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24/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18063

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 janvier 2005, 18063


Tribunal administratif N° 18063 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 24 janvier 2005

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Recours formé par les consorts … et …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18063 du rôle, déposée le 17 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Mme … et M. …, tous les deux de nationalité belge, déclarant demeurer ensemble à L-…, tendant à ...

Tribunal administratif N° 18063 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 mai 2004 Audience publique du 24 janvier 2005

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Recours formé par les consorts … et …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière d'autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18063 du rôle, déposée le 17 mai 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme … et M. …, tous les deux de nationalité belge, déclarant demeurer ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2003 portant rejet d'une demande d'obtention d’une carte de séjour en faveur de Mme …, telle que cette décision a été confirmée par décision prise par le même ministre le 16 février 2004 suite à un recours gracieux introduit par Mme … le 19 janvier 2004 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement le 19 août 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal le 20 septembre 2004 en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les mémoires complémentaires produits en cause par les deux parties respectivement en date des 25 novembre et 30 décembre 2004, suite à la demande du tribunal ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc ELVINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 10 juillet 2003, Mme …, née le 25 mai 1949 à Halleux (Belgique), de nationalité belge, sans état particulier, déclarant demeurer à L-8355 Garnich, 21, rue Nic Arend, introduisit auprès de l’administration communale de Garnich une demande en obtention d’une carte de séjour (carte d’identité d’étranger).

Le 15 décembre 2003, le ministre de la Justice refusa de faire droit à cette demande, au motif que Mme … ne serait pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants pour lui permettre d’assurer son séjour au Luxembourg, indépendamment de l’aide matérielle ou de secours financiers que de tierces personnes pourraient lui faire parvenir.

Un recours gracieux introduit le 19 janvier 2004 par le mandataire de Mme …, dans le cadre duquel elle fit relever être la concubine de M. …, de nationalité belge, travaillant au Luxembourg, avec lequel elle résiderait ensemble à L-8355 Garnich, 21, rue Nic Arend, ayant été rencontré en date du 16 février 2004 par une décision du ministre de la Justice confirmative de son refus initial, les consorts … et … ont introduit le 17 mai 2004 un recours tendant à l’annulation des deux décisions ministérielles prévisées des 15 décembre 2003 et 16 février 2004.

Le recours en annulation non autrement contesté sous ce rapport est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Lors de l’audience du 25 octobre 2004, initialement fixée pour les plaidoiries, le tribunal souleva la question de savoir si les décisions attaquées étaient compatibles avec l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée la « Convention européenne des droits de l’homme », tout en invitant les parties à prendre position par rapport à la nature de l’ingérence et sa proportionnalité par rapport au but poursuivi par l’autorité ministérielle.

Faisant suite à cette invitation, les demandeurs estiment que, indépendamment de la question de savoir si les décisions litigieuses seraient contraires au droit communautaire, elles contreviendraient à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour constituer une ingérence non proportionnée dans leur vie familiale.

Le délégué du gouvernement estime que la famille « naturelle » ne saurait être assimilée à tous points de vue à la famille traditionnelle et qu’il serait légitime de ne pas les traiter identiquement dans tous les cas de figure, même la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme jugeant « légitime, voire méritoire, de soutenir et d’encourager la famille traditionnelle », pour en conclure qu’en l’espèce, rien ne s’opposant au mariage des deux demandeurs, le ministre de la Justice a pu estimer « que la vie familiale prévue à l’article 8 de la convention présuppose dans le cas d’espèce la sauvegarde du mariage en tant que fondement de la famille » (sic).

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » S’il est incontestable que ledit article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’entend pas remettre en cause la compétence de principe de chaque Etat de prendre des mesures en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que ladite disposition implique que l’autorité étatique investie du pouvoir de décision en la matière n’est pas investie d’un pouvoir discrétionnaire, mais qu’en exerçant ledit pouvoir, elle doit tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées.

Or, au regard des données factuelles apparentes du cas d’espèce, à savoir :

-

le fait que le couple …-…, composé de deux citoyens de l’Union européenne, paraît exister depuis 8 ans, de sorte qu’il était préexistent à l’immigration des demandeurs au Luxembourg, où ils se sont installés au mois de juillet 2003, étant relevé que M. … y a trouvé un emploi de concierge/gardien, rémunéré en nature moyennant la mise à disposition d’une maison qu’il occupe ensemble avec Mme …, -

le fait que les moyens d’existence dont le couple dispose se limitent pour le surplus essentiellement à une pension de retraite de militaire de M. …, limitée, d’après les éléments produits en cause, à quelques 1.100 €, c’est-à-

dire que l’activité exercée tend à procurer au couple un logement, dont il ne saurait difficilement bénéficier - en tout cas pas dans les mêmes conditions -

en usant de la seule pension de M. …, et -

les conséquences néfastes d’un refus de s’installer au Luxembourg dans le chef de Mme …, en ce qu’il implique que si les consorts …-… entendent continuer à cohabiter, M. … sera vraisemblablement amené à renoncer à son emploi, le couple perdant ainsi la jouissance de l’habitation mise à sa disposition, le tribunal arrive à la conclusion qu’en l’espèce, le refus d’accorder une carte et un droit de séjour à Mme … constitue une ingérence disproportionnée et injustifiée dans l’exercice du droit des demandeurs au respect d’une vie familiale au sens de l’article 8 précité.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’argumentation développée par le délégué du gouvernement, étant donné qu’aussi légitime que puisse être la politique de promouvoir la famille « légitime » et la « sauvegarde du mariage en tant que fondement de la famille », aucun traitement différencié n’est concevable entre famille « légitime » et famille « naturelle » en ce qui concerne le droit fondamental de cohabiter dont bénéficient indubitablement tant les relations et familles nées du mariage que celles issues d’un « simple » concubinage.

Il s’ensuit que les décisions du ministre de la Justice des 15 décembre 2003 et 16 février 2004 sont illégales pour procéder d’une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait et elles doivent partant être annulées.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule les décisions du ministre de la Justice des 15 décembre 2003 et 16 février 2004 et renvoie le dossier devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, autorité ministérielle désormais compétente, pour prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 24 janvier 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 4


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18063
Date de la décision : 24/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-24;18063 ?

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