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16/01/2005 | LUXEMBOURG | N°20240

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 janvier 2005, 20240


Tribunal administratif N° 20240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2005 Audience publique du 16 janvier 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20240 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 août 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lagos (Nigeria), de nationalité nigérien...

Tribunal administratif N° 20240 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 août 2005 Audience publique du 16 janvier 2005

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Recours introduit par Monsieur …, Schrassig, contre deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 20240 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 août 2005 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Lagos (Nigeria), de nationalité nigérienne, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 28 février 2005, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre prise le 30 juin 2005 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 novembre 2005 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 15 décembre 2005 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions ministérielles entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 9 janvier 2006, Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK s’étant rapportée aux écrits de la partie publique.

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Le 9 mars 2004, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

M. … fut entendu en date du 19 juillet 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, désigné ci-après par le « ministre », l’informa par lettre du 28 février 2005, notifiée en mains propres en date du 26 mai 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au sens de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, au motif qu’il ne ferait valoir aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Par jugement du 19 avril 2005 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, M. … fut condamné, comme auteur ayant commis lui-

même des infractions depuis un temps non prescrit et notamment le 27 janvier 2005 à la loi du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie, à une peine d’emprisonnement de 4 ans et à une amende de 1.000 Euros.

Suite à un recours gracieux formulé par le demandeur suivant lettre de son mandataire du 24 juin 2005 à l’encontre de la prédite décision ministérielle, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus le 30 juin 2005.

Par requête déposée le 4 août 2005, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration des 28 février et 30 juin 2005.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre compétent d’avoir commis une erreur d’appréciation en refusant sa demande d’asile, au motif que sa vie aurait été en danger dans son pays d’origine. Il expose plus particulièrement qu’il aurait été étudiant à l’université de Lagos et qu’il aurait été membre actif de la « Student Union Governement », qu’en août 2001, une association musulmane aurait organisé une réunion pour informer les étudiants sur les malfaits des cultes estudiantins, qu’une bagarre s’en serait suivie et que deux personnes adhérant à un culte secret « Black Axe C » auraient été tuées, dont le fils d’un commissaire de police. Il soutient qu’en février 2002, le président de la « Student Union Governement » aurait été tué par les membres du prédit culte et que le 31 mai 2003 un autre étudiant aurait été tué par ces mêmes personnes. En septembre 2003, les membres du culte secret seraient venus le voir et l’auraient averti qu’il serait le prochain à être tué. Il aurait été informé qu’il serait recherché par le commissaire de police qui aurait juré de tuer tous les membres de la « Student Union Governement » et de l’association musulmane. Il aurait alors décidé de quitter son pays, craignant pour sa vie. Il fait valoir que le commissaire de police, père d’une des victimes, profiterait « de son statut professionnel pour persécuter les citoyens nigérians » et qu’il serait impossible de solliciter la protection des autorités de son état, étant donné que ce serait justement la police qui serait chargé « de la protection du peuple ». Il soutient finalement que « la possibilité d’une fuite interne n’était en l’espèce ni raisonnable politiquement et socialement ».

Le représentant étatique soutient que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

En effet, il convient de relever en premier lieu que le demandeur, dépourvu de papiers d’identité et ne présentant pas de pièces à l’appui de son récit, doit au moins présenter un récit crédible et cohérent. Or, en l’espèce, force est de constater que la crédibilité du récit du demandeur est sérieusement ébranlée par les incohérences de son récit et par le fait qu’il s’est présenté en France sous une autre identité que celle utilisée au Luxembourg.

Par ailleurs, c’est à juste titre que le ministre a retenu que même en faisant abstraction de ces incohérences, les faits mis en avant par le demandeur relèvent de la vengeance d’une personne privée, ce qui n’est pas à considérer comme une crainte de persécution qui entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, faute d’être en rapport avec un risque de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

S’y ajoute que les actes de persécution invoqués par le demandeur, à les supposer établis, émanent de personnes étrangères aux autorités publiques, qui ne peuvent être considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève, de manière qu’ils s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Or, le demandeur n’a soumis aucun indice concret relativement à l’incapacité actuelle des autorités compétentes de lui fournir une protection adéquate, voire allégué une démarche concrète en vue d’obtenir la protection de la part des autorités en place. En effet, il ne suffit pas de soutenir que la personne, désireuse de se venger de la mort de son fils, ferait partie de la police, pour établir de facto que les autorités en place dans son pays d’origine toléreraient, voire favoriseraient la commission de tels actes à son égard.

Il convient encore de relever à titre surabondant que le demandeur, à peine arrivé sur le territoire de son pays d’accueil, s’est fait repérer par ses activités criminelles dans le milieu de la drogue en faisant partie d’une organisation criminelle pour pouvoir de suite se livrer à un trafic de vente de drogues dures, ce qui ne contribue guère à soutenir la crédibilité de son récit.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, premier vice-président, Mme Lamesch, juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 16 janvier 2006 par le premier vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 20240
Date de la décision : 16/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-16;20240 ?

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