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27/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18740

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 janvier 2005, 18740


Tribunal administratif N° 18740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2004 Audience publique du 27 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18740 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Novi Pazar (...

Tribunal administratif N° 18740 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2004 Audience publique du 27 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18740 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Novi Pazar (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 19 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 22 septembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

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En date du 4 mars 2004, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 22 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 19 juillet 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 4 mars 2004 que vous auriez quitté Novi Pazar le 2 mars 2004 pour Zagreb où vous seriez monté clandestinement dans un camion qui vous aurait emmené au Luxembourg. Vous y seriez arrivé le 4 mars 2004, date du dépôt de votre demande d’asile. Le chauffeur du camion ne se serait pas rendu compte de votre présence et vous auriez passé les frontières sans problèmes.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez fait votre service militaire du 4 au 13 septembre 2002. Vous y auriez été physiquement et psychiquement torturé par des officiers serbes parce que vous seriez de confession musulmane. Vous auriez été chez un psychiatre qui vous aurait dispensé de service pour un an. Le 6 juillet 2003 vous auriez reçu votre premier appel pour finir votre service militaire, mais vous n’auriez pas répondu à cet appel. Plusieurs autres appels auraient suivi et la police militaire serait venue à plusieurs reprises à votre domicile. Le 27 février 2004 elle aurait confisqué votre passeport pour éviter que vous puissiez quitter votre pays d’origine. Vous dites avoir fait une requête auprès du tribunal suprême de l’armée.

Vous ajoutez être simple membre adhérant du parti politique SDA. Vous ne faites pas état de problèmes à cause de cette adhésion.

Concernant la situation particulière des ressortissants de confession musulmane en Serbie, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951. Le fait que vous auriez été chicané par des officiers lors de votre service militaire est certes condamnable, mais il ne saurait suffire pour fonder à lui seul une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la prédite Convention. L’insoumission et la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constituent également pas une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951.

En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

La même conclusion doit être faite pour votre simple appartenance au parti politique SDA d’autant plus que vous n’exerciez aucune activité politique particulière et que vous dites ne pas avoir eu de problèmes à cause de cette adhésion.

En ce qui concerne la situation des musulmans slaves au Sandjak, il faut également noter que la confession musulmane y est très largement majoritaire, notamment à Novi Pazar et qu’une persécution systématique liée à la religion est à exclure. Les relations interethniques y sont harmonieuses selon un rapport de l’OCDE de janvier 2002. Les bosniaques musulmans représentent 54% de la population du Sandjak. Le dialecte bosniaque a un statut de langue officielle à Novi Pazar. Enfin, soulignons que Boris Tadic, président du Parti démocratique a remporté les élections présidentielles en Serbie de juin 2004 contre son concurrent radical d’extrême droite.

Par ailleurs, il n’est pas exclu que des raisons matérielles sous-tendent votre demande d’asile. A ce sujet, il y a lieu de noter que des raisons économiques ne sauraient davantage justifier une demande d’asile politique.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président Milosevic a été extradé et traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement. A cela s’ajoute que le 15 mars 2002 un accord serbo-monténégrin a été signé par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister pour être remplacée le 4 février 2003 par un Etat de Serbie et de Monténégro. Enfin et surtout, soulignons l’adhésion récente de la Serbie-

Monténégro au Conseil de l’Europe du 3 avril 2003 et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 19 août 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 22 septembre 2004, M. …, par requête déposée le 19 octobre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des deux décisions prévisées des 19 juillet et 22 septembre 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance aux deux autorités ministérielles, successivement compétentes en la matière, d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’au cours de son service militaire, il aurait été « torturé physiquement et psychiquement », « de sorte qu’il n’a pas terminé son service militaire, (les pièces afférentes, certificats médicaux et appel à l’armée ont été remises au Ministère de la Justice) » et qu’il « risque de ce fait des persécutions dans son pays d’origine ».

Le représentant étatique soutient que les deux ministres auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, comme l’a retenu à juste titre le ministre de la Justice dans sa décision du 19 juillet 2004, le fait d’avoir été maltraité et chicané par des officiers lorsqu’il a commencé d’accomplir son service militaire au mois de septembre 2002, aussi répréhensible soit il, n’apparaît pas être d’une gravité telle qu’il justifie que la situation du demandeur lui soit devenue intolérable dans son pays d’origine et ne saurait pas suffire pour fonder à lui seul une demande en obtention du statut de réfugié au sens de la prédite Convention, étant donné que le demandeur relève lui-même avoir été « libéré du service pour un an » suite au susdit fait.

En ce qui concerne le refus de réintégrer l’armée pour terminer le susdit service militaire et l’état d’insoumission actuel du demandeur, force est de constater qu’il n’est pas établi en cause que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Serbie-et-Monténégro tolèrent voire encouragent des mauvais traitements à l’encontre des appelés en raison de leur appartenance à la communauté musulmane, que ni l’insoumission ni la désertion ne sont, en elles-mêmes, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté pour un des motifs prévus par la Convention de Genève et qu’il ne ressort pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal que l’intéressé a risqué ou risquerait une condamnation à une peine disproportionnée par rapport à la gravité de pareille infraction.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 27 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18740
Date de la décision : 27/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-27;18740 ?

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