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12/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18980

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 janvier 2005, 18980


Tribunal administratif N° 18980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2004 Audience publique du 12 janvier 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18980 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des av

ocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Kegebi (Ghana), de nationalité ghanéenne, demeurant actu...

Tribunal administratif N° 18980 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2004 Audience publique du 12 janvier 2005

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Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18980 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à Kegebi (Ghana), de nationalité ghanéenne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 7 octobre 2004, par laquelle sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié a été déclarée manifestement infondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 décembre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Aude SZTERNBERG, en remplacement de Maître Yvette NGONO YAH, et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 18 août 2004, Madame … introduisit oralement une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut entendue le 5 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration l’informa, par lettre du 7 octobre 2004, envoyée par courrier recommandé expédié le 11 octobre 2004, que sa demande avait été déclarée manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire. Cette décision est libellée comme suit :

« Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez pris l’avion accompagnée d’un homme en direction de l’Europe sans pouvoir dire à quel endroit vous seriez arrivés tous deux, ni quelle était la compagnie aérienne. Une fois en Europe, vous auriez été conduite en voiture jusqu’au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que vos parents auraient été tués par trois voleurs en 1990. Vous auriez été élevée par vos voisins, cependant votre mère adoptive vous aurait maltraitée, en conséquence vous auriez quitté le foyer pour vivre et mendier dans la rue. Ainsi, durant 4 mois vous auriez vécu de la sorte. Un soir, vous auriez été violée et attaquée par trois hommes, vous dites vous être rendue à la police mais celle-ci n’aurait rien fait. Toujours dans la rue, vous auriez rencontré un homme qui vous aurait séquestrée et violée. Il vous aurait ensuite, avec votre consentement, fait quitter le pays en voiture tout d’abord en direction d’un autre pays africain, avant de prendre l’avion afin de vous rendre en Europe.

Vous précisez qu’il n’y aurait pas de sécurité dans la rue, vous n’auriez nulle part où dormir, vous devriez aller vendre de l’eau ou bien mendier pour survivre.

Vous ajoutez ne pas vouloir retourner au Ghana car vous n’auriez personne là-

bas et vous ne voudriez plus vivre dans la rue.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentive au fait que, pour invoquer l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis pas la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En l’espèce, force est de constater que votre demande d’asile est principalement basée sur des considérations d’ordre matériel ne répondant à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève. En effet, l’absence de logement, des conditions de vie difficiles ne sauraient constituer une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Il en est de même concernant l’insécurité générale et l’absence de famille.

De plus, le meurtre de vos parents, ainsi que les viols subis, à supposer les faits établis, sont des infractions graves, certes, mais de droit commun, qui ne correspondent donc à aucun des motifs de la prédite Convention.

Il convient aussi d’ajouter que ces criminels, qui sont des personnes privées, ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de cette décision, Madame … fit introduire par le biais de son mandataire un recours gracieux formulé par lettre datée du 29 octobre 2004.

Par décision du 15 novembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration confirma sa décision initiale de refus du 7 octobre 2004 dans son intégralité.

Par requête déposée le 13 décembre 2004, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle initiale du 7 octobre 2004.

L’article 10 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives. Le tribunal est partant incompétent pour connaître de la demande en réformation de la décision critiquée. - En effet, si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour en connaître (cf. trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm.

2004, V° Recours en réformation, n° 5, et autres références y citées).

Le recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, la demanderesse fait valoir que ce serait à tort que le ministre a rejeté sa demande d’asile comme étant manifestement infondée, alors qu’en tant que femme « appartenant à un certain groupe social » (sic), elle aurait été violée à de multiples reprises et séquestrée, faits non-réprimés par les autorités ghanéennes, estimant de sorte remplir les conditions pour bénéficier du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, et que le recours de celui-ci laisse d’être fondé.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Une demande d’asile basée exclusivement sur des motifs d’ordre personnel et familial ou sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (cf.

trib. adm. 19 juin 1997, n° 10008 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 107 et autres références y citées ; trib. adm. 22 septembre 1999, n° 11508 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 105 et autres références y citées).

En l’espèce, au regard des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande d’asile, tels qu’ils se dégagent du rapport d’audition susvisé du 5 octobre 2004, force est de constater qu’elle n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance. - En effet, il appert du compte rendu de son audition, que la demanderesse a en substance exprimé avoir connu des problèmes d’ordre familial, notamment en raison du fait que sa mère adoptive l’aurait maltraitée, qu’elle se serait retrouvée à la rue, qu’elle aurait dû mendier pour survivre et qu’elle aurait été violée par trois hommes dans la rue et par un quatrième homme qui l’aurait en outre séquestrée. Si lesdits évènements, à les supposer établis, ont pu être traumatisants pour la demanderesse, il importe cependant de relever qu’elle a elle-même déclaré au courant de son audition qu’elle n’avait pas d’autres problèmes que les problèmes d’ordre personnel relatés ci-avant ( « Because I was not safe and I was raped and I had nowhere to sleep. I slept on the street. I had to get up and sell to get food to eat. »).

Il se dégage des considérations qui précèdent que Madame … reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le ministre a valablement pu retenir que sa demande d’asile ne repose sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration a déclaré la demande d’asile sous examen comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 janvier 2005, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18980
Date de la décision : 12/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-12;18980 ?

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