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19/01/2005 | LUXEMBOURG | N°17820

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 janvier 2005, 17820


Numéro 17820 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mars 2004 Audience publique du 19 janvier 2005 Recours formé par les sociétés anonymes E., …, et C., … contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition Sociétés 1 en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17820 du rôle, déposée le 31 mars 2004 au greffe du tribuna

l administratif par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre ...

Numéro 17820 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 mars 2004 Audience publique du 19 janvier 2005 Recours formé par les sociétés anonymes E., …, et C., … contre des bulletins d’impôt émis par le bureau d'imposition Sociétés 1 en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17820 du rôle, déposée le 31 mars 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Pierre WINANDY, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme E., établie et ayant son siège social à L-…, et de la société anonyme C., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à la réformation :

 du bulletin de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal pour l’année 1998, émis le 1er mars 2001 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme E.,  du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1998, émis le 1er mars 2001 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme E.,  du bulletin de la base d’assiette globale et de l’impôt commercial communal pour l’année 1999, émis le 1er mars 2001 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme E.,  du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999, émis le 1er mars 2001 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme E.,  du bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 1998, émis le 10 janvier 2003 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme C.,  du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1998, émis le 10 janvier 2003 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme C.,  du bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 1999, émis le 17 avril 2003 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme C.,  du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999, émis le 17 avril 2003 par le bureau d'imposition Sociétés 1 à l’égard de la société anonyme C., leur réclamation commune du 9 juillet 2003 à l’encontre de tous ces bulletins n’ayant pas fait l’objet d’une décision afférente de la part du directeur de l’administration des Contributions directes;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juin 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2004 par Maître Jean-Pierre WINANDY pour compte des sociétés anonymes E. et C.;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins entrepris;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Pierre WINANDY et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 novembre 2004.

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Durant les années 1998 et 1999, le régime de l’intégration fiscale fut applicable entre la société anonyme de droit luxembourgeois C., ci-après désignée par la « société C. », et sa filiale, la société anonyme de droit luxembourgeois E., ci-après désignée par la « société E. », les deux préqualifiées.

Depuis l’année 1996, la société E. détint les parts de la société de droit allemand T.

GmbH & Co KG, ci-après désignée par la « société T. », laquelle réalisa au cours des années 1998 et 1999 des pertes à hauteur de respectivement 935.182,59 € et 1.127.685,54 €. Suite à une fusion, la société T. changea de nom en « B. GmbH & Co KG ».

A travers les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 1998 et 1999, tous émis le 1er mars 2001, le bureau d'imposition Sociétés 1 de la section sociétés du service d’imposition de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d'imposition », refusa de tenir compte dans le chef de la société E. des pertes subies au cours de ces années par la société T.

et il rejeta également les déductions pour dépréciation sur la valeur de cette participation – 669.312,52 € pour 1998 et 669.312,52 € pour 1999 - que la société E. avait opérées dans sa comptabilité, le montant total de ces pertes et corrections de valeur rejetées par le bureau d'imposition s’élevant à 64.725.172 LUF pour l’année 1998 et à 72.490.722 LUF pour l’année 1999. Tous ces bulletins fixèrent, en tenant notamment compte de l’application du régime d’intégration fiscale et des transferts de pertes à la société C. en découlant, des cotes d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal égales à 0 LUF.

Suivant les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal pour l’année 1998, émis le 10 janvier 2003 à l’égard de la société C., le même bureau d'imposition imputa, conformément au régime de l’intégration fiscale, à cette dernière la perte de la société E. telle que découlant des bulletins prévisés du 1er mars 2001 émis à l’égard de la société E. et faisant dès lors abstraction de la perte subie par la société T. et de la correction de valeur opérée par la société E.. Comme suite à l’imputation de ladite perte et au report d’une perte d’exploitation antérieure de la société C.

même sur le bénéfice commercial de l’année 1998, le bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal retint une base d’assiette de 0 LUF et le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités fixa un revenu imposable arrondi de 0 LUF et en conséquence une cote d’impôt sur le revenu des collectivités de 0 LUF.

A travers les bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999, émis le 17 avril 2003 à l’égard de la société C., le bureau d'imposition appliqua les mêmes principes concernant le refus de prise en compte de la perte subie par la société T. et de la correction de valeur opérée par la société E., mais fixa une base d’assiette d’après le bénéfice de 2.090.280 LUF, ainsi qu’un revenu imposable ajusté de 54.024.000 LUF et une cote d’impôt sur le revenu des collectivités de 16.207.200 LUF.

Par courrier commun du 9 juillet 2003, la société C. et la société E. introduisirent une réclamation à l’encontre de ces bulletins concernant l’impôt commercial communal et l’impôt sur le revenu des collectivités pour les années 1998 et 1999, émis le 1er mars 2001 à l’égard de la société E. et les 10 janvier et 17 avril 2003 à l’égard de la société C..

A défaut de décision prise par le directeur de l’administration des Contributions directes suite à cette réclamation, la société E. et la société C. ont introduit un recours contentieux tendant à la réformation des bulletins prévisés par requête déposée le 31 mars 2004.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu et un bulletin de l’impôt commercial communal en l’absence d’une décision du directeur de l’administration des Contributions direct ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre ces mêmes bulletins. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation.

Quant à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement soulève le moyen d’irrecevabilité du recours dans le chef de la société E. en arguant que cette société serait sans intérêt pour entreprendre les bulletins pour les années 1998 et 1999 émis le 1er mars 2001 à son égard, vu qu’ils fixeraient pour ces deux années d’imposition à zéro les cotes tant de l’impôt commercial communal que de l’impôt sur le revenu des collectivités. Le représentant étatique soulève le même moyen à l’égard de la société C. en ce qui concerne les deux bulletins concernant l’année d’imposition 1998.

Aux termes du paragraphe 232 (1) AO, un contribuable ne peut réclamer contre un bulletin que pour autant que la cote d’impôt ou l’affirmation de l’imposabilité y contenues lui causent grief. Un bulletin ne fixant pas de cote d’impôt positive ne saurait partant en principe ouvrir le droit à réclamation, faute de charge fiscale lui causant grief imposée au contribuable.

Il n’est pas dérogé à ce principe dans l’hypothèse d’un bulletin fixant une cote d’impôt égale à zéro, donc pas de cote d’impôt positive, et qui reconnaît en plus une perte dans le chef du contribuable au titre de l’exercice en question. En effet, la perte retenue dans un tel bulletin n’a pas la valeur d’une décision définitive et irrévocable pour les années d’imposition ultérieures au cours desquelles la perte donnera lieu à un report de perte, mais la détermination définitive et irrévocable de cette perte n’aura lieu que dans le bulletin relatif à l’année d’imposition pendant laquelle le report de perte sera pris en considération pour se répercuter sur la cote d’impôt (Jean OLINGER, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, ETUDES FISCALES, nos 81-85, p. 103). Par voie de conséquence, le contribuable n’est pas admis à introduire un recours directement contre le bulletin fixant une cote d’impôt égale à zéro, mais doit contester le montant de la perte retenue dans le cadre d’une réclamation contre le bulletin ultérieur opérant le report de la perte reconnue par imputation sur le bénéfice imposable de cet exercice et fixant pour la première fois une cote d’impôt supérieure à zéro.

Dans l’hypothèse d’une société-mère et de sa filiale soumises au régime d’intégration fiscale, le droit à l’imputation et au report éventuel d’une perte subie par la filiale revient en outre non pas à cette dernière mais à la société-mère, entraînant que la filiale ne peut en toute occurrence pas se prévaloir d’un grief résultant d’une fixation incorrecte de la perte par elle subie.

Il s’ensuit en l’espèce que le recours sous analyse est irrecevable, d’une part, dans le chef de la société E. pour défaut d’intérêt à agir à l’encontre de l’ensemble des bulletins émis à son égard et, d’autre part, dans le chef de la société C. pour autant qu’elle entend déférer au tribunal les bulletins de la base de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1998 émis à son égard. Par contre, le recours en réformation est recevable pour autant qu’il a été introduit par la société C. à l’encontre des bulletins de la base d’assiette de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999 émis à son égard.

Quant au fond Quant aux pertes subies par la société T.

A l’appui de son recours, la société C. fait valoir que par le biais de la participation dans la société T., la société E. maintiendrait en Allemagne un établissement stable, entraînant que les revenus dégagés par la société T. sont imposables uniquement en Allemagne et exonérés au Luxembourg. Elle admet que le refus du bureau d'imposition de déduire les pertes subies en Allemagne des revenus imposables au Luxembourg serait conforme à la pratique administrative fondée sur une certaine jurisprudence du Conseil d’Etat, mais soutient que cette solution s’avérerait insatisfaisante en ce qu’elle aboutirait à une imposition excessive du revenu mondial du contribuable, d’autant plus qu’en l’espèce, la liquidation entretemps intervenue de la société allemande aurait pour conséquence que les pertes subies par celle-ci seraient définitivement perdues tant en Allemagne qu’au Luxembourg. Elle estime que, dans la mesure où l’article 163 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », établirait le principe de l’imposition du revenu mondial, cette même disposition imposerait la prise en compte des pertes au niveau mondial, vu qu’autrement il y aurait imposition d’un revenu excédant le revenu effectif du contribuable. La société C. conteste qu’une convention internationale de prévention de la double imposition pourrait exclure la prise en compte de pertes étrangères dans la mesure où une telle convention aurait seulement pour objet de limiter une obligation fiscale découlant du droit interne mais ne saurait servir de fondement à une obligation fiscale dépassant celle du droit interne, hypothèse qui serait vérifiée en l’espèce si l’on admettait l’exclusion de la déduction des pertes étrangères du fait de l’exonération des revenus correspondants instaurée par une convention, alors que le droit interne ne l’exclurait pas. La société C. se réfère à un arrêt de la Cour administrative autrichienne du 25 septembre 2001 ayant modifié sa jurisprudence antérieure dans le sens d’une prise en considération des pertes d’un établissement stable situé à l’étranger nonobstant l’applicabilité d’une exonération instaurée par une convention préventive de double imposition, aucune double imposition contraire à la convention applicable ne découlant d’une telle prise en considération de pertes, et la société C. estime que le même raisonnement devrait être suivi au Luxembourg.

Le délégué du gouvernement rétorque que, si l’on reconnaît au législateur luxembourgeois le droit d’éviter sur son territoire une surtaxe par rapport aux facultés effectives d’un contribuable ayant des activités et sources de revenus à l’étranger, une application « au mot » des articles 134 et 134ter LIR permettrait de tenir compte au Luxembourg des facultés globales réelles d’un contribuable résident.

Il n’est pas contesté en cause que la société T. revêtait à l’époque des années d’imposition en cause la forme d’une GmbH & Co KG, laquelle est considérée tant en Allemagne (voir § 15 (1) n° 2 de la loi allemande concernant l’impôt sur le revenu (EStG) et § 1 (1) de la loi allemande concernant l’impôt sur le revenu des collectivités (KStG)) qu’au Luxembourg (articles 14 n° 2 et 159 (1) LIR) non pas comme collectivité soumise à l’impôt sur le revenu des collectivités, mais comme entreprise collective transparente (« Mitunternehmerschaft »). Pareillement, il n’est pas mis en cause que les revenus produits par la société T. sont soumis à impôt sur le revenu allemand pour être générés par l’établissement de la société T. situé sur le territoire allemand.

Il est encore constant en cause que tant la société C. que la société E. sont à considérer comme collectivités résidentes au Luxembourg au sens de l’article 159 (1) A.1.

LIR soumises, conformément à l’article 163 (1) LIR, à l’obligation fiscale illimitée à l’impôt sur le revenu des collectivités portant sur l’ensemble des revenus de sources indigène et étrangère (cf. Henri MICHELS : L’impôt sur le revenu des collectivités, ETUDES FISCALES, nos 39/40, p. 15). En outre, conformément à l’article 57 LIR, au vœu duquel les dispositions quant à l’établissement du bénéfice commercial s’appliquent aux coexploitants d’une entreprise collective – dont une société en commandite simple – comme si chaque coexploitant exploitait individuellement (« Bilanzbündeltheorie »), la participation de la société E. dans la société T. doit être qualifiée au Luxembourg comme un établissement stable maintenu en Allemagne par la société E.. Il s’ensuit que la législation luxembourgeoise soumet à l’impôt sur le revenu des collectivités luxembourgeois le revenu produit par la société T. en tant que revenu provenant d’un établissement étranger relevant directement de la collectivité soumise que représente la société E..

Etant donné que les législations tant allemande que luxembourgeoise soumettent à l’imposition le revenu produit par la société T. dans le chef de son associé, la société E., il y a lieu d’avoir recours à la Convention entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République Fédérale d’Allemagne tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et en matière d’impôt commercial et d’impôt foncier, signée à Luxembourg le 23 août 1958, ci-après désignée par la « Convention », afin de résoudre le problème de double imposition ainsi soulevé.

L’article 5 (1) de la Convention dispose :

« Bezieht eine Person mit Wohnsitz in einem der Vertragsstaaten als Unternehmer oder Mitunternehmer Einkünfte aus einem gewerblichen Unternehmen, dessen Tätigkeit sich auf das Gebiet des anderen Staates erstreckt, so hat der andere Staat das Besteuerungsrecht für diese Einkünfte nur insoweit, als sie auf eine dort befindliche Betriebsstätte des Unternehmens entfallen » Au vœu du paragraphe n° 11 du protocole final relatif à la Convention, signé également le 23 août 1958, « wie ein Unternehmer wird ein stiller Gesellschafter behandelt, wenn mit seiner Beteiligung eine Beteiligung am Vermögen des Unternehmens verbunden ist. Ist dies nicht der Fall, so werden die Einkünfte aus der Beteiligung als stiller Gesellschafter als Dividenden (Artikel 13) behandelt ».

Etant donné que les bases d’exploitation de la société T. doivent être qualifiées de manière incontestée de « feste Geschäftseinrichtung in der die Tätigkeit des Unternehmens ganz oder teilweise ausgeübt wird » au sens de l’article 2 (1) 2. de la Convention, il s’ensuit que le droit d’imposition pour le revenu dégagé par la société T. revient exclusivement à l’Allemagne.

Concernant le traitement de ce revenu au Luxembourg, l’article 20 de la Convention dispose dans son paragraphe (2) notamment que « von der Bemessungsgrundlage für die Steuer des Wohnsitzstaates werden die Einkünfte und Vermögensteile ausgenommen, für die nach den vorhergehenden Artikeln der andere Staat ein Besteuerungsrecht hat, es sei denn, dass Absatz 3 gilt. Die Steuer für die Einkünfte oder Vermögensteile, die dem Wohnsitzstaate zur Besteuerung überlassen sind, wird jedoch nach dem Satz erhoben, der dem Gesamteinkommen oder Gesamtvermögen der steuerpflichtigen Person entspricht. …».

Cette disposition, en prévoyant l’exclusion des bases d’imposition des revenus étrangers soumis à la souveraineté fiscale de l’autre Etat signataire et l’application du taux d’impôt correspondant au revenu global du contribuable, impose dès lors au Luxembourg l’obligation d’exempter dans le chef de la société E. le revenu dégagé par la société T., mais l’autorise à tenir compte de ce même revenu pour la détermination du taux d’impôt frappant les revenus pour lesquels le Luxembourg bénéficie du droit d’imposition (exonération sous réserve de progressivité).

Il y a lieu de relever la particularité du cas d’espèce tirée de l’applicabilité du régime de l’intégration fiscale entre la société C. et la société E., lequel implique, d’après l’article 1er (1) du règlement grand-ducal du 1er juillet 1981 portant exécution de l’article 164bis LIR, que la société E. détermine son propre résultat fiscal qui sera alors transféré à la société mère et regroupé ou compensé avec tous les résultats des sociétés impliquées dans le régime d’intégration fiscale. Il s’ensuit qu’alors même que la société C. est le contribuable qui peut faire valoir une lésion du fait de la fixation de la perte lui « transmise » par la société E., les questions relatives à la prise en compte des pertes subies par la société T. doivent être analysées au niveau de la détermination de l’assiette de l’impôt dans le chef de la société E..

La première question soulevée en l’espèce est celle de savoir si la Convention, en décrétant l’exonération des revenus d’une entreprise allemande relevant d’une collectivité résidente luxembourgeoise sous réserve de la faculté d’en tenir compte dans la fixation du taux d’un impôt progressif, prohibe par là-même la prise en compte au Luxembourg de pertes subies par l’entreprise allemande.

A cet égard, il est admis que les conventions préventives de la double imposition ont pour seul but de restreindre les compétences d’imposition découlant du droit interne des Etats signataires, mais ne créent pas une nouvelle obligation fiscale et n’augmentent pas l’obligation fiscale posée par le droit interne (cf. Henri DOSTERT : La double imposition internationale en matière d’impôts sur le revenu et la fortune et les conventions tendant à l’éliminer, ETUDES FISCALES nos 57/58, p. 9, n° 25). Elles ont ainsi exclusivement l’effet négatif de délimiter les compétences d’imposition originaires des Etats signataires instaurées par leurs droits internes respectifs au vu de la finalité affichée d’éliminer les doubles impositions sans fonder un nouveau droit d’imposition autonome (cf VOGEL : DBA-

Kommentar, Verlag C.H. Beck, éd. 1996, Einl., Anm. 45b-s) et répondent ainsi au principe de non-aggravation (cf. SCHAFFNER : Droit fiscal international, éd. Promoculture, n° 1.10, p.

26).

Par application de ces principes, il y a lieu d’admettre qu’en ordonnant dans le chef de l’Etat de résidence l’exonération sous réserve de progressivité d’un revenu déterminé réalisé dans l’Etat de source, une convention préventive de la double imposition entend seulement éviter que ce revenu soit imposé une seconde fois dans l’Etat de résidence, mais ne peut, sauf stipulation expresse contraire, pas être interprétée comme excluant la prise en compte dans l’Etat de résidence d’un revenu négatif réalisé dans l’Etat de source dès lors que le droit interne de l’Etat de résidence prévoit cette faculté pour tenir compte de la capacité contributive globale du contribuable conformément au principe retenu en droit interne de l’imposition du revenu global. Admettre le contraire reviendrait en effet à refuser un allègement de la charge fiscale découlant du droit interne, à augmenter en conséquence les bases d’imposition et à provoquer en fin de compte la fixation d’une cote d’impôt supérieure à celle découlant du droit national, solution qui se heurterait au principe de non-aggravation.

Il peut encore être relevé à cet égard que le commentaire de la convention-modèle de l’OCDE reconnaît que le régime de la prise en compte des pertes étrangères diffère largement entre les Etats membres et que la solution retenue entre deux Etats dans une convention préventive de la double imposition signée entre eux devrait être fonction de leurs droits internes respectifs (cf. commentaire de la convention-modèle de l’OCDE, ad art. 23, n° 44). C’est encore au droit interne d’un Etat de prévoir le cas échéant un régime tendant à empêcher la double déduction d’une même perte à la fois dans l’Etat de résidence au moment de son constat et dans l’Etat de source par report sur un bénéfice ultérieur.

Il s’ensuit qu’une disposition conventionnelle telle l’article 20 (2) de la Convention doit être comprise comme imposant l’exclusion de la base imposable des seuls revenus positifs déjà imposés dans l’Etat de source et à exonérer par l’Etat de résidence et comme imposant à l’Etat de résidence la détermination de l’impôt sur le revenu au taux qui correspond au revenu mondial du contribuable visé en tenant compte, le cas échéant, des pertes indigènes ou étrangères par lui essuyées. S’y ajoute que l’article 20 (2) de la Convention impose, à travers son libellé clair et univoque, la détermination du taux d’impôt sur base du revenu global i.e. mondial du contribuable (cf. en ce sens sur ce point CE 16 juillet 1982, Quadbeck, n° 6894).

Il y a partant lieu de conclure qu’une convention préventive de la double imposition ne s’oppose point à la prise en compte par l’Etat de résidence de pertes subies directement par le contribuable à l’étranger, la Convention applicable en l’espèce prévoyant même la détermination du taux d’impôt après déduction des pertes étrangères, et que la question du traitement de telles pertes est ainsi régie essentiellement par le droit interne de l’Etat de résidence en cause, en l’espèce le Luxembourg.

A cet égard, l’article 134 LIR, dans sa teneur applicable en l’espèce avant sa modification par la loi du 21 décembre 2001 portant réforme de certaines dispositions en matière des impôts directs et indirects, dispose que « lorsqu’un contribuable résident a des revenus exonérés par une convention internationale, ces revenus sont néanmoins incorporés au revenu imposable, mais l’impôt est réduit à concurrence de la fraction correspondant à ces revenus exonérés ».

Cette disposition légale, et plus particulièrement la notion des « revenus exonérés par une convention internationale » visée par cette disposition, pourrait recevoir deux interprétations, lesquelles aboutissent néanmoins au même résultat en ce qui concerne le traitement des pertes étrangères. En effet, si l’on considère que la se limite aux revenus positifs pour lesquels une convention préventive de la double imposition entend empêcher une double imposition à l’exclusion des pertes correspondantes, l’article 134 LIR ne porte pas atteinte au principe de l’imposition d’un contribuable résident d’après son revenu mondial, consacré par l’article 6 (1) LIR pour l’impôt sur le revenu et par l’article 163 (1) LIR pour l’impôt sur le revenu des collectivités, impliquant notamment la détermination du revenu net d’une catégorie de revenus en tenant compte des pertes afférentes ainsi que de la compensation des pertes dégagées pour l’une ou l’autre catégorie, telle que consacrée par l’article 7 (2) LIR. Si l’on considère par contre avec une certaine doctrine (cf. STEICHEN :

Manuel de Droit fiscal – le Droit fiscal spécial, éd. Saint-Paul, p. 41, n° 44 ; SCHAFFNER :

Droit fiscal international, éd. Promoculture, n° 13.11, p. 364) que ladite notion « des revenus exonérés par une convention internationale » vise les revenus tant positifs que négatifs, le « revenu exonéré négatif », en étant incorporé au revenu imposable, réduit ce dernier et partant la base imposable. Ainsi, en toute occurrence, l’article 134 LIR doit être considéré comme admettant la déduction de pertes subies à l’étranger par le contribuable du revenu imposable et comme aboutissant ainsi à la fixation d’une cote d’impôt résultant de l’application du barème de l’impôt sur le revenu ou du taux de l’impôt sur le revenu des collectivités à ce revenu imposable.

En outre, l’article 134ter LIR, qui doit ainsi trouver application en l’espèce dans sa teneur applicable à l’année 1999, a pour objet non pas d’appliquer le taux d’impôt obtenu par l’application de l’article 134 LIR à une autre base imposable constituée par les seuls revenus imposables au Luxembourg, mais tend à ventiler la cote d’impôt fixée conformément à l’article 134 LIR en une partie relative aux revenus imposables et une partie relative aux revenus exonérés, laquelle doit alors être déduite de cette même cote d’impôt. Dans la mesure où, d’après les éléments en cause, la perte subie par la société T. constitue le seul revenu étranger imputable à la société E., le sous-total des revenus nets correspondant aux revenus exonérés, comportant exclusivement la perte de la société T., aboutit à un sous-total négatif qui est à négliger conformément à l’article 134ter (2) in fine LIR. Par voie de conséquence, la cote d’impôt obtenue dans le chef de la société E. en conformité avec l’article 134 LIR est à considérer comme étant intégralement relative aux revenus de la société E. imposables au Luxembourg et n’est pas sujette à une réduction pour tenir compte d’une exonération de revenus.

Il découle de ces développements que c’est à juste titre que la société C. critique la détermination de la perte subie en 1999 par la société E. telle que retenue dans le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999 du 1er mars 2001 émis à l’égard de la société E. et lui imputée dans le bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999 émis à son égard le 17 avril 2003 et qu’en conséquence, ce dernier bulletin est à réformer en ce sens que la perte de la société E. imputée selon le régime d’intégration fiscale à la société C. est à recalculer en tenant compte d’une déduction de la part de la société E. dans la perte subie par la société T. durant l’année 1999.

Dans la mesure où le bénéfice soumis à l’impôt commercial communal est, conformément au § 7 de la loi modifiée du 1er décembre 1936 concernant l’impôt commercial communal, en abrégé « GewStG », le bénéfice commercial déterminé d’après les prescriptions de la loi concernant l’impôt sur le revenu, augmenté des ajouts visé au § 8 GewStG et réduit des déductions prévues par le § 9 GewStG, et où, conformément au § 5 de la seconde ordonnance concernant le recouvrement simplifié de l’impôt commercial communal du 16 novembre 1943, une modification du bulletin de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur le revenu des collectivités ou du bulletin d’établissement influant sur le bénéfice commercial emporte pour le bureau d'imposition l’obligation d’émettre d’office un nouveau bulletin de la base d’assiette de l’impôt commercial communal tenant compte de l’incidence sur le bénéfice soumis à l’impôt commercial communal, il n’y a pas lieu de prononcer d’ores et déjà la réformation du bulletin de la base d’assiette pour l’année 1999 émis à l’égard de la société C..

Quant à la déduction pour dépréciation La société C. critique encore le refus du bureau d'imposition d’admettre pour l’année 1999 la déduction pour dépréciation opérée par la société E. sur la valeur de sa participation dans la société T.. Elle estime que cette déduction devrait être admise pour tenir compte de la perte de la valeur de cette participation en raison des résultats déficitaires successifs de la société T..

Cependant, dans la mesure où conformément à l’article 57 LIR, les dispositions quant à l’établissement du bénéfice commercial s’appliquent aux coexploitants d’une entreprise collective comme si chaque coexploitant exploitait individuellement, cette détermination du bénéfice, défini par l’article 18 (1) LIR comme la différence entre l’actif net investi à la fin et l’actif net investi au début de l’exercice et comportant une évaluation de l’ensemble des biens de l’actif net investi, et l’imputation à l’associé de sa part de cette différence entre les actifs nets investis, à savoir d’une perte réalisée par la société de personnes visée, exclut la possibilité pour l’associé de tenir une seconde fois compte de l’évolution de la valeur de cette société à travers une déduction pour dépréciation de la valeur de la participation dans cette même société.

Il suit de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours sous analyse est fondé dans la mesure où la société C. conteste la fixation de la perte de la société E. pour l’année 1999 telle que lui imputée conformément au régime d’intégration fiscale et prétend à la déduction de la base imposable de la perte subie en 1999 par la société T.. Par contre, le recours laisse d’être fondé pour le surplus.

Dans la mesure où la société C. a échoué en partie à ses prétentions et où le recours est irrecevable dans le chef de la société E. , il y a lieu de faire masse des frais et de les imposer pour un tiers respectivement à la société C., à la société E. et à l’Etat.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, déclare le recours irrecevable pour autant qu’introduit par la société société E. et pour autant que la société C. entend déférer au tribunal les bulletins de la base de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1998 émis à son égard, reçoit le recours en réformation en la forme pour le surplus, au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation du bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités pour l’année 1999 émis le 17 avril 2003 à l’égard de la société C., dit que la perte de la société E.

imputée selon le régime d’intégration fiscale à la société C. est à recalculer en tenant compte de la déduction de la part de la société E. dans la perte subie par la société T. durant l’année 1999 conformément aux principes énoncés aux motifs du présent jugement, dit le recours non fondé pour le surplus, fait masse des frais et les impose pour un tiers respectivement à la société C., à la société E. et à l’Etat.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 19 janvier 2005 par le vice-président en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17820
Date de la décision : 19/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-19;17820 ?

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