fait préciser qu’en fait le ministère n’exigerait pas une autorisation pour la prestation de services, mais exigerait, en conformité avec les dispositions de la directive 85/384/CEE applicable en la matière, une simple indication préalable des références concernant le chantier projeté. Il ajoute que ni cette déclaration préalable, ni l’inscription à l’ordre des architectes ne seraient de nature à retarder ou à compliquer la prestation de service d’architecte. Il termine que ce serait à tort que la demanderesse invoquerait une violation du droit communautaire, étant donné qu’elle chercherait à se dérober à la formalité de la déclaration préalable.

Quant au défaut de transposition de la possibilité d’imposer une déclaration préalable, le délégué argue que si l’article 1er de la loi d’établissement ne constituait pas une base légale suffisante pour exiger une autorisation pour la prestation de services sans établissement, il constituerait néanmoins une base légale suffisante pour exiger une déclaration préalable. Il ajoute qu’en plus la simple réserve faite à l’article 20 de la loi d’établissement, en ce qu’il y est énoncé « sans préjudice des directives du Conseil en matière de la libre prestation des services pour les activités non salariées des professions visées par les présentes dispositions », serait suffisante pour exiger une déclaration préalable.

Madame … réplique que l’article 1er de la loi d’établissement ne saurait constituer une base légale suffisante pour imposer à un prestataire de services une déclaration préalable. En ce qui concerne la réservé émise in fine à l’article 20 de la loi d’établissement, elle réplique encore qu’elle ne pourrait en aucun cas valoir transposition de l’intégralité du texte de la directive 85/384/CEE. Elle ajoute que reconnaître à une pareille référence un effet de transposition ne serait pas conforme aux exigences de sécurité et de certitude juridiques imposées par la CJCE en ce qui concerne les conditions de transposition des directives. En effet, le législateur aurait adopté une approche minimaliste de la directive 85/384/CEE et n’aurait pas transposé en droit national les dispositions facultatives de la directive. Elle termine qu’à défaut de mesures de transposition en droit interne, un Etat ne saurait se prévaloir des dispositions d’une directive à l’encontre d’un particulier, étant donné qu’une directive ne peut créer par elle-même une obligation dans le chef d’un particulier.

Etant donné que c’est le principe-même, à savoir le fait de devoir demander une autorisation préalable ou de devoir faire une déclaration préalable en cas de prestation de services, qui est mis en cause par la demanderesse, il y a également lieu d’analyser la décision déférée sous cet aspect. A supposer que Madame … aboutisse dans son raisonnement, elle peut prester librement sur le territoire du Luxembourg, sans devoir demander une autorisation préalable, ni devoir faire une déclaration préalable du projet.

Etant donné que la notion de « prestation de services » se définit par opposition à celle d’ « établissement », dans la mesure où est visée « l’intervention économique concrétisée dans un Etat membre sous forme d’actes ou de série d’actes ponctuels, à partir d’un établissement installé sur le territoire d’un autre Etat membre4 », il est dès lors constant, au vu du fait que l’établissement de Madame … se trouve en Allemagne et au vu des explications supplémentaires par elles livrées, que celle-ci tombe au Luxembourg dans le champ d’application de la libre prestation de services.

En effet, si la formulation employée lors de d’introduction de la demande a pu prêter à confusion, cette confusion a été dissipée par la suite. Aussi, le courrier ministériel du 5 février 2004 précédant la décision proprement dite énonce d’un côté qu’il est envisagé de retirer l’autorisation d’établissement et précise d’un autre côté les démarches à entreprendre en cas de prestation de services. De même, Madame … a fait préciser « en l’espèce, Madame … n’aura pas de présence professionnelle stable au Luxembourg. Madame … a son bureau à D-

54619 D., à partir duquel elle propose ses services principalement à l’égard d’une clientèle établie en Allemagne (principalement des administrations). Toutefois en cas de besoin elle voudra également prester ses services au Luxembourg, sans toutefois demander à chaque fois une autorisation ad hoc, tel que demandé par le Ministre des Classes moyennes dans ses décisions litigieuse ».

Le délégué du Gouvernement a précisé au cours de la procédure contentieuse que le ministère n’exige pas une autorisation pour la prestation de services mais l’indication préalable des références concernant le chantier projeté pour la prestation de services, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le seul volet litigieux a trait à l’exigence d’une déclaration préalable du chantier projeté.

Ensuite il fait valoir qu’aussi bien l’article 1er que l’article 20 de la loi d’établissement constitueraient une base légale suffisante permettant aux autorités étatiques luxembourgeoises de demander une déclaration préalable relative à la prestation de services.

L’article 22, paragraphe 2 de la directive 85/384/CEE dispose : « L'État membre d'accueil peut prescrire que le bénéficiaire fasse aux autorités compétentes une déclaration préalable relative à sa prestation de services au cas où l'exécution de cette prestation entraîne la réalisation d'un projet sur territoire ».

Etant donné que l’article 1er de la loi d’établissement, lequel ne mentionne en aucune façon la nécessité pour un architecte bénéficiant de la libre prestation de services de faire une déclaration préalable aux autorités compétentes, il ne saurait constituer une base légale suffisante pour exiger pareille déclaration.

L’article 20 de la loi d’établissement dispose : « Les ressortissants des Etats membres 4 Vocabulaire juridique, G. CORNU, PUF 1987, p. 608 de la Communauté Economique Européenne qui, sans être établis au Luxembourg y viennent occasionnellement et passagèrement pour y recueillir des commandes ou prester des services relevant des professions commerciales et libérales sont dispensés de toute autorisation administrative de la part des autorités luxembourgeoises, sans préjudice des directives du Conseil en matière de la libre prestation des services pour les activités non salariées des professions visées par les présentes dispositions…».

Il est constant que la loi d’établissement ne contient aucune disposition consacrant la transposition de la faculté offerte par la directive 85/384/CEE, à savoir celle d’exiger une déclaration préalable.

Pour le surplus, c’est à tort que le délégué du Gouvernement soutient que la référence générale, en ce que l’article 20 in fine de la loi d’établissement précise « sans préjudice des directives du Conseil en matière de la libre prestation des services pour les activités non salariées des professions visées par les présentes dispositions » constituerait une transposition adéquate de la possibilité offerte aux Etats membres d’exiger une déclaration préalable.

Etant donné que l’article 22, paragraphe 2 de la directive 85/384/CEE accorde la faculté aux Etats membres de prescrire une telle déclaration préalable, il aurait appartenu au législateur national d’opter sans équivoque à travers une disposition légale pour la procédure de la déclaration préalable.

Force est au tribunal de retenir que le législateur luxembourgeois a adopté une approche minimaliste en transposant la directive 85/384/CEE et à défaut d’une mesure de transposition d’une disposition spécifique de la dite directive en droit interne, il ne saurait s’en prévaloir à l’encontre d’un particulier5.

Il en résulte que la décision déférée encourt l’annulation en ce qu’elle a soumis, dans son principe, Madame … à l’obligation de faire une déclaration préalable sur les références du chantier concerné.

En ce qui concerne le soi-disant refus de l’Ordre des arctitectes et des ingénieurs-

conseils d’inscrire Madame … à l’ordre des architectes, il y a lieu de noter que le tribunal ne se trouve pas saisi du recours dirigé contre un éventuel refus d’inscription, de sorte qu’il n’appartient pas au tribunal de se prononcer dans le cadre du présent recours sur l’attitude adoptée par ledit ordre.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

le déclare irrecevable dans la mesure où il est dirigé à l’encontre du courrier ministériel du 5 février 2004 ;

le déclare recevable pour le surplus ;

5 Cf. Jcl Europe, Tome 2, fasc. 410, n° 123 au fond le déclare non justifié et en déboute dans la mesure où la décision déférée du 8 avril 2004 a retiré à Madame … l’autorisation d’établissement ;

le déclare justifié pour le surplus ;

partant annule la décision déférée du 8 avril 2004 dans la mesure où elle a soumis Madame … à l’obligation de la déclaration préalable du chantier envisagé ;

fait masse des frais et les impose pour chaque fois la moitié à l’Etat et à la demanderesse ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 février 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18301
Date de la décision : 02/02/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-02-02;18301 ?

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