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19/01/2005 | LUXEMBOURG | N°19064

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 janvier 2005, 19064


Tribunal administratif N° 19064 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2004 Audience publique du 19 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19064 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Serenati (Mali), demeurant actuellement à L-…, tendan...

Tribunal administratif N° 19064 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2004 Audience publique du 19 janvier 2005

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19064 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 décembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Serenati (Mali), demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 17 novembre 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 28 septembre 2004, Monsieur … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut entendu le 5 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa, par lettre du 17 novembre 2004, envoyée par courrier recommandé expédié le 22 novembre 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 septembre 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 5 octobre 2004.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 septembre 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité. Vous auriez perdu votre carte d’identité lorsque vous auriez quitté le Mali en 2003.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine au début de l’année 2003 parce que vous auriez eu un problème avec un certain Musa, un « doma », c’est-à-dire un marabout, un magicien. En effet, les moutons de ce dernier auraient marché sur vos cultives. Vous vous seriez alors bagarré avec Musa, qui serait selon vos propres dires votre ennemi. Ce dernier aurait juré qu’il vous tuerait. Etant donné qu’un « doma » pourrait tuer des gens sans même les toucher, vous auriez décidé de quitter le Mali, voir même tout le continent africain, parce que les « domas », très nombreux, pourraient vous tuer « partout en Afrique ».

Début 2003, vous auriez alors quitté le Mali pour séjourner jusqu’en août 2004 au Sénégal. Vous y auriez vécu chez un de vos amis et chez la sœur de votre mère ensemble avec vos sept enfants. En août 2004, vous auriez quitté Dakar/Sénégal par bateau en laissant vos enfants chez votre ami. Vous auriez accosté en Espagne où vous auriez pris une voiture pour aller au Maroc. Vous dites n’y avoir « rien trouvé » et vous seriez retourné, toujours en voiture, en Espagne où vous auriez trouvé une personne qui vous aurait emmené à Bruxelles. Vous dites ne pas avoir séjourné au Maroc, mais d’y être « juste passé ». A Bruxelles, vous auriez pris un train pour le Luxembourg. Vous dites que votre vie ne serait pas garantie en Espagne, sans pourtant en donner des raisons. Vous n’auriez également pas voulu rester à Bruxelles. Vous auriez payé 500 000 francs CFA pour votre voyage en Europe.

Vous ne faites pas état d’autres problèmes.

Il y a tout d’abord lieu de relever qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que les invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Il y a tout d’abord lieu de noter qu’une partie de votre voyage entrepris pour venir en Europe n’est pas crédible. Il est totalement impensable que vous seriez arrivé en bateau en Espagne et que vous auriez pris une voiture pour aller au Maroc et d’être retourné de nouveau en voiture en Espagne parce que vous n’auriez « rien trouvé » au Maroc. A cela s’ajoute que vous avez déclaré auprès du Service de Police Judiciaire avoir payé 5000 francs CFA pour votre voyage en Europe, auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, vous auriez payé 500 000 francs CFA. Par ailleurs, vous avez prétendu auprès de la police luxembourgeoise que le bateau se serait arrêté dans un port au Maroc, probablement à Casablanca.

Même à supposer vos dires comme vrais, selon l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Force est de constater que votre demande ne correspond à aucun critère de fond défini par la Convention de Genève et que vous ne faites pas état de persécutions de la part du gouvernement malien en place. Le fait que vous auriez eu un conflit avec un « doma » capable de tuer des gens sans même les toucher, à cause d’une histoire de moutons, ne pourra être considéré comme constituant une persécution ou justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que cette personne ne saurait être considérée comme un agent de persécution au sens de la prédite Convention. Il ne ressort par ailleurs pas de votre dossier que les autorités maliennes n’auraient pas été en mesure de vous accorder une protection. Il faut également noter que votre crainte et votre réaction de fuir en Europe sont totalement démesurées par rapport aux faits allégués.

Force est également de constater que vous avez trouvé refuge au Sénégal où vous vous seriez établi de début 2003 à août 2004 avec vos sept enfants sans autre difficulté chez un ami et chez la sœur de votre mère. Interrogé sur le fait pourquoi vous ne seriez pas resté au Sénégal, vous restez très succinct dans vos explications. Vous dites ne pas y être en sécurité sans pour autant étayer cette affirmation par un moindre élément concret. Vous n’avez également à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas été en mesure de demander le statut de réfugié en Espagne ou en Belgique.

De surcroît, le Mali, pays démocratique, doit être considéré comme pays d’origine sûr où il n’existe pas en règle générale des risques de persécution au sens de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, qui dispose que « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève » .

Par requête déposée le 22 décembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle de refus précitée du 17 novembre 2004.

Il ressort des éléments du dossier, notamment de la décision ministérielle précitée du 17 novembre 2004, que le refus de reconnaissance du statut de réfugié est basé sur l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996, précitée.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

En ce qui concerne la question de l’attribution erronée de la décision déférée au ministre de la Justice, telle que relevée par le délégué du gouvernement, il convient de relever que la décision déférée est correctement identifiée par sa date, son objet et son destinataire, de sorte qu’il n’a pas été porté préjudice aux droits de la défense, la partie étatique ne s’étant pas méprise sur l’objet du recours. Il en résulte que l’erreur afférente ne saurait entraîner l’irrecevabilité du recours.

Quant au fond, le demandeur déclarant être originaire du Mali, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Il expose qu’il aurait été poursuivi dans son pays d’origine et qu’il aurait plusieurs fois été menacé de mort. Il ajoute qu’il ne pourrait pas compter sur une protection adéquate de la part des autorités de son pays d’origine.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation du demandeur dont le récit ne répondrait à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, tout en signalant que le récit du demandeur manquerait manifestement de crédibilité.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, même abstraction faite des incohérences et invraisemblances contenues dans le récit du demandeur concernant son trajet pour arriver au Luxembourg, telles que relevées par le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration dans la décision attaquée, force est de constater, au regard des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile, ainsi qu’ils se dégagent du procès-verbal d’audition du 5 octobre 2004, que le demandeur n’a manifestement pas établi des raisons personnelles de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine. - En effet, il apparaît à l’examen du compte-rendu de son audition tel qu’il figure au dossier, que le demandeur, interrogé plus précisément sur les raisons qui l’ont amené à quitter son pays d’origine, a répondu qu’il avait peur d’un « doma », sorte de marabout, avec lequel il se serait disputé du fait que les moutons du marabout auraient détruit ses cultures et qui aurait menacé de le tuer s’il ne quittait pas le village. Il se dégage de ses déclarations, à supposer son récit véridique, que le demandeur exprime en substance des craintes purement hypothétiques faces à des pratiques de sorcellerie, sans apporter le moindre élément concret et individuel de persécution au sens de la Convention de Genève et sans préciser en quoi sa situation particulière ait été telle qu’il pouvait avec raison craindre qu’il risquerait de faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’en vertu de l’article 5-1) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996, précité, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile provient d’un pays où il n’existe pas, en règle générale, de risques sérieux de persécution ».

Or, force est de constater que le Mali est précisément un pays dans lequel il n’existe pas de risques sérieux de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a rejeté la demande d’asile du demandeur comme étant manifestement infondée et le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 19 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 19064
Date de la décision : 19/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-19;19064 ?

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