La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18620

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 janvier 2005, 18620


Tribunal administratif N° 18620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2004 Audience publique du 12 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mons

ieur …, né le … à Bicec (Kosovo/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine...

Tribunal administratif N° 18620 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 août 2004 Audience publique du 12 janvier 2005 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

_____________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18620 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2004 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bicec (Kosovo/Etat de Serbie-Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 juillet 2004, portant rejet de sa demande tendant à la reconnaissance du statut de réfugié comme non fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2004 par Maître François MOYSE en nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Virginie VERDANET, en remplacement de Maître François MOYSE, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

En date du 15 décembre 2003, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 11 février 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 29 juillet 2004, lui notifiée par voie de courrier recommandé expédié en date du 3 août 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée. Cette décision est libellée comme suit :

« En mains le rapport du service de Police Judiciaire du 20 janvier 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 11 février 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Kosovo le 20 novembre 2003 pour aller d’abord en Bosnie-Herzégovine. Après une attente de cinq jours, vous auriez poursuivi votre voyage par l’Italie et, de là, vers le Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 15 décembre 2003.

Vous n’auriez pas fait votre service militaire et vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Vous exposez qu’en 1996, un Serbe aurait écrasé par accident votre grand-père.

Après une procédure de réconciliation, vous seriez resté en bons termes avec cette famille serbe.

Par la suite, après le conflit au Kosovo, les villageois vous auraient reproché ces contacts avec des Serbes.

Votre père aurait été frappé par des gens du village et les agresseurs auraient été arrêtés, puis relâchés. Votre frère aurait tué un villageois. Vous dites que, par crainte de représailles, vous seriez parti avec un autre de vos frères vous cacher chez votre oncle.

Vous auriez appris par la suite que des personnes masquées vous rechercheraient et vous n’auriez pas trouvé d’autres solutions que de quitter le Kosovo.

Vous précisez que, bien qu’ayant vécu en Macédoine pendant le conflit du Kosovo, vous ne pouvez vous y installer.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Les problèmes dont vous faites état concernent surtout votre frère, car je constate que vous, personnellement, vous n’avez rien à y voir. Vous dites craindre des représailles mais ceci est insuffisant pour vous conférer le statut de réfugié. En effet, des villageois, non autrement précisés, ne sauraient constituer des agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je note aussi que vous n’avez pas porté plainte contre les menaces dont vous auriez fait l’objet.

J’en conclus que vous éprouvez plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. Ce sentiment n’entre pas dans le cadre de la convention précitée.

Le Kosovo, pour un Albanais, ne saurait être considéré comme un territoire dans lequel des risques de persécutions sont à craindre.

Finalement, il ne résulte pas de votre dossier qu’il vous aurait été impossible de vous établir dans une autre région de la République de Serbie-Monténégro ou de vous installer en Bosnie-Herzégovine où vous avez déjà vécu.

Par conséquent votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 août 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 29 juillet 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1.

d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, le demandeur expose qu’il serait originaire du Kosovo et que son départ du Kosovo aurait été motivé par la crainte de représailles de la part des habitants de son village qui reprocheraient à sa famille d’avoir collaboré avec les Serbes durant la guerre du Kosovo. Il précise que son père aurait été agressé et frappé par des villageois, relevant que les agresseurs auraient été arrêtés, puis relâchés et que, lorsque ceux-ci auraient voulu se venger, son frère aurait tué un des agresseurs en état de légitime défense, de sorte que le demandeur aurait été contraint de prendre la fuite, alors que sa sécurité n’y été plus garantie. Il estime que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo, non seulement ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection adéquate, mais que la volonté de le protéger efficacement ferait également défaut, de sorte qu’on ne pourrait lui reprocher de ne pas avoir porté plainte à chaque acte de persécution. Il se réfère encore à la mauvaise situation générale régnant au Kosovo et aux tensions interethniques persistantes pour faire valoir qu’il lui serait impossible de retourner dans son pays d’origine. Finalement, il conteste l’existence d’une possibilité de fuite interne dans son chef au vu de la situation instable dans les Balkans.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte qu’il serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition le 11 février 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, fait essentiellement état de sa crainte de subir des persécutions de la part d’autres membres de la population albanaise du Kosovo et, plus particulièrement, des Albanais de son village d’origine qui lui seraient hostiles et lui reprocheraient une prétendue collaboration avec les Serbes.

A cet égard, il y a lieu de constater que s’il est vrai que la situation générale des personnes soupçonnées de collaboration avec le pouvoir serbe au Kosovo reste difficile et qu’elles sont particulièrement exposées à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions, il n’en reste pas moins qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal. En effet, les agressions et violences alléguées par le demandeur du fait d’être soupçonné par les habitants de son village d’être un espion des Serbes, à les supposer établies, constituent certainement des pratiques condamnables, mais sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

S’y ajoute que, même en admettant que le risque allégué par le demandeur s’analyse en un risque d’actes de persécution, ceux-ci émanent non pas des autorités publiques, mais de personnes privées. Or, s’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s). Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, si le demandeur tend certes à décrire une situation d’insécurité et de conflit généralisé dans son pays d’origine, il ne démontre pas à suffisance que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Kosovo soient incapables de lui assurer une protection adéquate, étant donné qu’il se dégage des propres déclarations du demandeur, telles que relatées dans le compte-rendu d’audition, qu’il n’a pas concrètement recherché une protection de la part desdites autorités.

Pour le surplus, à supposer réelle la menace pesant sur lui, le demandeur, en tant qu’Albanais du Kosovo, ne soumet aucun élément permettant d’établir les raisons pour lesquelles il ne serait pas en mesure de trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie du Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées), le demandeur, dans ce contexte, ayant simplement déclaré qu’on le retrouverait partout.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schroeder, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 12 janvier 2005 par le premier juge, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schroeder 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18620
Date de la décision : 12/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-12;18620 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award