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26/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18716

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2005, 18716


Tribunal administratif N° 18716 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils …, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18716 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12

octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 18716 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 octobre 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils …, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18716 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2004 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Arménie), de nationalité arménienne, de son épouse, Madame …, née le … (Géorgie), de nationalité azérie, ainsi que de leur fils, Monsieur …, né le … (Arménie), de nationalité arménienne, demeurant actuellement ensemble à L-… , tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 septembre 2004, prise suite à un recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur à l’audience publique du 24 janvier 2005, Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH s’étant rapportés aux écrits respectifs de leurs parties.

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Le 26 janvier 2004, Monsieur …, son épouse Madame … et leur fils … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Ils furent encore entendus séparément en date des 6 et 7 avril 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leurs demandes d’asile.

Par décision du 7 juin 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 10 juin 2004, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Suite à un recours gracieux introduit par le mandataire des consorts…-… par courrier du 16 juillet 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit une décision confirmative datée du 7 septembre 2004, qui leur fut notifiée par courrier recommandé expédié le 8 septembre 2004.

Les consorts…-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 2004.

L'article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile, 2. d'un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d'asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l'analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les époux…-… font exposer que ce serait à tort que les autorités leur auraient refusé le statut de réfugié en se basant sur le fait que les faits relatés par eux seraient trop anciens pour être pris en compte et estiment que rien n’indiquerait que les risques de persécution à leur égard n’existeraient plus à l’heure actuelle.

En ce qui concerne leur fils …, celui-ci fait plaider qu’il aurait subi en Arménie des persécutions du fait de la nationalité azérie de sa mère, persécutions se traduisant par des discriminations quotidiennes et culminant en une bagarre qui aurait eu lieu en décembre 2003.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’il résulte en effet des auditions des époux…-… que ceux-ci ont fait l’objet d’une agression à cause de la nationalité azérie de Madame …, le tribunal constate que cet incident a eu lieu en 1993, au cours de la guerre opposant précisément l’Arménie à l’Azerbaïdjan. Le tribunal retient encore que hormis cette agression, les époux…-… ne font état que d’un seul autre incident, situé en 1998, où les autorités arméniennes auraient empêché Monsieur … d’acquérir une entreprise à cause de la nationalité de son épouse.

Il ressort encore de l’audition des demandeurs que ceux-ci ont vécu de 1998 à 2004 sans problèmes en Russie, où ils auraient bénéficié d’une autorisation de séjour, dont le renouvellement leur aurait été refusé en 2004 pour d’obscures raisons.

Il en résulte que non seulement les craintes dont se prévalent les demandeurs ne sont pas actuelles, mais remontent à 6 ans, voire à 10 ans, mais qu’ils avaient entre-temps trouvé refuge en Russie, où ils ont été à même de poursuivre une vie sans problèmes jusqu’en 2004. Le fait que le renouvellement de leur autorisation de séjour en Russie a été refusé arbitrairement par un fonctionnaire déterminé ne saurait par contre être considéré comme persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des déclarations des demandeurs que cet incident, à le supposer établi, ait été motivé par la race, la religion, la nationalité, l’appartenance des demandeurs à un certain groupe social ou par leurs opinions politiques.

Enfin, il y a encore lieu de souligner qu’il aurait appartenu aux demandeurs de faire usage des voies de recours administratifs, voire judiciaires prévues par le droit russe afin d’obtenir le prolongement de leur permis de séjour, et non de quitter la Russie sans même entreprendre la moindre démarche en ce sens.

Il s’en suit que les époux…-… restent en défaut de faire état d’une persécution ou d’une crainte de persécution actuelles au sens de la Convention de Genève susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef, de sorte que le recours en réformation introduit par Monsieur et Madame…-… est à rejeter comme étant non fondé.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argument selon lequel rien n’indiquerait que les risques de persécution à l’égard des époux…-… n’existent plus à l’heure actuelle, étant donné que les autorités ne sont pas tenues, en l’absence de toute énonciation d’un risque concret et actuel, de rapporter de manière générale la preuve de l’absence de tout risque dans le pays d’origine des demandeurs. En effet, il y a lieu de rappeler que la charge de la preuve d’un risque de persécution actuel et direct repose avant tout sur les candidats au statut de réfugié, sous la réserve que s’il est vrai que l’on ne saurait exiger d’un demandeur d’asile qu’il prouve tous les éléments de son récit, il est cependant tenu, à défaut de pièces, de faire valoir du moins des craintes étayées par des éléments de preuve, sinon à tout le moins un récit cohérent et crédible, ce qui en l’espèce n’est pas le cas en ce qui concerne la persistance à l’heure actuelle d’un éventuel risque de persécution en Arménie.

En ce qui concerne Monsieur …, il ressort de ses déclarations telles qu’actées au procès-

verbal d’audition du 7 avril 2004 qu’il a quitté l’Arménie en janvier 2004 pour rejoindre ses parents en Russie suite à une rixe qui l’aurait opposé en décembre 2003 à des chrétiens qui lui auraient reproché d’être un « turc », c’est-à-dire un azéri musulman. Il relate à ce sujet avoir été pris à parti en compagnie de deux amis par des chrétiens à l’occasion de la messe de Noël, et avoir été passé à tabac avant que la police militaire n’intervienne pour mettre fin à la bagarre. Il explique encore qu’il aurait été emmené au poste de police, où un capitaine aurait tenu des propos racistes à son sujet et lui aurait annoncé « bien des surprises » à l’occasion de son service militaire imminent.

Cet incident, unique persécution relatée par le demandeur … au cours de son audition, s’il est certes condamnable, n’est cependant pas d'une gravité telle qu'il justifie une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Le tribunal tient en particulier à relever que le demandeur semble avoir vécu jusqu’à ce jour en Arménie sans problème particulier, hormis l’incident invoqué par ses parents et qui a eu lieu en 1993, et que la bagarre a été provoquée par des tiers et non pas par l’Etat. Il appert encore que si un officier de police a tenu des propos racistes et menaçants à l’égard du demandeur …, il n’en demeure pas moins que ce sont les collègues de cet officier qui sont intervenus pour mettre un terme au passage à tabac du demandeur.

Il s’ajoute à ces considérations que …, à l’instar de ses père et mère, a trouvé refuge en Russie.

Quant aux nouveaux moyens présentés par … dans son recours, selon lesquels il aurait été emmené en septembre 2003 par un capitaine de la police militaire, qui l’aurait détenu sans raison valable, si ce n’est son origine azérie, et n’aurait accepté de le libérer que contre versement d’un important montant, force est de constater que le demandeur n’en a pas fait état ors de son audition, mais qu’il a au contraire affirmé n’avoir pas d’autres faits à invoquer au sujet de sa demande d’asile, de sorte que le tribunal ne saurait leur accorder actuellement une quelconque crédibilité.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18716
Date de la décision : 26/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-26;18716 ?

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