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27/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18757

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 janvier 2005, 18757


Tribunal administratif N° 18757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2004 Audience publique du 27 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18757 du rôle, déposée le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Co

ur, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gjakove (Ko...

Tribunal administratif N° 18757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 octobre 2004 Audience publique du 27 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18757 du rôle, déposée le 21 octobre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Sandra VION, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Gjakove (Kosovo/Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 juillet 2004 par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 24 septembre 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2004 par Maître Sandra VION pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Sandra VION, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 12 janvier 2004, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Il fut entendu en date du même jour par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

M. … fut encore entendu en date du 24 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 juillet 2004, notifiée par lettre recommandée du 21 juillet 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 8 ou 9 janvier 2004. Vous auriez pris place dans un camion partant de Pristina vers Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 12 janvier 2004.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire et vous n’auriez été membre d’aucun parti politique.

Au Kosovo, vous dites avoir vécu de petits travaux. L’été dernier, vous auriez été impliqué dans une rixe au couteau. Vous auriez voulu défendre un ami attaqué par deux anciens de l’UCK. Vous-même auriez été blessé. La police, qui passait par là, serait intervenue. Les anciens de l’UCK auraient été arrêtés et puis relâchés. Vous auriez été recherché par la police après cette altercation, bien que la police ne connaisse pas votre identité.

Vous auriez revu les deux anciens de l’UCK à deux reprises et ils vous auraient une fois tiré dessus.

Vous ajoutez que vous n’auriez pas porté plainte ; en effet, la police elle-même craindrait ces personnes et une plainte ne servirait à rien.

Pour le surplus, vous dites que vous aimeriez vivre et travailler au Luxembourg.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

En ce qui concerne la bagarre au couteau à laquelle vous auriez participé, elle constitue un délit de droit commun qui, faute de connotation raciale avérée, ne saurait entrer dans le cadre de la Convention de Genève.

2 Vos craintes des anciens de l’UCK prouve que vous ressentez un sentiment d’insécurité plutôt qu’une réelle crainte de persécution. Ces personnes ne sauraient en effet, être assimilées à des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’ailleurs, le Kosovo, pour des Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 16 août 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 24 septembre 2004 la décision initiale du 15 juillet 2004 dans son intégralité.

Le 21 octobre 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre les décisions précitées des 15 juillet et 24 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de confession musulmane et de nationalité serbo-monténégrine, originaire du village de Gjakove, et d’avoir fui son pays d’origine en raison des menaces exercées par d’anciens membres de l’UCK. Le demandeur relate plus particulièrement qu’au courant de l’été 2003, il aurait été blessé gravement à la jambe au cours d’une rixe avec deux ex-membres de l’UCK, qui l’auraient agressé avec un couteau au moment où il aurait voulu défendre un ami contre ceux-ci. Par la suite, lesdites personnes l’auraient encore une fois poursuivi et lui auraient même tiré dessus. Etant donné que la police craindrait les agresseurs et n’entendrait pas engager des poursuites, il aurait définitivement quitté le Kosovo pour trouver refuge à l’étranger.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

3 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, lors de son audition, le demandeur a essentiellement déclaré craindre des personnes qui lui étaient inconnues, membres de l’UCK, qui l’auraient blessé au couteau et auraient tiré sur lui, de sorte que sa crainte ne s’analyse pas en une persécution émanant de l’Etat, mais de simples particuliers, lesquels ne sauraient en tant que tels être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part des autorités du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo ne soient pas capables de lui assurer une protection adéquate, étant donné qu’il se dégage des propres déclarations du demandeur, telles que relatées dans le compte-rendu d’audition, que les deux agresseurs ont été interpellés par la police et que l’absence alléguée de poursuites pénales à leur égard n’est pas établie, l’article de presse produit en cause par le demandeur, relatant l’incident lors duquel il aurait été blessé au couteau, relevant le fait qu’une enquête policière serait en cours.

Par ailleurs, à supposer réelle la menace pesant sur lui, le demandeur, en tant que musulman du Kosovo, ne soumet aucun élément permettant d’établir les raisons pour 4 lesquelles il ne serait pas en mesure, en tant qu’Albanais du Kosovo, de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 27 janvier 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18757
Date de la décision : 27/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-27;18757 ?

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