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21/01/2005 | LUXEMBOURG | N°19154

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 janvier 2005, 19154


Tribunal administratif Numéro 19154 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2005 Audience publique extraordinaire du 21 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19154 du rôle, déposée le 11 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … et de

nationalité bissau-guinéenne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour ét...

Tribunal administratif Numéro 19154 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 janvier 2005 Audience publique extraordinaire du 21 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de rétention administrative

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 19154 du rôle, déposée le 11 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … et de nationalité bissau-guinéenne, actuellement placé au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 30 décembre 2004 ordonnant son placement audit Centre pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2005 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Jacqueline JACQUES en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 janvier 2005.

Le 30 décembre 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et 1l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il fit valoir qu’il aurait quitté son pays en date du 23 décembre 2004. Confronté aux résultats EURODAC ayant révélé le dépôt antérieur d’une demande d’asile en Belgique, ledit procès-verbal renseigne encore ce qui suit : « Alsdann erzählte er, dass er Guinea im März 2004 verlassen hat und er gelangte an Bord eines Schiffes nach Europa. In Brüssel stellte er einen Asylantrag. Dieser Antrag wurde abgelehnt und er lebte einige Zeit auf der Strasse. Am gestrigen Tag brachte ihn ein barmherziger Bruder in einem Fahrzeug nach Luxemburg ».

Le même jour, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit alors à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière à Schrassig pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est libellée comme suit :

« Vu l’article 15 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers ;

Vu le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière ;

Vu le rapport n° 15/3171/04/HA du 30 décembre 2004 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;

-

qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants ;

-

qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant que l’intéressé a déposé une demande d’asile au Luxembourg en date du 30 décembre 2004 ;

-

qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant déposé une demande d’asile en Belgique en date du 29 mars 2004 ;

-

qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 sera adressée aux autorités belges dans les meilleurs délais ;

Considérant qu’un éloignement immédiat de l’intéressé n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement… ».

Par requête déposée le 11 janvier 2005 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle de placement du 30 décembre 2004.

Etant donné que l’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3.

l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision litigieuse. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

2Le demandeur fait valoir que la décision de placement serait contraire aux critères fixés par la loi et la jurisprudence, alors qu’un placement devrait rester une mesure d’exception, applicable qu’en cas de nécessité absolue.

Concernant le moyen basé sur la considération que seule une absolue nécessité justifierait une mesure de rétention administrative, force est de constater qu’aucune condition afférente n’est inscrite dans la loi, l’article 15, paragraphe (1), alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972, en disposant que : « Lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de la loi du 28 mars 1972] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois », exige la réunion de deux conditions légales sous-jacentes à une décision de placement :

1. une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 de la loi du 28 mars 1972, 2. l’impossibilité de l’éloignement de l’étranger en raison de circonstances de fait.

Etant donné que Monsieur … soulève que la décision sous examen serait contraire aux critères fixés par la loi, le tribunal est amené à vérifier si, en l’espèce, le ministre a pu prendre une décision de placement à l’encontre de Monsieur ….

En l’espèce, il est constant que la décision de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion en application de l’article 9 de la loi du 28 mars 1972.

Il convient partant d’examiner si la décision de placement est basée sur une mesure de refoulement prise en application de l’article 12 de la loi du 28 mars 1972.

L’article 12 dispose que : « Peuvent être éloignés du territoire par la force publique, sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal à adresser au Ministre de la Justice les étrangers non autorisés à résidence :

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage ;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi du 28 mars 1972] ;

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis ;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

3 Dans la mesure où aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre à partir du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une décision de placement a été prise à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle mesure de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de placement à partir du moment où il n’existe pas de décision d’expulsion.

Dès lors, étant donné que Monsieur … ne dispose pas des papiers de légitimation prescrits, hypothèse visée sous le numéro 4 de l’article 12 cité ci-avant, une mesure de refoulement a valablement pu être prise à son encontre.

En second lieu, le tribunal vérifie si le ministre a pu se baser sur des circonstances de fait permettant de justifier une impossibilité de procéder à un éloignement immédiat de l’intéressé.

Etant donné qu’il appartenait aux autorités luxembourgeoises d’appliquer la procédure telle que prévue par le règlement CE N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, il résulte des pièces versées au dossier que les autorités luxembourgeoises ont contacté le 31 décembre 2004, soit le lendemain de la décision litigieuse, les autorités belges en vue de la reprise en charge du demandeur sur le fondement de l’article 16 1. e)1 du règlement CE N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 en précisant qu’il s’agit d’une « rétention » et que la réponse serait à fournir de façon urgente et au plus tard pour le 14 janvier 2005.

Il résulte des explications fournies à l’audience que la Belgique n’a pas fait connaître sa décision dans le délai de deux semaines, de sorte que les autorités belges sont à considérer, par application de l’article 20 1. c) du règlement CE N° 343/2003 comme ayant accepté la reprise en charge du demandeur à partir du 15 janvier 2005.

S’il est vrai que les autorités belges sont considérées comme ayant accepté tacitement la reprise en charge du demandeur à partir du 15 janvier 2005, une telle acceptation ne saurait cependant justifier automatiquement le transfert du demandeur, étant donné qu’il y a lieu d’organiser matériellement le transfert du demandeur vers la Belgique, de sorte que l’argumentation du demandeur en ce que son transfert vers la Belgique devrait se faire « sans trop de complications administratives » laisse d’être fondée.

A l’audience, le délégué du Gouvernement a encore précisé que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration s’est adressé en date du 17 janvier 2005 aux autorités belges en les informant qu’elles sont désormais considérées comme ayant accepté tacitement la demande de reprise en charge de Monsieur … et que les préparatifs pour l’exécution du transfert vers la Belgique sont en cours.

1 L’article 16 1. e) vise la reprise en charge, par l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, d’un ressortissant d’un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre Etat membre.

4 Au vu des diligences ainsi déployées qui se solderont dans l’exécution prochaine du transfert, le ministre a entrepris des démarches suffisantes en vue d’un transfert rapide du demandeur vers la Belgique, de sorte que celui-ci ne saurait soutenir que la décision sous examen ne répondrait pas aux critères fixés par la loi.

Monsieur … ajoute qu’il ne souhaiterait qu’être protégé de la part des autorités belges et que la mesure de placement au Centre de séjour provisoire constituerait une mesure disproportionnée, tant au regard de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers, qu’au regard de sa situation personnelle.

Quant au moyen basé sur le caractère prétendument disproportionné de la décision litigieuse tant au regard des exigences de la loi du 28 mars 1972 concernant l’entrée et le séjour des étrangers qu’au regard de la situation personnelle de Monsieur …, force est encore de constater qu’en l’absence d’arguments concrets tenant à la situation spécifique du demandeur, avancé en cause pour sous-tendre ce moyen en fait, aucune illégalité de la décision litigieuse ne saurait en être dégagée.

En effet, la mise en place d’un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière repose précisément sur la prémisse qu’au-delà de toute considération tenant à une dangerosité éventuelle des personnes concernées, celles-ci, eu égard au seul fait de l’irrégularité de leur séjour et de l’imminence éventuelle de l’exécution d’une mesure d’éloignement dans leur chef, présente en principe et par essence un risque de se soustraire à la mesure d’éloignement, fût-il minime, justifiant leur rétention dans un centre de séjour spécial afin d’éviter que l’exécution de la mesure prévue ne soit compromise.

Le demandeur n’ayant pas contesté en l’espèce entrer dans les prévisions de la définition des « retenus » tels que consacrés à l’article 2 du règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 créant un Centre de séjour provisoire pour étrangers en situation irrégulière, le moyen basé sur le caractère disproportionné, non autrement spécifié, de la décision litigieuse laisse encore d’être fondé.

Il s’ensuit que la décision de placement entreprise est motivée à suffisance de fait et de droit indépendamment de la considération que le ministre a encore relevé dans ladite décision l’insuffisance des moyens d’existence personnels dans le chef du demandeur.

Au vu de ce qui précède, le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 21 janvier 2005 par :

Mme Thomé, juge, Mme Gillardin, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Thomé 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19154
Date de la décision : 21/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-21;19154 ?

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