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17/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18506

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 janvier 2005, 18506


Tribunal administratif N° 18506 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2004 Audience publique du 17 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18506 du rôle et déposée le 5 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Romain LUTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … , demeurant à L-…, te

ndant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logem...

Tribunal administratif N° 18506 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 août 2004 Audience publique du 17 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18506 du rôle et déposée le 5 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Romain LUTGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, … , demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 5 mai 2004 lui refusant l’autorisation d’établissement de « plafonneur, façadier, entrepreneur de construction et peinture » ;

Vu le mémoire en réponse déposé par le délégué du Gouvernement en date du 9 novembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2004 par Maître Romain LUTGEN pour compte du demandeur ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Régine JOLIVALT, en remplacement de Maître Romain LUTGEN, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 janvier 2005.

En date du 26 août 2003, Monsieur … sollicita auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par « le ministre », l’octroi d’une autorisation de commerce pour l’activité de « plafonneur, façadier, entrepreneur de construction et peinture ».

Par courrier du 24 février 2004, le ministre transmit la demande au ministre de la Justice avec prière d’avis quant à la responsabilité de Monsieur … dans la faillite … s.à r.l., prononcée en date du 22 septembre 2003.

Le Parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg adressa au ministre un avis daté du 6 avril 2004 relatif à la demande d’autorisation présentée par Monsieur …, concluant à l’absence d’honorabilité professionnelle dans le chef de celui-ci, et la commission instituée par la loi du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, telle que modifiée notamment par la loi du 4 novembre 1997, ci-après désignée par « la loi d’établissement », rendit en date du 26 avril 2004 un avis défavorable en ce qui concerne l’honorabilité professionnelle de Monsieur ….

Cet avis amena le ministre en date du 5 mai 2004 à adresser à Monsieur … une décision de refus libellée comme suit :

« Par la présente, j’ai l’honneur de me référer à votre demande sous rubrique, qui a fait entre temps l’objet de l’instruction administrative prévue à l'article 2 de la loi d’établissement du 2 décembre 1988, modifiée le 4 novembre 1997.

Le résultat m’amène à vous informer que selon l'avis de la commission y prévue, vous ne présentez plus la garantie nécessaire d'honorabilité professionnelle en raison de votre implication dans la faillite de la société … s.à r.l.. Cette faillite est caractérisée, notamment par un passif très élevé, y compris auprès des créanciers publics, ce qui s’analyse en outre comme un moyen malhonnête de maintenir le crédit en ne faisant pas l’aveu de la cessation des paiements en temps opportun.

Cette prise de position est basée sur un rapport du Parquet Général du Grand-Duché de Luxembourg ainsi que sur le rapport établi par le curateur de la faillite de la société faillie susmentionnée.

Comme je me rallie aux conclusions de cet organe de consultation, je suis au regret de ne pouvoir faire droit à votre requête dans l’état actuel du dossier en me basant sur l'article 2 et sur l’article 3 de la loi susmentionnée.

A toutes fins utiles, je vous signale que l’article 2 dispose « qu’au cas où l’intéressé se soustrait délibérément aux charges sociales et fiscales que lui impose sa profession, l’autorisation peut être refusée ou révoquée ».

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d'avocat à la Cour endéans trois mois auprès du Tribunal Administratif.(…) » Par requête déposée le 5 août 2004 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 5 mai 2004.

Aucun recours au fond n’est prévu par la loi d’établissement qui, au contraire prévoit expressément en son article 2, alinéa 6, qu’en matière d’octroi, de refus ou de révocation d’autorisation d’établissement seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives, de sorte que le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal statue par rapport à la décision administrative lui déférée sur base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq chefs d’annulation énumérés à l'article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, de sorte que son pouvoir de contrôle est essentiellement limité au cadre posé par les griefs invoqués, eux-

mêmes conditionnés par l’intérêt à agir existant dans le chef du recourant à la base de la requête introduite (cf. trib. adm. 21 juin 1999, n° 10874, confirmé par arrêt du 15 février 2000, n° 11420C, Pas. adm. 2004, v° recours en annulation, n° 8, p.652).

Le demandeur fait valoir à l’appui de son recours que la décision ministérielle ne serait pas motivée à suffisance de droit, sinon motivée par des considérations erronées en fait et en droit.

Il conteste en substance toute responsabilité personnelle dans son chef dans la faillite … s.à r.l., étant donné qu’il n’y aurait été que « gérant technique », « qui en principe apportait à la société son savoir-technique », simple « mandataire salarié dont la tâche était essentiellement technique ».

Il estime encore que la décision litigieuse pêcherait par une motivation insuffisante en ce qu’elle n’indiquerait pas en quoi le rapport du Parquet Général et le rapport du curateur de la faillite pré-mentionnée lui seraient défavorables, d’autant plus que ces rapports ne comporteraient aucun élément pouvant justifier un grief en général contre les gérants de la société et contre le demandeur en particulier.

Il affirme encore ne pas s’être désintéressé de la gestion de la société faillie, mais avoir, en avril 2003, mis ses collègues en demeure de redresser la situation de la société … s.à r.l., et au vu de la détérioration constante de cette situation, avoir démissionné de ses fonctions en date du 25 août 2003.

Le délégué du Gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de l’honorabilité de Monsieur …, de sorte que le demandeur serait à débouter de son recours.

En ce qui concerne le moyen du demandeur relatif à la motivation insuffisante de la décision ministérielle déférée, il convient de relever qu’une décision administrative est motivée à suffisance de droit si l’auteur de la décision déclare se rallier à l’avis d’une commission consultative et que cet avis est annexé en copie à la décision (trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693, Pas. 2004, v° procédure non contentieuse, n° 53, p.532).

Si en l’espèce le ministre, tout en se ralliant à l’avis de la commission instituée par la loi d’établissement, n’a pas annexé ledit avis à sa décision, il en a en revanche explicitement repris les termes, de sorte que la décision ministérielle indique de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour justifier sa décision de refus.

Il s’ensuit que ce moyen est à écarter.

En ce qui concerne le moyen relatif à la motivation erronée en droit et en fait, il ressort du dossier administratif versé aux débats, et en particulier du rapport du Parquet, qui lui même se réfère au rapport du curateur de la faillite … s.à r.l., que le passif total de ladite société faillie s’élevait à un montant de 446.324,01 €, dont 181.146,73 € à titre privilégié du chef de salaires impayés ainsi que de 184.419,52 € à titre privilégié redû à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, montants considérables pour une société n’ayant eu qu’une existence de quelque 4 années.

Il résulte par ailleurs des pièces, non utilement combattues par le demandeur, que la faillite de la société … s.à r.l., dont le demandeur était co-gérant, a eu pour origine des dettes considérables envers les salariés et l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines, de sorte que le motif énoncé dans la décision ministérielle relatif au maintien artificiel du crédit en omettant notamment de payer un créancier public et en omettant de faire l’aveu de la faillite en temps opportun se trouve également vérifié au regard des pièces actuellement versées au dossier.

Il s’ensuit qu’en l’espèce l’honorabilité professionnelle des dirigeants de la société … s.à r.l. doit être considérée comme entamée au vu des dettes sociales considérables accumulées sur une période peu étendue, la société ayant été créée en mars 1999 et sa faillite déclarée en novembre 2003.

Le demandeur entend résister à cette constatation en excipant de son statut de « simple gérant technique ».

S’il ressort d’un procès-verbal d’assemblée générale de la société … s.à r.l. du 19 mars 2001 que Monsieur … a été nommé gérant technique à durée indéterminée pour les domaines « Fassadenarbeiten und Construction civil (sic) », les statuts de la société, tels qu’arrêtés en date du 17 mars 1999 et publiés au Mémorial C, Recueil des Sociétés et Associations, 1999, p. 19004, ne font aucune distinction entre les différents gérants de la société, mais précisent en leur article 12 que « der oder die Geschäftsführer haben die ausgedehntesten Befugnisse im Namen und für Rechnung der Gesellschaf zu handeln, einschliesslich des Verfügungsrechts, (…) », tandis que le susdit procès-verbal d’assemblée générale du 19 mars 2001 précise que la société est engagée pour les domaines « Fassadenarbeiten und Construction civil (sic) », par la signature conjointe du gérant « administratif » Xxx et du gérant « technique » ….

Il en résulte que loin de limiter la responsabilité du gérant technique aux questions techniques, les statuts mettent rigoureusement sur pied d’égalité, en ce qui concerne les responsabilités et pouvoirs, les gérants techniques et les gérants administratifs, de sorte qu’une éventuelle répartition des compétences interne, opérée pour des raisons pratiques, mais non arrêtées par les statuts de la société, ne saurait être opposée par le demandeur pour se décharger de la responsabilité encourue en tant que gérant de la société faillie.

Il convient d’ailleurs de citer à cet égard l’article 191bis de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales, qui dispose que « les restrictions apportées aux pouvoirs des gérants [de sociétés à responsabilité limitée] par les statuts ne sont pas opposables aux tiers, même si elles sont publiées », de sorte que Monsieur … ne saurait en tout état de cause se prévaloir d’une responsabilité amoindrie qui découlerait de sa fonction de « simple gérant technique ».

Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur consistant à dire qu’il n’aurait de ce fait pas ou prou eu de responsabilité dans la faillite de la société … s.à r.l. est à rejeter comme non fondée.

En ce qui concerne le courrier du demandeur du 28 avril 2003, par lequel celui-ci aurait dénoncé à ses collègues la dégradation de la situation financière de la société … s.à r.l., force est d’une part de constater que le demandeur semble à cette époque ne s’être fait du souci qu’en ce qui concerne « l’inexplicable détérioration de son chiffre d’affaire », mais non en ce qui concerne le respect par la société de ses obligations légales, et notamment du paiement régulier des salaires et du paiement des créances de TVA..

Il échet encore de constater à la lecture de ce courrier que le demandeur s’est cantonné dans une attitude purement passive, consistant à exiger des co-gérants qu’ils renflouent l’entreprise, mais sans prendre personnellement une seule mesure en ce sens, ni faire l’aveu de la faillite. Il y a lieu d’ailleurs de relever à ce sujet que le curateur a indiqué n’avoir décelé aucune réaction de la société face à la dégradation de sa situation Enfin, il en est de même du moyen tiré de la démission du demandeur en date du 25 août 2003, soit moins d’un mois avant le jugement déclaratif de faillite du 22 septembre 2003 et à une époque où la société avait déjà fait l’objet d’une assignation en faillite, c’est-à-dire en pleine période suspecte.

En effet, le demandeur, par la résiliation de ses fonctions avant son terme normal en raison des difficultés de la société et d'une gestion dont il espérait ainsi se désolidariser après en avoir été l’un des co-auteurs responsables, ne fût-ce que par son abstention et sa passivité fautive, a commis, dans les circonstances de fait de la cause, une faute qui a fait sciemment courir à la société et à ses créanciers le risque, qui s’est réalisé ensuite, d'une continuation irrégulière et dommageable de la vie sociale (voir Liège, 1er décembre 1969, R.P.S., 1971, p.

280, cité dans : Ralet O., Responsabilité des dirigeants de sociétés, 1996, n° 43, p.61).

Il résulte dès lors de tout ce qui précède que le ministre a valablement pu retenir que le demandeur était impliqué dans la faillite de la société … s.à r.l..

Or, si le fait d’avoir été impliqué dans une faillite dont les caractéristiques et circonstances spécifiques portent atteinte à l’honorabilité professionnelle de ses dirigeants ne saurait a priori justifier indéfiniment le maintien du refus d’autorisation, étant donné qu’il échet d’accorder au dirigeant concerné la chance de s’amender, en lui donnant par exemple la possibilité de rapporter la preuve qu’il a pris conscience de ses erreurs et de leur portée et qu’il a entre-temps par exemple suivi une formation spécifique relative à la gestion d’entreprises ou encore qu’il a depuis lors acquis une expérience professionnelle utile, en exerçant par exemple pendant une période de temps significative en tant que salarié certaines responsabilités à la satisfaction de son employeur dans une entreprise similaire, force est de constater que le demandeur, qui persiste à vouloir nier son implication dans la faillite et à considérer sa fonction de gérant comme étant exclusive de toute responsabilité, reste en défaut de faire état d’efforts concrètement déployés pour améliorer son savoir-faire en matière d’entreprise et ne produit pas un seul élément susceptible de supporter la thèse d’une volonté d’amendement dans son chef depuis la survenance de la faillite, trouvant indéniablement sa source en grande partie au niveau de la gestion de la société et dans le non-respect d’obligations professionnelles.

Il s’ensuit que les éléments relevés ci-dessus constituent un ensemble de faits ayant pu justifier la décision de refus ministérielle déférée de l’autorisation sollicitée, de sorte que le recours en annulation sous examen laisse d’être fondé en l’espèce, compte tenu des moyens proposés.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

laisse les frais à charge du demandeur.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 janvier 2005 par :

M. Delaporte, premier vice-président, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18506
Date de la décision : 17/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-17;18506 ?

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