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26/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18563

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 janvier 2005, 18563


Tribunal administratif N° 18563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18563 du rôle, déposée le 17 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro / Etat de Serbie et Monténégro), et de M...

Tribunal administratif N° 18563 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 26 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18563 du rôle, déposée le 17 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Monténégro / Etat de Serbie et Monténégro), et de Madame …, née le… , tous les deux de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 10 mai 2004, rejetant leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 22 juillet 2004, suite à un recours gracieux du 23 juin 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 janvier 2005.

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Par arrêt du 3 juillet 2003 (n° 16304C du rôle), la Cour administrative confirma définitivement une décision du ministre de la Justice du 27 février 2002 rejetant comme non fondée la demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève », introduite le 17 avril 2001 par Monsieur … et Madame ….

Par courrier de leur mandataire du 9 août 2003, Monsieur … et Madame … ont fait introduire une nouvelle demande d’asile en se prévalant de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2.

d’un régime de protection temporaire et des éléments énoncés comme suit :

« Par la présente, je me permets de revenir à l’affaire sous rubrique dans le cadre de laquelle un arrêt de la Cour administrative a été rendu en date du 3 juillet 2003, enregistré sous le numéro du rôle 16304C, au terme duquel le statut de réfugié politique a été refusé à mes mandants.

Je me permets de joindre en annexe de la présente la copie d’un certain nombre de nouveaux documents relatifs à Monsieur …, aux termes duquel le nom de ce dernier est encore enregistré à l’ordinateur du Ministère de l’Intérieur du Monténégro « UMP » avec la mention qu’il y a un mandant [sic] d’arrêt contre lui et ce depuis 1991… .

En effet le nom de mon mandant figure parmi les personnes à arrêter immédiatement en cas de retour au Monténégro du fait que ce dernier est accusé pour ses agissements contre l’Etat Fédéral et qu’il a été accusé de l’organisation et de préparation d’un coup d’Etat.

Il échet de retenir ces éléments fournis par mes mandants comme un élément nouveau, en ce sens qu’il est postérieur au rejet définitif à leur demande d’asile, alors que le risque de persécution selon les informations recueillies par la Fondation Caritas dans le chef de Monsieur … sont [sic] d’actualité et constitutif des éléments nouveaux et qu’ils n’ont pas encore été toisés ni par l’autorité compétente, ni par la juridiction administrative.

Sur la base de ces éléments nouveaux, je vous prie de bien vouloir accepter d’enregistrer une nouvelle demande d’asile politique au bénéfice de mes mandants, sur base de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996, dont l’instruction permettra à mes mandants de démontrer qu’en l’état actuel de la situation dans leur pays d’origine tout rapatriement se traduirait par incarcération de Monsieur … et tortures pendant plusieurs années.

Une telle incarcération, étant la conséquence de son activisme politique, respectivement de ses opinions politiques, doit permettre de regarder mon mandant comme pouvant se prévaloir du bénéfice de la protection telle que consacrée par la Convention de Genève.

Veuillez trouver en annexe de la présente, deux rapports établis par la Fondation Caritas, en date du 5 et 8 août 2003, démontrant qu’il existe toujours un mandat d’arrêt en cours dans le chef de Monsieur ….

Dans ce contexte, c’est pourquoi il me semble particulièrement nécessaire que le dossier de mon mandant soit réouvert au regard de l’article 15 précité, respectivement à la lumière des persécutions dont serait susceptible de faire l’objet mon mandant et membre de sa famille en cas de retour dans son pays d’origine.

La copie de la présente est envoyée à Madame Agnès RAUSCH pour information.

Il va de soi que moi-même et mon mandant, nous nous tenons à votre disposition, pour vous soumettre, les éléments complémentaires dont vous estimeriez devoir disposer ».

Monsieur et Madame …-… furent entendus séparément le 10 novembre 2003 par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur les motifs à la base de leur nouvelle demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 10 mai 2004, expédiée par courrier recommandé du 21 mai 2004, le ministre de la Justice rejeta la demande de Monsieur et de Madame …-… pour les motifs suivants :

« Madame, Monsieur, J’ai l'honneur de me référer aux demandes en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 que vous avez présentées auprès du service compétent par courrier adressé par votre avocat en date du 9 août 2003.

En mains les rapports d'audition de l'agent du Ministère de la Justice du 10 novembre 2003.

Il résulte des informations en nos mains que vous avez présenté une première demande d'asile qui a été définitivement rejetée par arrêt de la Cour administrative le 3 juillet 2003.

Le 9 août 2003 votre avocat dépose une nouvelle demande d'asile en indiquant que Monsieur … « figurerait parmi les personnes à arrêter immédiatement en cas de retour au Monténégro et qu'il aurait été accusé de l'organisation et de la préparation d'un coup d'Etat ».

Le 10 novembre 2003 vous avez tous les deux été convoqués à une audition lors de laquelle vous avez été demandés par l'agent du Ministère de la Justice d'évoquer les nouveaux faits à la base de votre deuxième demande. Monsieur, vous indiquez que la Fondation Caritas aurait des documents contenant de nouveaux éléments prouvant que vous ne puissiez pas rentrer au Monténégro. Or, vous déclarez ne pas connaître le contenu de ces documents. Vous vous bornez à dire de ne pas pouvoir rentrer au Monténégro parce qu'il y aurait une poursuite judiciaire à votre encontre. Madame, vous ne faites également pas état de nouveaux éléments, vous indiquez seulement ne pas pouvoir retourner au Monténégro parce que votre mari risquerait d'être arrêté.

Votre avocat présente deux rapports émis par Madame Agnès Rausch de la Fondation Caritas faisant état de témoignages de trois hommes confirmant que Monsieur … aurait été accusé pour agissement contre l'Etat fédéral et pour l'organisation et la préparation d'un coup d'Etat. Ces mêmes personnes estiment que Monsieur … aurait été accusé d'ennemi de l'Etat et qu'il lui serait ainsi difficile de « laver son nom » et de s'intégrer dans une vie active au Monténégro.

Selon le rapport de la Fondation Caritas du 8 août 2003, un employé de Caritas-

Luxembourg à Berane aurait pu obtenir de source informelle d'une connaissance travaillant au «MUP» l'information que Monsieur … serait enregistré dans l'ordinateur du Ministère de l'Intérieur du Monténégro avec la mention qu'il y aurait un mandat d'arrêt émis à son nom et ceci depuis 1991.

La reconnaissance du statut de réfugié politique n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d'asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est d'abord de constater qu'il est fort étonnant que vous ne puissiez tous les deux pas donner des précisions quant aux nouveaux éléments à la base de votre deuxième demande d'asile, alors que ces nouveaux éléments dateraient d'août 2003 et que l'audition complémentaire a eu lieu en novembre 2003. Vous ne présentez tous les deux aucun élément nouveau lors de l'audition du 10 novembre 2003 permettant d'établir que vous risquiez ou risquez d'être persécutés au Monténégro pour un des motifs énumérés par l'article 1 er, A., § 2 de la Convention de Genève.

En ce qui concerne les documents fournis par votre avocat, force est de constater que ces derniers ne se basent que sur des simples allégations qui ne se basent sur aucun fait réel ou probable. En effet, les documents en question font état de simples témoignages de personnes privées, dont une personne membre de votre parti politique, affirmant que Monsieur … aurait été accusé et estimant que ce dernier aurait des difficultés à laver son nom et à s'intégrer dans une vie active au Monténégro. Selon source informelle un mandat d'arrêt serait émis à l'encontre de Monsieur …. Force est donc de conclure que vous n'êtes pas en mesure de prouver par source officielle que Monsieur … serait encore toujours actuellement recherché par les autorités monténégrines pour ses activités politiques ou autres. Enfin, notons l'existence de la loi d'amnistie du 26 février 2001 qui dans son article 2 s'applique à toute personne qui pendant la période du 17 avril 1992 au 7 octobre 2000 a commis ou est soupçonnée d'avoir commis des actions d'opposant à la lutte contre l'ennemi, révolte armée, incitation ouverte à un changement de Constitution, association en vue d'actions contre le pouvoir et atteinte à la renommée de la République Fédérale de Yougoslavie.

Rappelons également qu'aussi bien le Ministère de la Justice que le Tribunal administratif et la Cour d'appel administrative ont estimé dans le cadre de la première demande d'asile de Monsieur et Madame …-… que ces derniers restaient en défaut de fournir un récit cohérent sur les faits concrets de nature à rendre crédible l'existence d'une persécution au sens de la Convention de Genève en raison de l'engagement politique de Monsieur ….

Vos motifs traduisent donc tout au plus un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s'ajoute que l'article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d'asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d'asile provient d'un pays où il n'existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Ce constat doit être fait pour le Monténégro, où la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d'un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d'octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d'un accord serbo-monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'organisation d'élections permettant de donner plus d'indépendance au Monténégro. Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d'exister et a été remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro début février 2003. Il n'existe plus d'affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses.

Il a ainsi été jugé par le Tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d'un accord serbo-

monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'organisation d'élections permettant de donner plus d'indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion du 3 avril 2003 de la Serbie-

Monténégro au Conseil de l'Europe et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l'Europe à condition qu'il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction.

Par conséquent vous n'alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable au Monténégro. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social n'est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

La présente décision est susceptible d'un recours en réformation devant le Tribunal administratif. Ce recours doit être introduit par requête signée d'un avocat à la Cour dans un délai d'un mois à partir de la notification de la présente.

Je vous prie, Madame, Monsieur, de croire en l'expression de ma considération distinguée (…) ».

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 23 juin 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre prit une décision confirmative le 22 juillet 2004.

Le 17 août 2004, Monsieur et Madame …-… ont fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre les décisions ministérielles précitées.

Il y a lieu de relever d’abord que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du Gouvernement en date du 17 août 2004. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font de prime abord valoir que leur recours en annulation, introduit à titre principal, devrait être déclaré recevable, leur demande se situant dans le cadre de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, qui prévoirait un recours en annulation, et non, comme indiqué erronément par les décisions ministérielles déférées, un recours en réformation.

Encore que les demandeurs entendent exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a néanmoins l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation, l’existence d’une telle possibilité rendant irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision (trib. adm. 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2004, V° recours en réformation, n° 3 et autres références y citées).

Il ressort des éléments du dossier que le ministre de la Justice, après avoir pourtant constaté que la demande d’asile litigieuse constituait dans le chef des demandeurs une nouvelle, seconde demande d’asile, s’est basé non pas sur le prédit article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, mais sur l’article 11 de cette même loi, en examinant le bien-fondé de la demande d’asile présentée, pour arriver à la conclusion que la demande serait non pas à déclarer irrecevable sur base du prédit article 15, mais non fondée sur base du prédit article 11.

Il y a lieu de constater que le ministre, ce faisant, a implicitement mais nécessairement renoncé à se prévaloir le cas échéant de l’irrecevabilité de la demande sur base de l’article 15 précité, aux termes duquel « le Ministre de la Justice considérera comme irrecevable la nouvelle demande d'une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux éléments d'après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d'une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent », et a accepté une réouverture de l’examen du fond de la demande d’asile.

Or, le fait de faire application des dispositions de l’article 11 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues à l’article 15 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier aux demandeurs d’asile qui, au contraire, bénéficient ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où ils pourront introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus pour les demandes d’asile déclarées irrecevables sur base du prédit article 15.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le recours en annulation, formulé à titre principal, est dès lors irrecevable.

Quant au fond, les demandeurs critiquent l’appréciation faite par le ministre de la situation politique au Monténégro qui, selon eux, ne constituerait pas un motif suffisant pour rejeter leur demande.

Ils font ensuite plaider qu’un mandat d’arrêt délivré à l’encontre de Monsieur … serait toujours d’actualité, et entendent se prévaloir à ce sujet de deux rapports établis par la Fondation CARITAS ainsi que d’attestations émanant d’un avocat monténégrin.

Ils citent encore des rapports établis par AMNESTY INTERNATIONAL ainsi que par l’US DEPARTMENT OF STATE qui confirmeraient leurs craintes de persécution.

Enfin, après avoir admis que la loi yougoslave d’amnistie du 26 avril 2001 « serait en principe effectivement applicable au cas d’espèce de Monsieur … », ils entendent cependant tirer de l’existence du mandat d’arrêt émis à l’encontre du demandeur la preuve que cette loi ne serait « pas parfaitement appliquée ».

Si, comme retenu ci-avant, le ministre a accepté de procéder à un réexamen au fond de la demande d’asile des époux …-…, en renonçant à se prévaloir à leur encontre des dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, le tribunal, en revanche, ne saurait s’adonner à un examen au fond des moyens des demandeurs que dans la mesure où ceux-ci n’ont pas d’ores et déjà été tranchés définitivement par l’arrêt de la Cour administrative du 3 juillet 2003 (n° 16304 C du rôle), sous peine de heurter l’autorité de chose jugée telle que définie par l’article 1351 du Code civil.

Il appert à la lecture du jugement du tribunal administratif du 17 mars 2003 (numéro 15466 du rôle), confirmé dans toute sa teneur par le prédit arrêt de la Cour administrative du 3 juillet 2003, que ni la condamnation par défaut de Monsieur … à une détention provisoire d’une durée d’un mois prononcée par un juge d’instruction auprès de la Cour suprême à Bijelo Polje du 8 juillet 1994, ni la crainte du demandeur d’être arrêté à l’heure actuelle en raison de ses activités au sein du parti politique SDA et de son engagement dans l’organisation « Merhamet » ne justifient l’obtention du statut de réfugié, tant le tribunal que la Cour ayant considéré que ces craintes revêtent, au vu de l’évolution de la situation existant au Monténégro au jour où ces juridictions ont statué, un caractère purement hypothétique.

Dans le cadre du présent litige, les demandeurs entendent d’une part se prévaloir d’un rapport ni versé, ni identifié de l’US DEPARTMENT OF STATE, ainsi que d’un rapport d’AMNESTY INTERNATIONAL, daté du 19 novembre 2002, afin d’établir l’actualité de leurs craintes.

Il échet cependant de constater que le rapport d’AMNESTY INTERNATIONAL – seul rapport dont dispose le tribunal – qui entend éclairer la situation ayant existé en 2001 et 2002, c’est-à-dire à l’époque de la première décision ministérielle de refus confirmée par les décisions citées ci-avant du tribunal et de la Cour, constitue un document censé étayer des faits d’ores et déjà tranchés définitivement, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement en tenir compte sans heurter l’autorité de chose jugée dont sont revêtus les moyens et faits définitivement tranchés par l’arrêt de la Cour administrative du 3 juillet 2003.

En ce qui concerne les rapports de la Fondation CARITAS, même si ceux-ci tendent à établir la persistance du risque de persécution à la date du présent recours, le tribunal est néanmoins amené à les écarter comme non pertinents, étant donné que ces rapports ne font que reprendre les affirmations non autrement étayées ou explicitées de personnes proches des demandeurs, selon lesquelles Monsieur … aurait fait l’objet de poursuites de la part des autorités de l’Etat yougoslave, ces personnes « pensant » que le retour de Monsieur … au Monténégro serait « difficile », et que son intégration « dans une vie active » ne serait pas aisée, en raison de l’accusation portée contre lui selon laquelle il serait un ennemi de l’Etat.

Force est en effet de constater que ces rapports, qui d’ailleurs ne reflètent que l’opinion de personnes privées, n’établissent pas la persistance d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef de Monsieur …, mais se contentent de souligner le caractère « difficile » du retour de ce dernier au Monténégro.

Le tribunal constate encore que l’affirmation selon laquelle Monsieur … figurerait toujours dans l’ordinateur du ministère de l’Intérieur « avec la mention qu’il y a un mandat d’arrêt contre lui (…) » ne fait que confirmer un fait d’ores et déjà soumis en 2003 au tribunal administratif et à la Cour administrative, à savoir l’existence d’un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction en 1994, mais n’apporte aucun élément nouveau susceptible de permettre de conclure, au-delà de ce qui a été définitivement tranché par la Cour administrative en 2003, à la persistance à l’heure actuelle d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, et ce en particulier au vu de la loi yougoslave d’amnistie d’avril 2001, qui, ce les demandeurs admettent explicitement, « serait en principe applicable au cas d’espèce de Monsieur … ».

Il en est de même des attestations établies par l’avocat monténégrin M. qui affirment sans autre précision que Monsieur … aurait été condamné à une peine de prison. En effet, il y a lieu de constater d’une part que ces attestations ne sont pas conformes à l’extrait de l’ordonnance du 8 juillet 1994 émanant du juge d’instruction auprès de la Cour suprême à Bijelo Polje communiqué par les demandeurs au tribunal dans la présente affaire, et qui avaient également été soumis en 2003 au tribunal administratif et à la Cour administrative, étant donné que cette ordonnance ne renseigne que le fait qu’une mesure de détention provisoire d’une durée d’un mois a été ordonnée en 1994 par un juge d’instruction à l’encontre du demandeur …, ce qui ne constitue pas une peine d’emprisonnement. Il est d’ailleurs troublant que l’avocat prétendument auteur des attestations n’ait pas été à même de faire la distinction, pourtant élémentaire, entre une peine d’emprisonnement et la détention préventive en cours d’instruction d’un inculpé. D’autre part, force est de constater à la lecture de ces attestations que celles-ci, non autrement corroborées par des documents, ne permettent pas non plus de conclure à suffisance de droit à la persistance à l’heure actuelle d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, en ce qui concerne Madame …, force est de constater qu’elle ne fait état, ni lors de son audition, ni lors des procédures gracieuse et contentieuse d’une quelconque raison personnelle de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

De tout ce qui précède, il résulte que les craintes dont les demandeurs font état ne sauraient fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours en réformation non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 janvier 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé 9


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18563
Date de la décision : 26/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-26;18563 ?

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