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17/01/2005 | LUXEMBOURG | N°19011

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2005, 19011


Tribunal administratif N° 19011 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2004 Audience publique du 17 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié et en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19011 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or

dre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Algérie), de nationalité algér...

Tribunal administratif N° 19011 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2004 Audience publique du 17 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions respectivement du ministre de la Justice et du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié et en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 19011 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …(Algérie), de nationalité algérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 juillet 2004 déclarant manifestement infondée sa demande en obtention du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 10 novembre 2004, suite à un recours gracieux du 14 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 10 janvier 2005, Maître Ardavan FATHOLAZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, s’étant rapporté au recours déposé pour sa partie.

Monsieur … introduisit le 14 juin 2004 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 13 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 20 juillet 2004, lui notifié le 14 septembre 2004, de ce que sa demande est refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Le ministre a en effet constaté que Monsieur … a indiqué lui-même ne pas avoir subi de persécutions et que le fait de ne pas avoir d’avenir dans son pays d’origine ne saurait fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique faute de rentrer dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève, de sorte que la demande est à considérer comme abusive.

Par courrier de son avocat du 14 octobre 2004, Monsieur … sollicite le réexamen « de sa demande du 14 juin 2004 visant à lui voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » pour demander quelques lignes plus loin « un titre de séjour, sinon un statut de tolérance d’une période de six mois », ce dernier statut étant à accorder « sur les dispositions de l’article 13 (3) de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Par ailleurs, il demande encore à titre subsidiaire « à supposer qu’il ne puisse être fait droit à [la] demande », le réexamen de sa demande initiale en obtention du statut de réfugié politique.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration prit position par une décision confirmative de refus du 10 novembre 2004, motivée par l’absence d’éléments pertinents nouveaux.

Le 15 décembre 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre les décisions ministérielles précitées.

Le demandeur reproche à l’autorité administrative de ne pas avoir pris position par rapport à sa demande qui aurait visée « à se voir accorder un titre de séjour à caractère humanitaire ». Il estime à ce sujet que les motifs par lui invoqués lors de son audition, ensemble le recours gracieux introduit par son mandataire, aurait dû amener le ministre à qualifier en ce sens qu’elle « est étrangère au cadre légal de la Convention de Genève applicable en matière d’asile », de sorte que les décisions litigieuses seraient à annuler pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Il y a lieu de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg n’a pas fourni de mémoire en réponse en cause dans le délai légal bien que la requête introductive ait été valablement notifiée par la voie du greffe au délégué du Gouvernement en date du 15 décembre 2004. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, même si la partie défenderesse n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

Le tribunal constate que le demandeur reproche en substance à l’Etat de ne pas avoir constaté qu’il aurait déposé une demande de « séjour humanitaire », et non une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, et qu’il estime que les décisions litigieuses seraient entachées d’il égalité pour absence de motivation, dans la mesure où les ministres compétents auraient omis de répondre à la demande de séjour humanitaire introduite par lui Le tribunal est dès lors amené à vérifier si l’Etat a valablement pu conclure au dépôt d’une demande d’asile basée sur la Convention de Genève, ou, au contraire, à celui d’une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour humanitaire.

Le tribunal tient de prime abord à souligner à ce sujet que le terme de « séjour à caractère humanitaire » est inconnu en droit luxembourgeois, le droit luxembourgeois ne connaissant que des demandes tendant à l’obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, respectivement des demandes tendant à l’obtention du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ainsi que des demandes tendant à l’obtention d’une autorisation de séjour par application de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Il ressort du rapport établi par la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, que le demandeur a déposé en date du 14 juin 2004 une demande d’ « asile politique » et qu’il a, à cette occasion, rempli et signé une fiche établie par le ministère de la Famil e indiquant explicitement qu’il « déclare par la présente vouloir introduire une demande d’asile politique au Grand-Duché de Luxembourg ».

En date du 22 juin 2004, le demandeur s’est vu adresser une lettre de convocation, indiquant clairement qu’au cas où il ne se présenterait pas sans excuse à ladite convocation, sa demande d’asile « pourra être considérée comme manifestement infondée au sens de l’article 62 f) du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ».

Si Monsieur … n’a apparemment qu’une connaissance approximative de la langue française, il n’en demeure pas moins qu’il s’est manifestement fait traduire la lettre de convocation, de sorte que la référence à la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile n’a pas pu lui échapper. S’il est vrai que l’on ne saurait exiger d’un demandeur d’asile une connaissance approfondie de la législation luxembourgeoise, l’indication précise d’une loi déterminée dans un courrier officiel lui adressé aurait cependant dû l’amener à s’informer, ou du moins à s’intéresser à la signification de la référence à la loi y indiquée, ce qui lui aurait permis de se rendre compte de l’objet et des conséquences éventuelles de la procédure d’asile à laquelle il a été admis.

Monsieur … a par la suite été auditionné en date du 13 juillet 2004 dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, audition aux termes de laquelle il a signé sans émettre la moindre réserve le procès-verbal d’audition intitulé « Rapport sur la demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 de Monsieur … », de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’il n’a pas pu se méprendre sur l’objet de sa demande introduite, d’autant plus qu’il était assisté lors de cette audition par son conseil juridique, en l’espèce Maître Louis TINTI, qui s’est bien gardé à ce moment de requalifier la demande de son mandant ou d’émettre une quelconque réserve.

En effet il aurait appartenu au demandeur, dûment assisté d’un conseil juridique, d’avertir les services compétents au plus tard au moment de l’audition dans le cadre de sa demande d’asile introduite, qu’il se serait mépris sur l’objet de sa demande laquelle serait à considérer comme une demande tendant à l’obtention d’un titre de séjour provisoire. Le demandeur est dès lors malvenu d’invoquer, après coup, qu’il n’aurait jamais fait une demande d’asile sur base de la Convention de Genève, mais qu’il aurait depuis le début de la procédure, affirmé sa volonté de faire une demande en obtention d’un titre de séjour provisoire pour raisons humanitaires.

Dès lors le simple fait d’avoir invoqué lors de son audition des raisons relatives à des problèmes familiaux et économiques comme unique motif à la base de sa demande d’asile ne saurait suffire pour faire admettre que le demandeur a posé une demande de séjour humanitaire, qualifiée comme telle.

En effet, s’il est certes exact qu’en vertu de l’obligation de collaboration de l’administration, toute autorité administrative est tenue d’appliquer d’office le droit applicable à l’affaire dont elle est saisie et qu’il appartient à celle-ci de dégager les règles applicables et de faire bénéficier l’administré de la règle la plus favorable, il n’en reste pas moins qu’il appartient également à l’administré - d’autant plus lorsque celui bénéfice de l’assistance et des conseils d’un avocat, auxiliaire de justice - de collaborer avec l’administration et de mettre celle-ci en mesure de lui appliquer la règle la plus favorable, notamment en précisant en temps utile la portée exacte de sa demande (trib. adm. 28 juin 2004, n° 17522 du rôle, www. ja.etat.lu).

Force est de constater que cela n’a manifestement pas été le cas en l’espèce.

Le tribunal constate par ailleurs que le demandeur lui-même, dans son courrier du 14 octobre 2004 adressé au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, qualifie explicitement sa demande initiale de « demande (…) visant à lui voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ».

Dès lors le moyen soulevé par le mandataire du demandeur tendant à voir qualifier sa demande ab initio comme ayant tendu à l’octroi d’une autorisation de séjour est à rejeter.

Force est par contre de constater au vu du libellé explicite du courrier du 14 octobre 2004, que le demandeur s’est entre temps ravisé de son propre côté en précisant vouloir formuler une demande tendant à obtenir « un titre de séjour, sinon un statut de tolérance ».

Le demandeur ayant en effet lui-même déclaré que ses prétentions sont étrangères au cadre légal de la Convention de Genève pour se situer en dehors de celui-ci, il y a dès lors lieu de retenir qu’à partir du courrier du 14 octobre 2004, l’objet de la demande de Monsieur … était clairement avoué.

Il se dégage des considérations qui précèdent que ledit courrier du 14 octobre 2004 est dès lors à considérer non pas comme un recours gracieux par rapport à la décision initiale du ministre du 20 juillet 2004, nonobstant la rédaction quelque peu confuse de ce courrier, mais en tant que demande nouvelle différente quant à son objet de celle initialement introduite par le demandeur.

Dans la mesure où le demandeur maintient à titre principal dans le cadre du recours contentieux sous examen son argumentation consistant à dire que c’est en vue de se voir accorder une autorisation de séjour, sinon un statut de tolérance, qu’il s’est adressé au ministre, il y a lieu de constater que ce recours n’a pas pu être utilement dirigé contre la décision déférée du ministre de la Justice du 20 juillet 2004, faute pour cette décision d’avoir toisé une demande afférente.

Il s’ensuit que le recours est irrecevable pour autant que dirigé contre la décision ministérielle déférée du 20 juillet 2004.

Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’octroi d’une autorisation de séjour, ni en la matière du statut de tolérance tel que prévu par les articles 13 (3) et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, à l’encontre de la décision ministérielle du 10 novembre 2004 intervenue à la suite de la demande nouvelle adressée au ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration par le demandeur en date du 14 octobre 2004, est recevable.

Quant au fond, il y a lieu de retenir que celui-ci est fondé étant donné qu’il aurait appartenu au ministre de prendre position quant à la nouvelle demande introduite.

Il s’ensuit que la décision ministérielle du 10 novembre 2004 encourt l’annulation pour défaut de motifs par rapport à la demande en obtention d’un titre de séjour, sinon en obtention d’un statut de tolérance, présentée le 14 octobre 2004.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare irrecevable dans la mesure où il est dirigé à l’encontre de la décision déférée du 20 juillet 2004 ;

le déclare fondé dans la mesure où il est dirigé à l’encontre de la décision déférée du 10 novembre 2004 ;

partant l’annule et renvoie l’affaire en prosécution de cause devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration ;

partage les frais entre le demandeur et l’Etat ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 janvier 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M.Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 19011
Date de la décision : 17/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-17;19011 ?

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