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26/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18778

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2005, 18778


Tribunal administratif N° 18778 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18778 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, né le … à Podgorica (Monténégro/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serb...

Tribunal administratif N° 18778 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 octobre 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18778 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Podgorica (Monténégro/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-

monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juillet 2004, portant rejet de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

En date du 3 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 26 avril 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 juillet 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 3 août 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez déserté de l’armée yougoslave en 2000 et que vous seriez simple membre adhérant du parti politique DPS. Vous ne faites pourtant pas état de problèmes liés à ces deux faits.

En 2000, vous auriez travaillé en tant que vendeur auprès d’un dépôt de cigarettes appartenant au gouvernement de Milo Djukanovic à Bijelo-Polje. En juillet-août 2003 vous auriez arrêté de travailler dans ce dépôt et vous seriez retourné à Podgorica. Des membres de l’opposition, du parti politique SNP, auraient exigé de vous que vous témoigniez contre Milo Djukanovic dans « l’affaire des cigarettes ». Vous auriez été battu et menacé par ces membres de l’opposition, mais vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police. Vous auriez demandé conseil à un policier qui vous aurait dit de vous éloigner étant donné que d’autres témoins auraient été liquidés. On vous aurait reproché d’être un homme de Milo Djukanovic.

La reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Le fait que vous seriez menacé et battu par des membres d’un parti politique d’opposition qui exigeraient de vous que vous témoigniez contre Milo Djukanovic dans « l’affaire des cigarettes » ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié étant donné que ces personnes ne sauraient être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève. En outre, force est de constater que vous n’avez pas demandé la protection des autorités policières sur place et il ne ressort pas du dossier qu’elles auraient refusé de vous protéger ou seraient dans l’incapacité de ce faire.

Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous ne seriez pas en mesure de vous installer dans une autre partie du Monténégro pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

A cela s’ajoute que l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril précitée, dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Ce constat doit être fait pour le Monténégro, où la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d’octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d’un accord serbo-monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister et a été remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro début février 2003. Il n’existe plus d’affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses. Il a ainsi été jugé par le Tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion du 3 avril 2003 de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction. Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux formulé par le mandataire de Monsieur … suivant courrier du 27 août 2004 à l’encontre de la décision ministérielle précitée, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma le 24 septembre 2004 la décision initiale de refus du ministre de la Justice du 29 juillet 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 29 juillet 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation introduit en ordre principal est encore recevable pour avoir été formé dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il ne se sentirait pas en sécurité dans son pays d’origine parce qu’il risquerait des persécutions. Enfin, il estime qu’il remplit les conditions pour bénéficier de l’asile politique.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 26 avril 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il ressort du compte-rendu d’audition du 26 avril 2004 que le demandeur fait essentiellement état de menaces de mort et d’agressions physiques de la part de membres du parti politique d’opposition SNP qui voudraient l’amener à témoigner contre le président Milo Djukanovic dans « l’affaire des cigarettes » en raison du fait qu’il aurait travaillé à Bijelo-Polje dans un dépôt de cigarettes appartenant au gouvernement de Milo Djukanovic.

Force est de constater qu’en l’espèce, l’existence d’éléments suffisants faisant dégager une crainte personnelle de persécution n’appert pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les menaces de mort proférées et les agressions physiques perpétrées par des personnes privées étrangères aux autorités publiques, à savoir plus particulièrement de certains milieux politiques, à les supposer établies, s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnues comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf.

Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, le demandeur a simplement affirmé l’incapacité des autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro de lui fournir une protection adéquate sans pour autant établir une incapacité générale desdites autorités de fournir une protection adéquate. En effet, il se dégage des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte-rendu d’audition qu’il n’a pas déposé de plainte auprès des autorités sur place, au motif que la moitié de la police serait aux mains du parti d’opposition SNP. Toutefois, il reste en défaut d’établir une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes en place pour l’un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à au territoire de la commune de Podgorica et il ne précise pas, au-delà de son affirmation générale que l’opposition serait partout présente au Monténégro, les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre partie du Monténégro et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne devant être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 26 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18778
Date de la décision : 26/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-26;18778 ?

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