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24/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18733

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2005, 18733


Tribunal administratif N° 18733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18733 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de

M. …, né le … à Mitrovica (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeuran...

Tribunal administratif N° 18733 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18733 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004 par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le … à Mitrovica (Etat de Serbie-et-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 29 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Radu DUDA, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 29 décembre 2003, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 16 février 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 juillet 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 16 décembre en prenant place dans un camping-car. Le chauffeur vous aurait déposé à Luxembourg le 29 décembre 2003.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 29 décembre 2003.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire. Vous n’auriez jamais été membre d’un parti politique.

De 2000 à 2001, vous auriez travaillé pour l’UNMIK et, à partir de 2001, vous auriez aidé votre père qui tiendrait une épicerie à Mitrovica-Sud.

Vous précisez que, avant le conflit au Kosovo, votre père aurait travaillé à la Sécurité de l’Etat et que, actuellement, des inconnus voudraient se venger.

Dès la fin du conflit, vous auriez reçu des coups de téléphone anonymes. Votre père aurait porté plainte sans succès.

En 2001, ces inconnus auraient tiré sur un mur derrière votre maison.

Personnellement, vous ne vous seriez pas senti libre et en sécurité. Vous n’auriez pas pu continuer vos études à cause de cette insécurité.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Il résulte de vos dires que vous n’auriez subi personnellement aucune persécution. Le fait de recevoir des coups de téléphone et de ne pas se sentir en sécurité n’est pas suffisant pour entrer dans le cadre de la Convention de Genève. Vos dires reflètent davantage un sentiment d’insécurité qu’une vraie crainte de persécution.

De plus, le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro et de profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire le 17 août 2004 et à une décision confirmative du refus initial prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 22 septembre 2004, M. …, par requête déposée le 18 octobre 2004, a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision prévisée du ministre de la Justice du 29 juillet 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. – Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours principal en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il risquerait d’être persécuté au Kosovo en raison du fait qu’avant la guerre qui a sévi au Kosovo, son père aurait travaillé en tant qu’inspecteur dans le « service de sécurité d’Etat » et que suite à la guerre, son père, de même que les membres de la famille auraient reçu d’innombrables menaces de la part d’inconnus qui auraient parlé la langue serbe et qu’ils auraient même été victime d’un attentat à la bombe, la police étant incapable de garantir leur sécurité.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice, de même que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration auraient fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal, alors que le récit du demandeur traduit tout au plus un sentiment général d’insécurité, sans qu’il n’ait fait état d’une persécution personnelle vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Il y a lieu de préciser dans ce contexte que le prétendu attentat à la bombe invoqué dans le recours n’a pas été mentionné lors de l’audition du 29 juillet 2004, le demandeur n’ayant à l’époque fait état que d’une crainte afférente et que le fait que son père a pu recevoir des menaces de la part d’individus inconnus, à le supposer vrai, ne saurait suffire à lui seul pour justifier un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans le chef du demandeur, le fait n’étant pas personnel et le risque allégué partant indirect, mais encore et surtout parce que les auteurs ne peuvent pas être considérés comme des agents de persécution au sens de ladite Convention et le demandeur restant en défaut d’établir à suffisance de droit avoir recherché la protection des autorités de son pays d’origine ainsi qu’un refus ou une impossibilité de pouvoir obtenir une protection d’une efficacité suffisante, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa ville d’origine au Kosovo et il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle notamment dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 24 janvier 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18733
Date de la décision : 24/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-24;18733 ?

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