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24/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18749

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2005, 18749


Tribunal administratif N° 18749 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18749 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2004 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité s

erbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision ...

Tribunal administratif N° 18749 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18749 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2004 par Maître Adrian SEDLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Kosovo / Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 septembre 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 17 janvier 2005, Maître Adrian SEDLO ainsi que Monsieur le Délégué Jean-Paul REITER s’étant rapportés aux écrits de leurs parties.

Monsieur … introduisit en date du 14 juin 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Il fut encore entendu le 2 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration informa Monsieur … par décision du 6 septembre 2004, expédiée par courrier recommandé en date du 20 septembre 2004, de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au motif qu’il n’alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raisons d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans son chef.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2004, Monsieur … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de refus du 6 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur décrit d’une manière générale la situation difficile existant au Kosovo, en soulignant notamment, sur base de rapports de l’UNHCR, les risques de persécutions auxquels seraient exposées les minorités.

Il fait encore valoir sur cette toile de fond que lui-même, bien que membre de la communauté albanaise du Kosovo, serait continuellement accusé par des individus de faire du commerce avec des Serbes, et que cet harcèlement continuel aurait culminé en un passage à tabac en avril 2004, agression qui serait clairement à considérer comme persécution au sens de la Convention de Genève.

Il fait enfin plaider que d’une manière générale, les autorités en place, à savoir les forces des Nations Unies, seraient incapables d’assurer sa protection.

En substance, il reproche au ministre d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. En effet, une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur risque de subir des persécutions.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève En effet, force est de constater que le requérant, qui a résidé de 1993 à 2000 en Allemagne, est retourné au Kosovo en octobre 2000, où il a presque aussitôt connu des problèmes économiques, son ancien employeur refusant de le réintégrer à son poste occupé en 1993. Il a de ce fait été obligé de « faire du commerce » non autrement spécifié, avec des clients serbes, ce qui lui a apparemment valu l’inimité de certains Albanais. Il ressort encore de ses déclarations, telles qu’actées au procès-verbal d’audition du 2 juillet 2004, qu’il aurait été battu en avril 2004 par trois personnes qui lui reprochaient de faire du commerce avec des Serbes et qu’il aurait décidé immédiatement après cet incident de quitter le Kosovo.

Il ne ressort en revanche pas des déclarations du demandeur que, hormis le fait de se voir reprocher de traiter avec des Serbes, celui-ci ait fait l’objet de quelconques persécutions avant cet incident, de sorte qu’il y a lieu de retenir que c’est cet incident isolé qui a motivé sa fuite.

Or cette unique agression, dont les auteurs sont par ailleurs manifestement des membres de la même communauté ethnique que le demandeur, ne saurait être considérée comme persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques du demandeur ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Par ailleurs cette agression, comme relevé ci-avant, ainsi que les reproches adressés au demandeur, ont pour auteurs certains Albanais, de sorte que la crainte de persécution dont entend se prévaloir le demandeur émane de tiers et non pas de l’Etat, de sorte qu’il appartient de surcroît au demandeur de mettre suffisamment en évidence un défaut de protection de la part des autorités.

Or les autorités, qui comprennent non seulement une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, mais encore une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, loin de se cantonner dans une attitude passive, ont mis en place des structures destinées à protéger la sécurité physique de la population. La notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où des agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Le demandeur n’a cependant pas démontré que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient ni disposées ni capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant entendu qu’il n’a pas fait état d’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités en place.

Bien au contraire, il ressort du rapport d’audition du demandeur que celui-ci n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités pour tenter d’obtenir leur protection à l’encontre des auteurs de l’agression.

Il convient enfin de relever en outre que le demandeur reste en défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de s’installer dans une autre partie du Kosovo, où il aurait pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne, d’autant plus qu’il résulte des propres déclarations du demandeur qu’il avait pu échapper à toute persécution en se réfugiant auprès de ses beaux-parents habitant dans un village situé à seulement 7 kilomètres de son propre lieu de résidence.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 janvier 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18749
Date de la décision : 24/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-24;18749 ?

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