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23/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18141

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 2004, 18141


Numéro 18141 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 23 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, Kehlen contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18141 du rôle, déposée le 1er juin 2004 au greffe du tribunal admi

nistratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a...

Numéro 18141 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juin 2004 Audience publique du 23 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, Kehlen contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18141 du rôle, déposée le 1er juin 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce de Luxembourg sous le n°…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 17 mai 2004 révoquant l’autorisation d’établissement n° 77757/F lui délivrée le 10 février 2003 pour le transport de marchandises par route avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 septembre 2004 par Maître Charles KAUFHOLD pour compte de la société à responsabilité limitée …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yves WAGENER et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 novembre 2004.

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La société à responsabilité limitée …, préqualifiée, ci-après désignée par la « société …», a été titulaire d’une autorisation d’établissement n° 77757/F pour l’activité de transport de marchandises par route avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes, lui délivrée le 10 février 2003 en remplacement d’une autorisation similaire antérieure du 24 octobre 2001. Elle a été en outre titulaire d’une licence communautaire n° 0087 lui délivrée par le ministre des Transports sur base du règlement CEE n° 881/92 du Conseil du 26 mars 1992 concernant l’accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d’un Etat membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs Etats membres, ci-après désigné par le « règlement 881/92 ».

Suite à deux contrôles sur place effectués les 6 mai 2002 et 17 juillet 2003 par des agents de l’administration des Douanes et Accises, les représentants de la société …furent convoqués pour le 3 septembre 2003 devant la commission des transports internationaux par route, ci-après désignée par la « commission », pour prendre position quant aux insuffisances constatées par les agents de l’administration des Douanes et Accises concernant l’existence d’une infrastructure opérationnelle, l’exercice effectif et permanent de la direction des activités et l’obligation de conserver tous les documents relatifs aux activités au siège. La commission leur accorda encore un délai jusqu’au 17 septembre 2003 pour prendre position par la voie écrite, possibilité dont la société …fit usage à travers un courrier de son mandataire du 16 septembre 2003.

Suite à un avis de la commission du 2 décembre 2003, le ministre des Transports décida le 16 décembre 2003 de retirer la licence communautaire à la société …avec effet au 29 février 2004 et ce pour les motifs déjà épinglés par la commission.

Par requête déposée le 5 février 2004, la société …fit introduire un recours contentieux, inscrit sous le numéro 17550 du rôle, à l’encontre de cette décision de retrait de sa licence communautaire. Par ordonnance du 16 février 2004, le premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président, fit droit à la requête de la société …tendant à la suspension des effets de la décision prévisée du ministre des Transports du 16 décembre 2003 jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le mérite du recours au fond.

Suite à un nouveau contrôle sur place du 10 février 2004 effectué par des agents de l’administration des Douanes et Accises et du ministère des Transports, la commission prévue par l’article 2 alinéa 1er de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales, désignée dans la suite par la « loi d’établissement », émit le 8 avril 2004 l’avis qu’elle « propose la révocation de l’autorisation, la société ne disposant pas d’un établissement tel que requis aux dispositions de la loi du 30 juillet 2002 concernant les transporteurs, ainsi que cela ressort de plusieurs contrôles, notamment celui du 10 février 2004 ».

Suivant lettre du 9 avril 2004, le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après désigné par le « ministre », avisa la société …de son intention de procéder à la révocation de l’autorisation d’établissement n° 77757/F pour défaut d’un établissement conforme à la loi du 30 juillet 2002 concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route et portant transposition de la directive 98/76/CE du Conseil du 1er octobre 1998, ci-après désignée par la « loi du 30 juillet 2002 », aux motifs plus particulièrement que la société …ne disposerait d’aucune véritable infrastructure opérationnelle au Luxembourg et que l’exercice effectif et permanent de la direction des activités serait effectué à partir de l’Autriche.

Suite à un courrier du mandataire de la société …du 23 avril 2004 et la communication par le ministre du rapport de l’administration des Douanes et Accises du 18 mars 2004 relatif au contrôle sur place du 10 février 2004, la société …demanda, suivant courrier du 6 mai 2004, à être entendue en personne.

Comme suite à cette entrevue ayant eu lieu le 11 mai 2004 et à une prise de position écrite de la société …du 13 mai 2004, le ministre décida le 17 mai 2004 de lui retirer l’autorisation d’établissement n° 77757/F et l’invita à remettre la même autorisation dans les meilleurs délais à ses services.

Par requête déposée le 1er juin 2004, la société …a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de cette décision ministérielle de retrait du 17 mai 2004.

Etant donné que la loi du 30 juillet 2002 rend applicable, à travers son article 1er alinéa 2, la loi d’établissement dans la mesure où elle n’est pas incompatible avec ses propres dispositions et que ladite loi d’établissement instaure expressément dans son article 2 alinéa final un recours en annulation en la matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société demanderesse reproche d’abord au ministre de ne pas avoir fait une véritable analyse des éléments complémentaires par elle soumis lors de l’entrevue du 11 mai 2004 et de ne pas avoir pris position y relativement dans sa décision du 17 mai 2004, vu que « sa religion était manifestement faite d’avance ». Elle soutient encore que le ministre serait « volé au secours du ministre des Transports » au vu de la motivation de l’ordonnance prévisée du 16 février 2004 ayant retenu notamment que « la question au fond reste également entière de savoir si, en l’absence de mesures prises par le ministre des Classes moyennes concernant l’autorisation d’établissement, le ministre des Transports peut valablement retenir un défaut d’établissement conforme dans le chef d’un transporteur en vue de prononcer utilement un retrait d’une licence communautaire dans son chef ».

Concernant l’interaction entre les sphères de compétences du ministre des Transports et du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, force est de relever que le tribunal a retenu dans un jugement de ce jour, prononcé dans le cadre du recours contentieux introduit par la société demanderesse contre la décision du ministre des Transports du 16 décembre 2003 ayant porté retrait de sa licence communautaire, inscrit sous le numéro 17550 du rôle, que l’existence d’un établissement constitue une condition de fond pour la délivrance tant d’une autorisation d’établissement que d’une licence communautaire et que les autorités nationales compétentes respectivement en matière du droit d’établissement et des transports routiers sont appelées dans le cadre des législations et réglementations respectivement applicables - la loi du 30 juillet 2002 en matière d’établissement et le règlement 881/92 ensemble le règlement grand-ducal du 15 mars 1993 en matière de transports intracommunautaires par route - à vérifier l’existence effective d’un tel établissement avant l’émission d’une autorisation d’établissement respectivement d’une licence communautaire. A travers le même jugement, le tribunal a conclu que la compétence pour le contrôle du respect d’une même condition de fond, celle relative à l’existence d’un établissement posée par l’article 5 (2) de la loi du 30 juillet 2002, laquelle conditionne la délivrance à la fois d’une autorisation d’établissement et d’une licence communautaire, revient ainsi de manière conjointe à deux ministres différents, à savoir au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en ce qui concerne les autorisations d’établissement et au ministre des Transports en ce qui concerne les licences communautaires.

Quant à l’exercice de cette compétence conjointe de ces deux ministres, le tribunal s’est référé au règlement grand-ducal du 15 mars 1993 disposant dans son article 2 que « les vérifications visées à l’article 7 du règlement (CEE) n° 881/92 sont menées conjointement et en collaboration par le Ministre et par le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement.

Ce dernier communique notamment au Ministre copies des autorisations d’établissement et toutes les données utiles concernant la modification, le transfert, le retrait ou la caducité d’une autorisation d’établissement ».

Le tribunal a déduit de cette disposition réglementaire qu’au vu du parallélisme de compétences et de l’identité partielle des conditions concernant l’octroi d’une autorisation d’établissement et d’une licence communautaire à un même transporteur, le pouvoir réglementaire, en requérant à l’article 2 du règlement grand-ducal du 15 mars 1993 que les vérifications soient menées « conjointement et en collaboration » par les deux ministres y visés, a nécessairement imposé que ces derniers agissent ensemble et de concert en procédant ensemble à des mesures d’instruction et en tirant du résultat de cette instruction une conclusion commune. Cette exigence d’une action de concert des deux ministres répond à la fois à une finalité de protection de l’intérêt général, le constat d’un défaut de satisfaire à une condition de fond commune à une autorisation d’établissement et une licence communautaire devant entraîner l’arrêt de l’activité du transporteur fautif, et à la protection des droits des administrés concernés afin d’empêcher une multiplication des actes d’instruction et des appréciations divergentes entre différentes administrations.

Après avoir constaté que la décision du ministre des Transports déférée du 16 décembre 2003 est fondée essentiellement sur le défaut, dans le chef de la société demanderesse, d’un établissement répondant aux exigences de la loi du 30 juillet 2002, dont l’existence effective constitue une condition pour la délivrance tant d’une autorisation d’établissement que d’une licence communautaire, et qu’en conséquence, l’exigence d’une vérification conjointe du ministre des Transports et du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement doit trouver application, le tribunal a relevé qu’il découle cependant des éléments du dossier, et plus particulièrement du rapport du 22 juillet 2003, que les agents de l’administration des Douanes et Accises ont effectué leur contrôle au siège de la société demanderesse en coopération avec l’Inspection du Travail et des Mines et le Centre commun de la sécurité sociale, mais que le ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement n’a aucunement été associé à cette enquête sur l’existence d’un établissement de la société demanderesse suffisant aux exigences de la loi du 30 juillet 2002, une telle association du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement ne résultant pas non plus d’un autre élément du dossier administratif.

Le tribunal a ainsi déduit de ces développements que l’enquête à la base de la décision du ministre des Transports du 16 décembre 2003 a été accomplie en violation de cette exigence substantielle et que ce vice affecte également ladite décision prise à la suite de cette enquête, de manière à avoir prononcé l’annulation de cette même décision par ledit jugement prononcé en date d’aujourd’hui.

Or, il convient de relever que la décision ministérielle critiquée du 17 mai 2004 repose largement sur le résultat des mêmes contrôles des 6 mai 2002 et 17 juillet 2003 dont les rapports afférents ont été inclus dans la susdite décision d’annulation du tribunal et que le contrôle effectué le 10 février 2004 servait essentiellement à vérifier si la société demanderesse avait tenu compte des manquements relevés lors de ces contrôles. Etant donné qu’elle repose ainsi pour une part substantielle sur des mesures d’instruction viciées à défaut d’association du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement alors qu’il aurait dû l’être, comme relevé ci-avant, la décision ministérielle déférée du 17 mai 2004 ne peut être considérée comme reposant sur une motivation valable et doit partant encourir l’annulation.

Le mandataire de la société demanderesse a sollicité à l’audience le prononcé de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’éventuelle instance d’appel conformément à l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En considération de l’annulation de la décision déférée découlant des développements qui précèdent et du fait que le délégué du gouvernement a déclaré lors des plaidoiries dans le cadre de la requête en effet suspensif ayant conduit à l’ordonnance du 16 février 2004 qu’il ne pouvait pas contester raisonnablement les effets engendrés par la décision déférée concernant le préjudice grave et définitif, condition posée par l’article 35 de la loi susvisée du 21 juin 1999, il y a lieu d’admettre que les prémisses pour ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et une éventuelle instance d’appel se trouvent réunies en l’espèce et que cette demande est partant à accueillir favorablement.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 17 mai 2004 révoquant l’autorisation d’établissement n° 77757/F délivrée le 10 février 2003 à la société demanderesse pour l’activité de transport de marchandises par route avec des véhicules de plus de 3,5 tonnes, ordonne l’effet suspensif du recours pendant le délai et une éventuelle instance d’appel, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 23 décembre 2004 par le vice-président en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18141
Date de la décision : 23/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-23;18141 ?

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