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10/01/2005 | LUXEMBOURG | N°18134

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 janvier 2005, 18134


Tribunal administratif N° 18134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 10 janvier 2005 Recours introduit par la société à responsabilité limitée C., … contre une décision de l’administration communale de la Ville de Luxembourg en présence de la société à responsabilité limitée de droit allemand R., … (D) en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mai 2004 par Maître Roy R

EDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la soc...

Tribunal administratif N° 18134 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2004 Audience publique du 10 janvier 2005 Recours introduit par la société à responsabilité limitée C., … contre une décision de l’administration communale de la Ville de Luxembourg en présence de la société à responsabilité limitée de droit allemand R., … (D) en matière de marchés publics

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18134 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 28 mai 2004 par Maître Roy REDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée C., établie et ayant son siège social à L-…, représentée par ses gérants actuellement en fonctions, tendant à l’annulation de la décision prise par l’administration communale de la Ville de Luxembourg en date du 30 janvier 2004, écartant l’offre soumise par elle dans le cadre de la soumission publique pour la fourniture et la pose d’une installation de jeux (« Grossspielanlage ») à installer dans le parc municipal de Luxembourg « Section Villa Louvigny », ensemble « la procédure ayant précédée cette décision » et la décision portant attribution dudit marché public à la société à responsabilité limitée de droit allemand R., établie et ayant son siège social à D-

… ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 15 juin 2004 portant signification de ce recours à l’administration communale de la Ville de Luxembourg, ainsi qu’à la société à responsabilité limitée de droit allemand R. ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Roy REDING en sa plaidoirie.

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Dans le cadre d’une soumission publique pour la fourniture et la pose d’une installation de jeux (« Grossspielanlage ») à installer dans le parc municipal de Luxembourg « Section Villa Louvigny », le bourgmestre de la Ville de Luxembourg s’est adressé en date du 30 janvier 2004 à la société à responsabilité limitée C., soumissionnaire ayant participé à ladite mise en adjudication, pour l’informer que « (…) le collège échevinal n’a pas retenu votre offre en raison de positions non-conformes au cahier des charges.

Je vous prie de noter que la présente vous [est] adressée à titre d’information, conformément à l’article 90 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003, portant exécution de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106, point 10 de la loi communale du 13 décembre 1988 (…) ».

Faisant suite à une réclamation et demande de motivation expresse adressée par le mandataire de la société C. à l’administration communale de la Ville de Luxembourg le 10 février 2004, le bourgmestre, par courrier du 3 mars, transmit l’analyse du « bureau d’architecture de paysage K. qui indique clairement les motifs exacts d’écartement et de non-conformité de l’offre de la société C. du 3 décembre 2003 ».

Agissant essentiellement à l’encontre de la décision de rejet de son offre matérialisée par le courrier de la Ville de Luxembourg du 30 janvier 2004, mais également à l’encontre de « la procédure qui a précédé cette décision » et de la décision d’adjudication à la société à responsabilité limitée de droit allemand R., la société C. a fait introduire en date du 28 mai 2004 un recours contentieux tendant à leur annulation.

Le recours introduit par la société C. est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi en ce qu’il vise tant la décision de rejet de son offre telle que matérialisée par le courrier du 30 janvier 2004, que la décision d’adjudication, certes non autrement précisée, l’imprécision résultant du fait que la demanderesse n’en a pas eu communication. Il est cependant irrecevable en ce qu’il vise de façon vague la « procédure d’adjudication », cette conclusion n’empêchant pas que les éventuels vices pouvant affecter des actes préparatoires soient analysés dans le cadre du recours dirigé contre les susdites décisions auxquelles la procédure d’adjudication a abouti.

A l’appui de son recours, la société C. fait valoir les moyens et arguments suivants :

- violation de l’article 4 de la loi du 30 juin 2003 sur les marchés publics exigeant que les pouvoirs adjudicateurs veillent à ce qu’il n’y ait pas de discrimination entre les différents entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services, la Ville de Luxembourg ayant « sciemment accepté et favorisé la discrimination de tous les concurrents potentiels de la société R. ».

Dans ce contexte, la demanderesse fait état de ce qu’il serait choquant et révélateur que :

- la Ville de Luxembourg aurait sans aucune mise en concurrence chargé l’architecte-paysagiste K. pour élaborer les plans de modification du parc municipal, architecte qui serait connu pour travailler toujours avec les mêmes fournisseurs de fontaines, de jeux, de mobilier et réaliserait ses aires de jeux toujours avec la société R. ;

- ce ne serait que par hasard qu’elle aurait eu connaissance du projet en question, à savoir la livraison et le montage d’une installation de jeu près de la Villa « Louvigny » sous forme d’un bateau et que seulement après avoir insisté auprès du Service des Parcs de la Ville de Luxembourg pour connaître les détails de ce projet et les dates d’adjudication publique, que la Ville de Luxembourg aurait procédé à un simulacre de mise en adjudication, étant donné que le délai de réception des offres n’aurait été que de 15 jours, les dispositions réglementaires prévoyant 52 jours, et que la société R. aurait déjà planifié l’installation en question plusieurs mois avant la publication de l’avis d’adjudication, témoignant de ce que tout aurait été fait pour éviter qu’un concurrent puisse participer ou avoir des chances réelles de remporter la soumission ;

- les responsables de la Ville auraient su plusieurs mois avant la mise en adjudication que « leur » architecte voulait confier la livraison et la pose de cette installation à la société R. ;

- lors d’une entrevue en date du 7 juillet 2003 dans les bureaux du Service des Parcs de la Ville de Luxembourg entre deux responsables de la société C. avec un fonctionnaire/agent communal, il s’y aurait trouvé une caisse avec des échantillons (échantillons de bois, visses et cordes pour le projet en question) provenant de la société R..

- violation de l’article 49 de la loi précitée du 30 juin 2003 et de l’article 90 du règlement grand-ducal du 7 juillet 2003 portant exécution de la loi du 30 juin 2003 (sur les marchés publics et portant modification du seuil prévu à l’article 106 point 10 de la loi communale du 13 décembre 1998, au motif que le pouvoir adjudicataire n’aurait pas communiqué, dans un délai de 15 jours à compter de la réception d’une demande écrite afférente, les motifs du rejet de l’offre de la partie demanderesse et que les motifs énoncés manqueraient de la précision requise ;

- violation de l’article 30 du règlement grand-ducal précité du 7 juillet 2003, au motif que le cahier des charges aurait prévu la livraison de bois « splintfrei » et « weiss geschält », termes repris textuellement des catalogues de la société R., seul fournisseur à traiter les bois de cette façon, la méthode normale, et supérieure en qualité, étant celle d’utiliser des bois qui sont « gefräst » ;

- violation de l’article 169 du règlement grand-ducal précité du 7 juillet 2003, qui interdit l’introduction de « spécifications techniques mentionnant des produits d’une fabrication déterminée ou d’une provenance déterminée » ;

- violation de l’article 186 du règlement grand-ducal précité du 7 juillet 2003 au motif que le délai de réception des offres doit être fixée par le pouvoir adjudicateur de façon à ne pas être inférieur à 52 jours à compter de la date d’envoi de l’avis d’adjudication, en l’espèce le délai n’ayant été que de 15 jours « et ceci pour une adjudication particulièrement complexe, alors que l’aire de jeu en question n’est absolument pas un produit « standardisé » mais une construction unique qui nécessite énormément de calculs, dessins, plans, afin de pouvoir assurer une stabilité et sécurité (!) pour les enfants et afin de calculer les prix de revient, les délai de fabrication etc. », étant ajouté qu’aucune urgence particulière ne saurait justifier une dérogation à cette règle impérative.

Pour sa part, l’administration communale de la Ville de Luxembourg, quoique valablement informée par une signification par exploit d’huissier de la requête introductive d’instance de la partie demanderesse, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse. Le même constat s’impose à l’égard de la société R..

S’y ajoute qu’en violation de l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’administration communale de la Ville de Luxembourg n’a même pas produit le dossier administratif.

Ceci étant, s’il est certes vrai que même en l’absence d’un contradicteur, le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés par la partie demanderesse, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par l’administration aux données factuelles apparentes de l’espèce, il n’en reste pas moins vrai qu’en matière de contentieux administratif, la charge de la preuve est partagée entre les parties demanderesse et défenderesse.

Ainsi, si le régime administratif de la preuve fait en premier lieu peser le fardeau de la preuve sur le demandeur, lequel doit effectivement combattre et démentir le contenu et la légalité de l’acte administratif critiqué, l’administration, c’est-à-dire la partie défenderesse, ne saurait rester purement passive.

En effet, l’administration doit collaborer à l’établissement des preuves, ceci spécialement dans les cas où elle détient les pièces ou informations nécessaires à la connaissance de la vérité ou encore, lorsque l’acte soumis au contrôle du juge est le fruit d’une initiative de l’administration, l’appelant à démontrer notamment la matérialité des faits à la base de sa décision.

Le mutisme des autorités administratives et le refus d’accès aux dossiers administratifs ne sauraient impliquer que le fardeau de la charge de la preuve retombe sur la seule partie demanderesse ou que le juge administratif soit mis dans l’impossibilité d’exercer son contrôle sur les éléments de fait. Au contraire, il y a lieu d’insister sur ce que pareilles attitudes constituent des atteintes flagrantes au principe de la transparence de l’action administrative.

Il s’ensuit qu’en ce qui concerne les données factuelles du cas sous examen, faute par la partie défenderesse d’avoir manifesté un intérêt à l’instance en présentant ses observations dans le délai légalement imparti ou ne serait-ce qu’en produisant le dossier administratif, le tribunal doit considérer que les faits et reproches allégués dans la requête introductive d’instance, essentiellement basées sur les reproches graves d’un détournement de pouvoirs et une violation de la loi en ce que la procédure ayant abouti à l’écartement de l’offre de la demanderesse et l’adjudication du marché litigieux à la société R. serait viciée ab initio pour méconnaissance du principe d’égalité des soumissionnaires, au motif qu’il y aurait eu favoritisme au profit de la société R. et partant discrimination de la partie demanderesse, se révèlent non seulement incontestées, mais paraissent d’autant plus plausibles.

Or, ce seul constat est suffisant, dans l’état actuel d’instruction du dossier et des choses, pour impliquer l’annulation pure et simple des deux décisions litigieuses.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours en annulation irrecevable en ce qu’il vise « la procédure d’adjudication » ;

le reçoit en la forme en ce qu’il vise la décision prise par l’administration communale de la Ville de Luxembourg écartant l’offre soumise par la société C. dans le cadre de la soumission publique pour la fourniture et pose d’une installation de jeux (« Grossspielanlage ») à installer dans le parc municipal de Luxembourg « Section Villa Louvigny », matérialisée par courrier du 30 janvier 2004, ainsi que la décision portant attribution dudit marché public à la société à responsabilité limitée de droit allemand R. ;

au fond, le déclare également justifié ;

partant annule les décisions de l’administration communale de la Ville de Luxembourg d’écarter l’offre soumise par la société C. dans le cadre de la soumission publique pour la fourniture et pose d’une installation de jeux (« Grossspielanlage ») à installer dans le parc municipal de Luxembourg « Section Villa Louvigny » et d’adjuger le marché litigieux à la société à responsabilité limitée de droit allemand R. ;

condamne l’administration communale de la Ville de Luxembourg aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président M. Schroeder, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 10 janvier 2005 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18134
Date de la décision : 10/01/2005

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2005-01-10;18134 ?

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