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31/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18798

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 janvier 2005, 18798


Tribunal administratif N° 18798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 31 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame …, née ...

Tribunal administratif N° 18798 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2004 Audience publique du 31 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18798 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … (Kosovo, Etat de Serbie et Monténégro), agissant tant en leurs noms personnels qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs …, née le… , …, ne le… , …, née le…, …, née le … et …, né le … , tous de nationalité serbo-monténégrine, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juillet 2004, ayant porté refus de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 24 janvier 2005 en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH qui s’est rapporté au mémoire écrit de la partie publique.

________________________________________________________________________

Le 8 octobre 2002, les époux … et …, accompagnés de leurs 4 enfants mineurs … , introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, ils furent entendus par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg.

Ils furent entendus en outre séparément en date respectivement des 3 et 13 décembre 2002 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 29 juillet 2004, notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 3 août 2004, le ministre de la Justice informa les consorts …-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif que les différentes chicaneries administratives de la part du parti politique albanais ou d’autres personnes, ainsi que les divergences politiques au sein du comité médiateur entre les différentes communautés ethniques à Pec où lors des réunions de la commission communale, invoquées à l’appui de leur demande d’asile, ne sauraient suffire pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus que Monsieur … aurait indiqué avoir arrêté ses activités politiques. Quant au fait invoqué par Madame … qu’un médecin, même albanais, lui aurait prescrit des médicaments non indiqués, il ne serait pas non plus de nature à constituer une crainte justifiée de persécution, étant donné notamment qu’il ne serait pas prouvé que l’agissement de ce médecin aurait été motivé par un quelconque arrière fond ethnique. Concernant ensuite les différentes menaces, insultes et agressions de la part de différents Albanais, inconnus, anciens collègues de travail ou autres, le ministre a relevé que si ces faits étaient certes condamnables, ils ne sauraient pas pour autant fonder une demande en obtention du statut de réfugié, étant donné que ces Albanais ne sauraient être considérés comme des agents de persécution au sens de ladite Convention. Il a souligné également dans ce contexte que l’UCK n’existe plus pour conclure que les craintes exprimées par les consorts …-… traduiraient plutôt l’expression d’un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre a relevé finalement que les autorités en place combattraient et condamneraient avec énergie les différents débordements ayant eu lieu au cours de l’année dernière, tout en soulignant qu’il ne ressortirait pas du dossier des consorts …-… qu’il leur aurait été impossible de s’installer au Monténégro où ils ont de la famille ou en Serbie et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne. Il a finalement retenu qu’une une persécution systématique de minorités ethniques au Kosovo serait à l’heure actuelle exclue.

Le recours gracieux que les consorts …-… ont fait introduire par courrier de leur mandataire datant du 30 août 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle s’étant soldé par une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 27 septembre 2004, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 29 octobre 2004, un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles prévisées des 29 juillet et 27 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de leur recours les demandeurs font exposer qu’il se dégagerait clairement du dossier que Monsieur … a eu dans son pays d’origine des activités importantes, en sa qualité de membre du parti politique SDA et en tant que militant convaincu pour la défense des droits de la minorité bochniaque à laquelle il appartient.

Dans la mesure où c’est précisément en raison de l’activisme politique de Monsieur … que tant lui même que sa famille auraient été confrontés à de graves difficultés, dont certaines ont été de nature à mettre leur vie en danger, ils estiment que le ministre se serait livré à une appréciation erronée des faits de l’espèce pour ne pas avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées du fait des persécutions dont ils auraient été victimes ou pourraient être victimes en cas de retour dans leur pays d’origine. Ils font valoir qu’il se dégagerait clairement des événements par eux vécus que le danger, auquel ils seraient exposés en cas de retour, est suffisamment individualisé et personnalisé pour exclure l’assimilation de leur crainte à l’expression d’un sentiment général d’insécurité, de même qu’il serait établi que les problèmes auxquels ils auraient été exposés auraient trouvé leur source dans l’activisme politique de Monsieur …. Quant à la situation générale d’insécurité dans leur pays d’origine, ils se réfèrent à un rapport dressé en date du 30 mars 2004 par l’UNHCR pour soutenir que les membres de la minorité bochniaque seraient toujours confrontés à une situation d’insécurité aiguë et qu’il serait dès lors évident que ceux qui, à l’instar de Monsieur …, auraient eu un rôle important dans la reconnaissance des droits des Bochniaques, resteraient toujours particulièrement exposés à cet égard.

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours. Il relève que la simple appartenance à une minorité ethnique ne justifierait pas à elle seule l’octroi du statut de réfugié. Il expose encore qu’une crainte de persécutions par les Albanais du Kosovo ne serait pas admissible au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de cette convention. Il se réfère pour le surplus à un rapport de l’UNHCR de janvier 2003 sur la situation des minorités au Kosovo suivant lequel les Bochniaques n’auraient, en règle générale, plus à craindre des attaques directes contre leur sécurité. Enfin, il reproche au demandeur de ne pas avoir fait usage des possibilités de fuite interne.

Concernant plus particulièrement les problèmes engendrés par l’engagement politique de Monsieur …, le délégué du Gouvernement estime qu’ils ne sauraient suffire pour constituer à eux-seuls une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci eu égard notamment au fait que l’intéressé aurait déclaré avoir cessé ses activités politiques, ce qui aurait eu pour conséquence l’arrêt des chicaneries administratives.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, force est de constater que si la situation au Kosovo telle que décrite par les demandeurs se caractérise de manière générale par un certain malaise au niveau des relations interethniques susceptibles de générer des tensions et des difficultés de cohabitation globalement imputables à la persévérance d’une situation d’après-guerre engendrant, certes à des degrés variables, des problèmes dans le chef d’une grande partie de la population concernée, il n’en demeure cependant pas moins que les demandeurs ont fait état en l’espèce de toute une série d’éléments liés à leur situation individuelle et concrète pour établir la crainte de persécution par eux invoquée à l’appui de leur demande d’asile.

En effet, à partir des faits non contestés en cause en rapport avec l’activité politique de Monsieur … ainsi qu’avec les problèmes qui s’en sont suivis tant dans son propre chef que sous forme de menaces et d’agressions à l’égard de sa famille, le ministre n’a pas valablement pu rencontrer leur demande par la seule référence à la situation générale au Kosovo, ceci d’autant plus que le rapport de l’UNHCR invoqué par la partie publique datant de janvier 2003 n’est pas suffisamment récent pour fournir des éclaircissements précis sur la situation actuelle au Kosovo.

Eu égard à la nature des activités politiques déployées par Monsieur … et au contexte interethnique aigu ayant précisément caractérisé l’émergence des violences relatée dans le rapport de l’UNHCR du 30 mars 2004 versé au dossier par les demandeurs, ensemble le caractère précis et cohérent des déclarations des demandeurs relativement aux difficultés et agressions dont ils ont pu faire l’objet, le tribunal arrive à la conclusion que les demandeurs ont établi à suffisance une crainte justifiée de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine à l’heure actuelle.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait que Monsieur … a déclaré avoir arrêté ses activités politiques, étant donné qu’il a précisé que c’était en vue de préparer la fuite de sa famille qu’il s’est retiré peu à peu de ses activités politiques et que cet arrêt de ses activités politiques n’a partant pas été suivi en fait d’une période de séjour prolongée susceptible d’illustrer une éventuelle diminution significative du risque de persécution encouru.

Quant au motif de refus basé sur la possibilité alléguée d’une fuite interne dans le chef des demandeurs, les éléments en cause ne permettent pas de dégager que les consorts …-… auraient concrètement bénéficié d’une telle possibilité. Il s’y ajoute que l’UNHCR, dans sa prise de position du 13 août 2004 sur les besoins de protection des personnes originaires du Kosovo, a exprimé l’avis que l’application du concept de la fuite interne en Serbie et au Monténégro dans le chef de personnes originaires du Kosovo et relevant de minorités ethniques, ne constituerait dans la plupart des cas pas une option appropriée (« UNHCR ist der Auffassung, dass die Anwendung des Konzepts der inländlichen Flucht- oder Umsiedlungslaternative in Serbien und in Montenegro auf Personen aus dem Kosovo, die dort einer ethnischen Minderheit angehören, in den meisten Fällen keine angemessene Option darstellen würde. Dies gilt insbesondere im Hinblick auf die Unmöglichkeit von Personen, die aus dem Ausland zurückgeführt werden, sich als Binnenvertriebene in Serbien oder Montenegro registrieren zu lassen und die daraus folgenden Probleme, die sie beim Zugang der grundlegenden Menschenrechten und Dienstleistungen erwarten. Im übrigen gibt es bereits erhebliche Engpässe bei der Aufnahmekapazität“).

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est fondé et qu’il y a partant lieu d’accorder le statut de réfugié aux consorts …-….

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le dit justifié, partant accorde le statut de réfugié aux consorts …-… et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 janvier 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1.2.2005 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18798
Date de la décision : 31/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-31;18798 ?

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