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24/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18684

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2005, 18684


Tribunal administratif N° 18684 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18684 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2004 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, né le … à Jablanica-Rozaje (Monténégro / Etat de Serbie-et- Monténégro), de ...

Tribunal administratif N° 18684 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er octobre 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice et une décision du Ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18684 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2004 par Maître Valérie DEMEURE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Jablanica-Rozaje (Monténégro / Etat de Serbie-et- Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 juillet 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, telle que cette décision a été confirmée par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 24 septembre 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Valérie DEMEURE et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 25 février 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 14 avril 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 28 juillet 2004, lui notifiée par courrier recommandé le 2 août 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 février 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 14 avril 2004.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire du 25 février 2004 que vous avez séjourné en Allemagne de 1999 à mars 2003. Vous seriez retourné volontairement au Monténégro. Début 2004 vous auriez quitté votre pays d’origine en bateau vers Bari en Italie, où vous auriez pris place à bord d’une voiture qui vous aurait emmené à Milan.

Vous y auriez pris un train pour le Luxembourg où vous seriez arrivé le 24 février 2004.

Vous avez deux frères au Luxembourg. Vous auriez perdu votre passeport en Italie.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez fait votre service militaire pendant trois mois et que vous auriez ensuite été dispensé pour cause d’inaptitude. Vous n’auriez plus été appelé à l’armée.

Vous dites avoir quitté le Monténégro à cause de l’instabilité politique. Vous dites qu’à chaque moment vous pourriez être appelé à la réserve et envoyé au front. Vous dites qu’au Monténégro les musulmans seraient maltraités par les serbes. Vous même, vous ne faites pas état de persécutions personnelles. Vous auriez peur de la politique. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Vous dites également avoir quitté le Monténégro pour vous calmer et faire soigner vos nerfs.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile, qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Force est de constater que vous ne faites pas état de persécutions personnelles et que vous ne soulevez que la situation générale au Monténégro. Vous dites avoir peur d’être recruté par l’armée et être envoyé au front. Or, vous avez été déclaré inapte et depuis 1991 vous n’avez plus été appelé à l’armée pour cette même raison. Votre crainte est donc purement hypothétique et non fondée. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires. Vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Vous dites que les musulmans seraient menacés au Monténégro, or les relations interethniques y sont stables. Il n’existe plus d’affronts entre les différentes communautés ethniques ou religieuses et une persécution systématique de minorités est actuellement à exclure.

Vous admettez également avoir quitté le Monténégro pour des raisons de santé.

Or, de telles raisons ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car elles ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

A cela s’ajoute que l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Ce constat doit être fait pour le Monténégro, où la situation politique a favorablement évolué depuis la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement en Yougoslavie au mois d’octobre 2000. La sortie de la crise a été consolidée en mars 2002 par la signature d’un accord serbo-monténégrin par les présidents Kostunica et Djukanovic, prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro. Ledit accord a été ratifié aussi bien par le parlement serbe et monténégrin en date du 9 avril 2002. La République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister et a été remplacée par un Etat de Serbie et de Monténégro début février 2003. Il a ainsi été jugé par le tribunal administratif le 4 septembre 2002 que « la situation politique a favorablement évolué au Monténégro suite à la signature d’un accord serbo-monténégrin au mois de mars 2002 prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’indépendance au Monténégro, de sorte que des risques sérieux de persécution ne sont plus à craindre dans le pays d’origine du demandeur ». Enfin et surtout, soulignons l’adhésion du 3 avril 2003 de la Serbie-Monténégro au Conseil de l’Europe et par là, sa signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre du Conseil de l’Europe à condition qu’il accepte le principe de la prééminence du droit. Il doit en outre garantir la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute personne placée sous sa juridiction. Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Suite à un recours gracieux introduit par lettre de son mandataire en date du 26 août 2004 et une décision confirmative prise par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration le 24 septembre 2004, M. …, par requête déposée le 1er octobre 2004, a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles précitées des 28 juillet et 24 septembre 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Quant au fond, le demandeur expose être originaire de la commune de Rozaje au Monténégro et de confession musulmane et qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de l’instabilité politique et des tensions entre les communautés musulmane et serbe qui feraient qu’il serait sujet à des « vexations et humiliations à répétition ». Le demandeur expose plus particulièrement que pendant la guerre de Bosnie, il aurait été incorporé dans l’armée yougoslave pendant trois mois, mais dispensé temporairement du service militaire pour des raisons de santé, mais qu’il risquerait de nouveau d’être engagé lors du « prochain conflit armé ». En ordre subsidiaire, le demandeur sollicite encore un droit de séjour pour raisons humanitaires, étant donné qu’il serait « malade des nerfs ».

En substance, il reproche au ministre de la Justice et au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que les deux ministres ont fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » .

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que s’il est vrai que la situation générale du demandeur en tant que membre de la communauté musulmane du Monténégro reste difficile et qu’il est exposé à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre du groupe ethnique visé serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, les allégations du demandeur relativement à des vexations et humiliations, à les supposer vraies, sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont actuellement au pouvoir en Serbie-et-Monténégro ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions à l’encontre des membres de la communauté musulmane, cette conclusion s’imposant d’autant plus au regard de l’évolution favorable de la situation politique actuelle en Serbie-et-Monténégro.

Il s’y ajoute que les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement au territoire de la commune de Rozaje et qu’il reste en défaut d’établir qu’il ne peut pas trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de la Serbie-et-Monténégro, notamment dans la république du Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Concernant ensuite le risque pour Monsieur … d’être à nouveau enrôlé dans l’armée serbe, il échet de retenir, mis à part le fait qu’il a été déclaré inapte au service militaire en 1991, qu’il n’est pas établi qu’il risque de devoir participer à l’heure actuelle à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Finalement, le problème de l'éloignement ne se pose que si le statut de réfugié est refusé, de sorte qu'une demande ayant pour objet une autorisation de séjour pour raisons humanitaires respectivement un statut de tolérance ne peut être présentée que si la décision de refus du statut de réfugié est devenue définitive (cf. trib. adm. 25 juillet 2001, n° 12908 du rôle, confirmé par C. adm. 6 décembre 2001, n° 13880C du rôle, Pas. adm.

2004, V° Etrangers, n° 113) – Il s’en déduit qu’on ne saurait admettre que dans une même procédure, le droit d’asile et le bénéfice du statut de tolérance puissent être demandés. Le statut de tolérance respectivement une autorisation de séjour pour raisons humanitaires ne saurait être accordé par le ministre qu’une fois le statut de réfugié refusé (cf. trib. adm. 3 mai 2001 n° 12394 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 113).

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18684
Date de la décision : 24/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-24;18684 ?

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