La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18314

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2005, 18314


Tribunal administratif N° 18314 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2004 Audience publique du 10 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18314 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mo

nsieur …, de nationalité portugaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Sch...

Tribunal administratif N° 18314 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2004 Audience publique du 10 janvier 2005 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de police des étrangers

________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18314 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2004 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité portugaise, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Schrassig, tendant principalement à la réformation, et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 avril 2004 par laquelle il s’est vu refuser l’entrée et le séjour sur le territoire luxembourgeois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 novembre par Maître Philippe STROESSER au nom de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport et Maître Philippe STROESSER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 janvier 2005.

_______________________________________________________________________

Par décision du 9 avril 2004, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », refusa à Monsieur … l’entrée et le séjour au Grand-Duché de Luxembourg et lui intima de quitter le pays dans un délai de 15 jours après la notification de cette décision, et, en cas de détention, dans un délai de 15 jours après la mise en liberté pour les motifs suivants :

« Vu l'article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant l'entrée et le séjour des étrangers ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu le rapport no 13/02PE du 18 mars 2003 établi par l’administration des douanes et accises, division anti-drogues et produits sensibles ;

Attendu que l’intéressé est susceptible de compromettre la sécurité et l'ordre Publics ».

Par requête déposée le 29 juin 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du ministre du 9 avril 2004.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1° l’entrée et le séjour des étrangers, 2° le contrôle médical des étrangers, 3° l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il aurait décidé au début de l’année 2002 de s’installer au Luxembourg pour travailler en qualité d’agent immobilier, mais que peu de temps après son arrivée, il aurait été en proie à une dépression et aurait commencé à consommer des produits stupéfiants dont notamment de la cocaïne. Dans la mesure où il ne serait plus arrivé à financer sa propre consommation de stupéfiants à partir de ses revenus réguliers, il se serait alors livré à un trafic de stupéfiants jusqu’à son arrestation en date du 11 février 2003, étant entendu qu’il fut condamné par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg en date du 27 janvier 2004 à une peine d’emprisonnement de 36 mois, dont 6 mois de sursis probatoire.

Il estime que c’est à tort que le ministre a motivé l’arrêté de refus litigieux par la considération qu’il serait susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics, étant donné en premier lieu qu’une condamnation pénale ne justifierait pas de plein droit une mesure de police à l’égard d’un étranger condamné et que dans son cas, il ne ferait aucun doute qu’au regard de sa personnalité et de ses antécédents, il ne serait en aucun cas susceptible de compromettre la sécurité et l’ordre publics. Il relève à cet égard n’avoir jamais fait l’objet d’une condamnation préalablement à celle prévisée du 27 janvier 2004 et ce aussi bien au Luxembourg que dans un autre pays, tout en relevant qu’il est actuellement âgé de près de 44 ans et qu’il aurait toujours exercé une activité professionnelle sans jamais avoir enfreint la loi.

A l’appui de ses conclusions le demandeur se réfère à un certificat médical du 17 février 2004 relatant qu’il a fait l’objet, durant sa détention, d’un programme de substitution par méthadone et qu’il a arrêté complètement ce produit le 7 août 2003, soit depuis près d’une année. Le demandeur signale en outre qu’au Centre pénitentiaire de Luxembourg il a suivi divers cours auprès du service éducation.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le comportement du demandeur pendant son bref séjour au pays dénoterait clairement une atteinte et un risque pour l’ordre public du Grand-Duché de Luxembourg, ceci en raison de la gravité des faits qui lui ont été reprochés. Il signale ensuite que le comité de guidance du Centre pénitentiaire de Luxembourg a refusé, par décision du 30 mars 2004, d’accorder un congé pénal à Monsieur … pour conclure qu’au vu du dossier pénal de l’intéressé, ainsi que de l’absence d’une proche famille au pays, ce serait à bon droit que le ministre a pris la décision litigieuse à son égard.

Dans son mémoire en réplique le demandeur insiste sur le caractère disproportionné de la décision litigieuse par rapport à sa situation personnelle. Il relève en outre que par décision du 9 juin 2004, la commission pénitentiaire a décidé de l’admettre au bénéfice de la libération anticipée.

Conformément aux dispositions de l’article 9 du règlement grand-ducal du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales, applicable en l’espèce en raison de la qualité de ressortissant communautaire du demandeur, « la carte de séjour ne peut être refusée ou retirée aux ressortissants énumérés à l’article 1er et une mesure d’éloignement du pays ne peut être prise à leur encontre que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans préjudice de la disposition de l’article 4, alinéa 3. La seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. (…) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet ».

La directive 64/221/CEE du 25 février 1964 du Conseil pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique impose aux Etats membres un certain nombre de conditions de fond et de forme en matière de police des étrangers à l’observation desquelles veille la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE).

L’article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil précise en son paragraphe 1 que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu qui en fait l’objet et dans son paragraphe 2 que la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures. Ces dispositions ont été transposées en droit national par le règlement grand-

ducal modifié du 28 mars 1972 relatif aux conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories d’étrangers faisant l’objet de conventions internationales et plus précisément par son article 9 cité ci-avant.

La CJCE a été amené à élaborer en matière d’ordre public une œuvre considérable, dont l’examen ne peut être dissocié de celui de la directive 64/221/CEE du 25 février 1964.

Dans son arrêt Bouchereau du 27 octobre 1977 (Aff. 30/77) elle a précisé, par référence à son arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (Aff. 41/74), qu’en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, la notion d’ordre public doit être entendue strictement, étant acquis qu’elle est susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, de sorte qu’il convient de reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application.

Ainsi des « restrictions ne sauraient être apportées aux droits des ressortissants des Etats membres d’entrer sur le territoire d’un autre Etat membre, d’y séjourner et de s’y déplacer que si leur présence ou leur comportement personnel constitue une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public. » (arrêt RUTILI, CJCE, 28 octobre 1975, aff. 36/75) Par ailleurs, le pouvoir étatique en matière de police des étrangers à l’égard d’étrangers délinquants est limité par la règle selon laquelle la « seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver » des décisions de refus d’entrée et de séjour et des décisions d’éloignement.

Il en résulte qu’une décision de refus d’entrée et de séjour, basée sur des raisons d’ordre ou de sécurité publics, ne se justifie qu’à partir du moment où le trouble causé par ledit ressortissant communautaire à l’ordre public est suffisamment grave et caractérisé.

En l’espèce, force est de constater que le demandeur, loin d’être venu s’installer légalement au pays en vue de s’y établir en bonne et due forme, a fait preuve d’emblée d’un esprit peu respectueux des lois du pays en omettant de se conformer aux formalités applicables en matière d’entrée et de séjour. En effet, d’après les informations non utilement contestées en cause fournies par le délégué du Gouvernement, Monsieur … n’a jamais sollicité une autorisation de séjour au pays et s’y est livré à un trafic illégal de stupéfiants jusqu’au moment de son arrestation, de sorte que sa présence au Grand-Duché de Luxembourg s’est articulée essentiellement, sinon exclusivement sur une toile de fond illégale.

Eu égard à la gravité des faits à la base de la condamnation pénale finalement encourue et au laps de temps somme toute très réduit passé par le demandeur au pays, la décision refusant l’entrée et le séjour au demandeur est motivée à suffisance de droit et de fait, de sorte que le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 janvier 2005 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18314
Date de la décision : 10/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-10;18314 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award