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24/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18437

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2005, 18437


Tribunal administratif N° 18437 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18437 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de Monsieur …, de nationalité belge, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Sch...

Tribunal administratif N° 18437 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 juillet 2004 Audience publique du 24 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18437 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 juillet 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité belge, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 avril 2004 par laquelle il s’est vu expulser du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2004 en nom et pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Philippe STROESSER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Par décision du 21 avril 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par le « ministre », prit un arrêté d’expulsion à l’encontre de Monsieur … et lui intima de quitter le pays à partir de la notification de cette décision, et, en cas de détention, immédiatement après la mise en liberté pour les motifs suivants :

« Vu l'article 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu la gravité des faits pour lesquels l’intéressé a été condamné ;

Vu l’avis en date du 20 février 2003 de la Commission Consultative en matière de Police des Etrangers et pour les motifs y exposés ;

Attendu que l’intéressé compromet la sécurité et l'ordre publics ».

Par requête déposée le 21 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du ministre du 21 avril 2004.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être citoyen belge travaillant au Luxembourg depuis 1990, qu’il se serait marié au Luxembourg au courant de l’année 1998 et qu’il serait le père de deux enfants et qu’il aurait été condamné le 5 juin 2000 par la Cour d’Appel de Luxembourg à une peine de réclusion de 7 ans du chef d’attentat à la pudeur. Il estime que c’est à tort que le ministre a motivé l’arrêté de refus litigieux par la considération qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, au motif que ladite condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure d’expulsion à son égard et que s’il n’est pas contestable qu’il a troublé l’ordre public dans le passé, tel ne serait plus le cas à l’heure actuelle. Dans ce contexte, Monsieur … relève qu’il serait un détenu modèle, qu’il aurait déjà réussi à payer une partie de sa dette envers la partie civile et l’intégralité des frais de justice à la suite de son procès pénal, qu’il serait à même de retrouver une occupation salariée dès sa sortie de prison et qu’il présenterait tous les gages de resocialisation en raison des thérapies suivies et du suivi psychologique dont il a bénéficié. Finalement, le demandeur souligne encore que l’exécution d’une mesure d’expulsion le priverait de tout contact avec une partie de sa famille, dont notamment son frère qui serait atteint d’un cancer.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait pris à bon droit et pour de justes motifs un arrêté d’expulsion à l’encontre de Monsieur … en raison de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné et au vu de la durée limitée de son séjour au pays antérieurement à sa mise en détention. Il signale plus particulièrement que le demandeur aurait fait une demande de carte de séjour en date du 15 mai 1997, qu’il aurait été mis en détention préventive le 8 octobre 1998 pour des faits d’attentat à la pudeur et qu’il serait récidiviste, raisons pour lesquelles le ministre aurait pris la décision litigieuse malgré l’avis contraire de la commission consultative en matière de police des étrangers du 20 février 2003, qui a recommandé de limiter dans le temps le séjour de Monsieur … au pays, à condition d’avoir un domicile fixe et un travail régulier rémunéré, de dédommager la partie civile et de suivre un traitement thérapeutique.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, en se référant audit avis de la commission consultative, insiste sur le caractère disproportionné de la décision litigieuse par rapport à sa situation personnelle. Il précise qu’il pourrait être embauché dès sa sortie de prison, qu’il pourrait habiter au domicile de son frère et qu’il est disposé à régler le solde redû à la partie civile avec les revenus de son travail.

Conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, applicable en l’espèce en raison de la qualité de ressortissant communautaire du demandeur, « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

La directive 64/221/CEE du 25 février 1964 du Conseil pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique impose aux Etats membres un certain nombre de conditions de fond et de forme en matière de police des étrangers à l’observation desquelles veille la Cour de Justice des Communautés européennes, ci-après dénommée la « CJCE ».

L’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil précise en son paragraphe 1 que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet et dans son paragraphe 2 que la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Ces dispositions ont été transposées en droit national par le règlement grand-

ducal modifié du 28 mars 1972, précité, et plus précisément par son article 9 cité ci-avant.

La CJCE a été amenée à élaborer en matière d’ordre public une œuvre considérable, dont l’examen ne peut être dissocié de celui de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964.

Dans son arrêt Bouchereau du 27 octobre 1977 (Aff. 30/77) elle a précisé, par référence à son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), qu’en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, la notion d’ordre public doit être entendue strictement, étant acquis qu’elle est susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il convient de reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application.

Ainsi des « restrictions ne sauraient être apportées aux droits des ressortissants des Etats membres d’entrer sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y séjourner et de s’y déplacer que si leur présence ou leur comportement personnel constitue une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public » (arrêt RUTILI, CJCE 28 octobre 1975, aff. 36/75).

Par ailleurs, le pouvoir étatique en matière de police des étrangers à l’égard d’étrangers délinquants est limité par la règle selon laquelle la « seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver » des décisions de refus d’entrée et de séjour et des décisions d’éloignement.

Il en résulte qu’une décision de refus d’entrée et de séjour, basée sur des raisons d’ordre ou de sécurité publics, ne se justifie qu’à partir du moment où le trouble causé par ledit ressortissant communautaire à l’ordre public est suffisamment grave et caractérisé.

En l’espèce, force est de constater que Monsieur …, peu de temps après son installation au pays au mois de mai 1997, a commis divers attentats à la pudeur sur une personne hors d’état de donner un consentement libre et d’opposer de la résistance et sur laquelle il avait autorité, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine de réclusion de 7 ans. A cela s’ajoute que le demandeur est à considérer comme récidiviste, étant donné qu’il a été condamné par la Cour militaire de Liège le 4 juin 1992 du chef de viol et d’attentat à la pudeur à une peine de réclusion de 10 ans. Finalement, le tribunal tient encore à relever que Monsieur …, au moment de solliciter sa carte de séjour au mois de mai 1997, a déclaré ne pas avoir d’antécédents judiciaires, affirmation qui ne correspondait pas à la vérité.

Eu égard à la gravité des faits à la base de la condamnation pénale prononcée par la Cour d’Appel de Luxembourg, au faible laps de temps pendant lequel le demandeur séjournait au pays avant la perpétration des faits à la base de la condamnation encourue, à ses antécédents judiciaires et eu égard au fait que Monsieur POULON a nié ses antécédents judiciaires au moment de s’installer au Luxembourg, la décision d’expulsion prise à l’égard de Monsieur … est motivée à suffisance de droit et de fait, de sorte que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 24 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18437
Date de la décision : 24/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-24;18437 ?

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