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23/12/2004 | LUXEMBOURG | N°17550

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 décembre 2004, 17550


Numéro 17550 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2004 Audience publique du 23 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du ministre des Transports en matière de transports

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17550 du rôle, déposée le 5 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Co

ur, assisté de Maître Yves WAGENER, avocat à la Cour, les deux inscrits au tableau de l’Ordre...

Numéro 17550 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 février 2004 Audience publique du 23 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du ministre des Transports en matière de transports

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 17550 du rôle, déposée le 5 février 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, assisté de Maître Yves WAGENER, avocat à la Cour, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, inscrite au registre de commerce de Luxembourg sous le n°…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre des Transports du 16 décembre 2003 portant retrait de sa licence communautaire en matière de transports internationaux par route et l’invitant à remettre l’original de la licence n° 0098 [0087] ainsi que les copies conformes lui délivrées pour l’année 2004;

Vu l’ordonnance du premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président légitimement empêché, du 16 février 2004 ordonnant la suspension de la décision du ministre des Transports du 16 décembre 2003 déférée à travers le recours au fond inscrit sous le numéro 17550 du rôle jusqu’à ce que le tribunal ait statué au fond sur son mérite;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 mai 2004;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2004 par Maître Charles KAUFHOLD pour compte de la société à responsabilité limitée …;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yves WAGENER et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 novembre 2004.

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La société à responsabilité limitée …, préqualifiée, ci-après désignée par la « société …», a été titulaire d’une licence communautaire n° 0087 lui délivrée par le ministre des Transports, ci-après désigné par le « ministre », sur base du règlement CEE n° 881/92 du Conseil du 26 mars 1992 concernant l’accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d’un Etat membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs Etats membres, ci-après désigné par le « règlement 881/92 ».

Suite à deux contrôles sur place effectués les 6 mai 2002 et 17 juillet 2003 par des agents de l’administration des Douanes et Accises, les représentants de la société …furent convoqués pour le 3 septembre 2003 devant la commission des transports internationaux par route, ci-après désignée par la « commission », pour prendre position quant aux insuffisances constatées par les agents de l’administration des Douanes et Accises concernant l’existence d’une infrastructure opérationnelle, l’exercice effectif et permanent de la direction des activités et l’obligation de conserver tous les documents relatifs aux activités au siège. La commission leur accorda encore un délai jusqu’au 17 septembre 2003 pour prendre position par la voie écrite, possibilité dont la société …fit usage à travers un courrier de son mandataire du 16 septembre 2003.

Suite à un avis de la commission du 2 décembre 2003, le ministre décida le 16 décembre 2003 de retirer la licence communautaire à la société …avec effet au 29 février 2004. Cette décision est motivée comme suit :

« Maître, Me référant à la procédure retenue par le règlement grand-ducal du 15 mars 1993 portant exécution et sanction du règlement communautaire (CEE) n° 881/92 du Conseil des Communautés européennes du 26 mars 1992 concernant l’accès au marché des transports des marchandises par route dans la Communauté, exécutés au départ ou à destination du territoire d’un Etat membre ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs Etats membres, je me dois de vous informer que la licence communautaire n° 0098 ayant été délivrée à … s.à r.l. se trouve retirée avec effet au 29 février 2004.

Cette décision, prise conformément à l’article 7 du règlement grand-ducal du 15 mars 1993 précité alors que votre mandante s’est présentée en date du 3 septembre 2003 devant la commission des transports internationaux de marchandises par route pour être entendue en ses explications et moyens de défense et que vous avez introduit la prise de position écrite de votre mandante par lettre du 16 septembre 2003, se trouve motivée par le défaut d’existence d’un établissement tel que requis par la loi du 30 juillet 2002 concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route et portant transposition de la directive 98/76/CE du Conseil du 1er octobre 1998.

Il ressort des rapports de l’administration des Douanes et Accises que votre mandante ne dispose pas d’un établissement tel que requis par la législation luxembourgeoise et notamment la loi du 30 juillet 2002 susmentionnée.

En effet, selon le rapport de l’administration des Douanes et Accises les locaux de … s.à r.l., situés au premier étage d’un bâtiment administratif abritant plusieurs sociétés, sont insuffisants pour gérer convenablement une flotte d’environ 58 véhicules et un personnel d’environ 107 chauffeurs.

J’ai cependant pris bonne note que votre mandante est consciente que ses bureaux sont trop petits et qu’il est quasiment acquis qu’elle va signer un contrat de location avec XXX à …, situé à 2 km de l’aéroport.

Ceci n’est cependant pas suffisant pour conclure à un exercice effectif et à caractère permanent de la direction des activités à partir du siège au Luxembourg alors que l’administration des Douanes et Accises a constaté qu’à l’exception de certains transports systématiques constitués de 7 véhicules immatriculés et au Luxembourg et en Autriche, le parc de véhicules n’est pas disposé voire affrété réellement à partir du siège à K….

Lors du contrôle, Monsieur …ne pouvait d’ailleurs pas renseigner sur le nombre de véhicules appartenant à … s.à r.l. ni sur le nombre de chauffeurs employés par elle de sorte que son affirmation de faire la liaison journalière avec les chauffeurs par téléphone ne persuade pas.

En considération du fait que les informations sur le dispatching peuvent être consultées par moyen informatique sur un serveur installé en Autriche, votre mandante a confirmé lors de l’audition du 3 septembre 2003 que les différentes sociétés du groupe utilisent normalement le véhicule disponible le plus proche, n’importe à quelle firme il appartient.

Les chauffeurs de … s.à r.l. conduisent systématiquement des véhicules immatriculés en Autriche, y reçoivent leurs ordres et y remettent les documents de transport et les feuilles d’enregistrement du tachygraphe.

Admis d’ailleurs par votre mandante, ceci explique la discordance entre le nombre de véhicules (58) et le nombre de chauffeurs (107) qui depuis le contrôle n’a pas beaucoup changée (70 véhicules, 105 chauffeurs au 8 décembre 2003).

Lors du contrôle du 6 mai 2002 l’administration des Douanes et Accises avait constaté que nombre de chauffeurs de la société autrichienne YYY GmbH conduisaient les véhicules de la société luxembourgeoise de même que de multiples infractions aux dispositions relatives aux temps de conduite et de repos.

Suite aux injonctions du Ministère des Transports (cf. lettre du 3 juillet 2002) que l’échange de chauffeurs entre les différentes sociétés du groupe n’est pas permis, votre mandante avait changé son système de sorte que les chauffeurs de … s.à r.l. conduisaient les véhicules de la société mère autrichienne.

La lettre du 3 juillet 2002 précitée mentionnait cependant clairement qu’aussi bien l’emploi de chauffeurs de la société luxembourgeoise sur des véhicules étrangers que l’emploi de chauffeurs étrangers sur des véhicules de la société luxembourgeoise est interdit.

Le fait qu’un échange de chauffeurs n’a plus lieu depuis août 2003 ne saurait relativiser ce point.

Bien que le volet financier soit traité par la fiduciaire … au nom et pour compte de … s.à r.l., l’administration des Douanes et Accises a constaté que la majorité des factures sont établies par la maison-mère en Autriche sauf en ce qui concerne les transports systématiques alors qu’aucune pièce à l’appui rendant possible l’établissement d’une facture respectivement le contrôle d’une note de crédit n’a été trouvée au siège de votre mandante. De même, le règlement des factures client n’est pas vérifié à K….

Selon les assertions de Monsieur …lors du contrôle seulement 10 % des activités sont dirigées et facturées depuis le Luxembourg et le restant des activités est faite en Autriche.

Les copies des factures établies par votre mandante et des commandes de la maison mère annexées à la prise de position de votre mandante du 16 septembre 2003 datent toutes sauf une après le 15 août 2003, c’est-à-dire après le contrôle de l’administration des Douanes et Accises.

A ce sujet il y a lieu de relever que si toutes les factures et lettres de … s.à r.l. mentionnent en bas les coordonnées de la société avec comme site internet l’adresse « www.yyy.com », on ne trouve nulle part sur l’ensemble du site internet du groupe yyy une seule indication concernant la société luxembourgeoise.

Je voudrais insister au fait que même si votre mandante insiste sur le fait que les tiers sont protégés par la théorie du mandat apparent, cela n’enlève pas l’obligation de se conformer aux dispositions légales et réglementaires.

Lors du contrôle le fichier du personnel n’était pas à jour et Monsieur … ignorait le nombre de chauffeurs employés par … s.à r.l..

Les données relatives aux jours de travail et aux heures supplémentaires, utilisées par la fiduciaire … pour établir et imprimer les fiches de salaires, sont communiqués par la maison mère depuis l’Autriche.

Ce relevé ne correspond cependant pas avec le décompte des disques effectué par Monsieur S..

De plus, selon les assertions de Monsieur … lors du contrôle du 17 juillet 2003, le responsable pour … s.à r.l. en Autriche refuse de payer les suppléments pour heures de nuit et de dimanche.

Si les feuilles d’enregistrement tachygraphiques, envoyées par la maison-mère en Autriche, sont présentes et rangées en bon ordre, aucune suite réelle n’est cependant donnée aux infractions constatées.

En effet, lors de l’audition du 3 septembre 2003 votre mandante a admis qu’en cas d’infraction le chauffeur reçoit seulement une copie de décompte imprimé par Monsieur S., mais qu’elle ne prend pas d’autres mesures.

Le personnel administratif composé de 2 personnes, dont une secrétaire, n’est pas adapté pour assurer une gestion effective d’une entreprise de 58 véhicules et 107 chauffeurs même si certaines opérations de comptabilité sont effectuées par la fiduciaire ….

Même si votre mandante est en train d’engager une deuxième secrétaire et réfléchit d’engager éventuellement deux personnes supplémentaires pour le contrôle des disques tachygraphiques et la gestion du péage autoroutier allemand, il est difficile de voir comment … s.à r.l. serait effectivement dirigé à partir du Grand-Duché de Luxembourg.

En effet, Monsieur Zzz est la seule personne à pouvoir engager … s.à r.l.. Or, selon les employés Monsieur Zzz ne passe qu’une fois par mois au siège à K… pendant 1 à 2 jours pour voir si « tout est en ordre ».

Lors des contrôles de l’administration des Douanes et Accises au courant des dernières années le gérant technique Zzz n’était jamais présent au siège.

Par ailleurs, l’adresse officielle de la résidence de Monsieur ZZZ correspond au siège de la fiduciaire … qui ne présente aucune possibilité d’hébergement.

Du fait que le gérant technique Zzz réside normalement en Autriche, il y a de forts doutes que l’exercice effectif et à caractère permanent de la direction des activités, pour une entreprise de cette envergure, est effectuée au siège à K… avec l’assistance de deux employés qui, selon les constatations de l’administration des Douanes et Accises, n’exécutent que des travaux accessoires.

Alors que, même si Monsieur … assure une présence continue à l’égard des tiers, il ne peut pas engager la société et n’est muni d’aucune procuration.

Que … s.à r.l. est dirigée de fait depuis l’Autriche est confirmé par un document par lequel Monsieur Zzz, agissant au nom de la société autrichienne Zzz Transport GmbH de Krems, autorise Monsieur … à recevoir tous les documents destinés à … s.à r.l..

Il résulte donc de l’instruction administrative du dossier que … s.à r.l. ne dispose pas d’exploitation effective au Luxembourg alors qu’elle ne remplit actuellement qu’une des cinq conditions de l’établissement stable et qu’elle en remplirait deux après déménagement dans des locaux plus grand. Or, les cinq conditions doivent être remplies cumulativement.

En vertu de l’article 8, paragraphe 2 du règlement communautaire n° 881/92 précité la licence communautaire doit être retirée si le titulaire ne répond plus aux conditions prévues à l’article 3, paragraphe 2 du même règlement qui mentionne, entre autres, que le transporteur doit être établi dans un Etat membre conformément à la législation de celui-ci.

Je vous prie dès lors à inviter votre mandante à remettre l’original de la licence n° 0098 et les copies conformes lui délivrées pour l’année 2004 pour le 29 février 2004 au Ministère des Transports.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours gracieux à présenter au Ministère des Transports. Elle est, en outre, susceptible d’un recours en annulation devant le tribunal administratif, à exercer par ministère d’avocat endéans les trois mois à partir du jour de la notification de la présente décision.

Veuillez agréer, … ».

Par requête déposée le 5 février 2004, la société …a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision ministérielle du 16 décembre 2003. Par ordonnance du 16 février 2004, le premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président, fit droit à la requête de la société …tendant à la suspension des effets de la décision prévisée du ministre des Transports du 16 décembre 2003 jusqu’à ce que le tribunal ait statué sur le mérite du recours au fond.

Alors même que la société demanderesse conclut principalement à l’annulation de la décision critiquée, le tribunal est tenu d’examiner d’abord l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’ouverture de cette voie de recours emporterait l’irrecevabilité du recours principal en annulation. Dans la mesure où aucune disposition légale ou réglementaire n’instaure un recours en réformation en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit. Le recours en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

La société demanderesse relève tout d’abord que d’après son libellé, la décision ministérielle critiquée entend opérer le retrait d’une licence communautaire n° 0098, mais qu’elle ne disposerait pas d’une telle licence répertoriée sous ce numéro, de manière qu’elle émet une réserve sur la question de savoir si ladite décision a pu valoir retrait de sa licence communautaire.

Le délégué du gouvernement rétorque que la décision ministérielle du 16 décembre 2003 porterait sur la licence délivrée à la société demanderesse, partant sur la licence portant le numéro 0087. Il soutient que l’erreur matérielle de secrétariat dans ladite décision, ayant entraîné l’indication du numéro 0098 au lieu du numéro 0087, n’aurait pu créer à aucun moment une confusion pour la société demanderesse, étant donné que la licence serait unique pour chaque entreprise de transports et que le numéro en tant que tel revêtirait simplement un caractère administratif.

Dans la mesure où la société demanderesse n’a pas autrement mis en cause cette qualification avancée par le délégué du gouvernement et n’a pas allégué une confusion ayant porté atteinte à ses droits de la défense, il y a lieu de retenir que l’indication erronée du numéro de la licence communautaire visée par la décision ministérielle déférée reste sans conséquence sur la validité de cette dernière qui doit être considérée comme ayant porté sur la licence effectivement délivrée à la société demanderesse, à savoir celle portant le numéro 0087.

A l’appui de son recours, la société demanderesse reproche ensuite à la décision critiquée de ne pas préciser clairement sur quelle loi elle reposerait notamment pour justifier la compétence du ministre. Elle fait valoir à cet égard que l’article 3 paragraphe 2 du règlement 881/92 préverrait la délivrance de la licence communautaire à tout transporteur de marchandises par route pour compte d’autrui qui notamment est établi dans un Etat membre conformément à la législation de ce dernier et que la loi du 30 juillet 2002 concernant l’établissement de transporteur de voyageurs et de transporteur de marchandises par route et portant transposition de la directive 98/76/CE du Conseil du 1er octobre 1998, ci-après désignée par la « loi du 30 juillet 2002 », conférerait au ministre ayant dans ses attributions les classes moyennes la compétence pour vérifier la réunion des critères et conditions d’attribution d’une autorisation pour l’exercice de la profession de transporteur, dont l’existence d’un établissement au Luxembourg, et que leur non-respect aurait pour conséquence le retrait de l’autorisation d’établissement. Par voie de conséquence, le ministre aurait commis un excès ou une confusion de pouvoir en se fondant tout seul sur ces mêmes critères et conditions pour retirer la licence communautaire.

Les conditions de fond pour la délivrance d’une licence communautaire sont déterminées par l’article 3 paragraphe 2 du règlement 881/92 que dispose que « la licence communautaire est délivrée par un État membre, conformément aux articles 5 et 7, à tout transporteur de marchandises par route pour compte d'autrui qui:

- est établi dans un État membre, ci-après dénommé «État membre d'établissement», conformément à la législation de celui-ci, - est habilité dans cet État membre, conformément à la législation de la Communauté et de cet État en matière d'accès à la profession de transporteur, à effectuer des transports internationaux de marchandises par route ».

La législation luxembourgeoise régissant cette double condition de l’établissement et de l’habilitation à effectuer des transports de marchandises inscrite à l’article 3 paragraphe 2 est reprise dans la loi du 30 juillet 2002, laquelle dispose en effet dans son article 1er que « nul ne peut, à titre principal ou accessoire, exercer la profession de transporteur de voyageurs par route ni celle de transporteur de marchandises par route au Grand-Duché de Luxembourg sans y disposer d’un établissement et sans être en possession d’une autorisation écrite délivrée par le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement et appelé ci-après « le ministre » ».

L’établissement visé à la fois par l’article paragraphe 2 du règlement 881/92 et l’article 1er de la loi du 30 juillet 2002 se trouve défini en droit interne à l’article 2 deuxième tiret de ladite loi et son existence vérifiée est érigée en condition pour l’octroi d’une autorisation d’établissement pour l’exercice de l’activité de transporteur par l’article 5 (2) de la même loi.

Les autres conditions pour l’habilitation à exercer l’activité de transporteur, matérialisée par une autorisation écrite du ministre compétent, sont définies par l’article 6 (1) de la loi du 30 juillet 2002 et tiennent à l’honorabilité professionnelle, à la capacité financière et à la capacité professionnelle du transporteur.

Dès lors, l’autorisation d’établissement pour l’activité de transporteur ne peut être délivrée que suite à la double vérification de l’existence d’un établissement conforme à la définition inscrite à l’article 2 deuxième tiret de la loi du 30 juillet 2002 et du respect des autres conditions prévues par l’article 6 (1) de la même loi.

D’un autre côté, la délivrance d’une licence communautaire est ainsi sujette à la double condition de l’existence d’un établissement conforme à définition fournie par l’article 2 deuxième tiret de la loi du 30 juillet 2002 et de l’existence d’une autorisation d’établissement. A cet égard, les articles 7 et 8 du règlement 881/92 confèrent à l’autorité compétente nationale la compétence, dans le cadre d’une demande en obtention ou en renouvellement d’une licence communautaire ou dans le cadre de vérifications visées par l’article 7 alinéa 2, de contrôler si les conditions posées par l’article 3 paragraphe 2 se trouvent réunies.

Il suit de ces développements que l’existence d’un établissement constitue une condition de fond pour la délivrance tant d’une autorisation d’établissement que d’une licence communautaire et que les autorités nationales compétentes respectivement en matière du droit d’établissement et des transports routiers sont appelées dans le cadre des législations et réglementations respectivement applicables, la loi du 30 juillet 2002 en matière d’établissement et le règlement 881/92 ensemble le règlement grand-ducal du 15 mars 1993 en matière de transports intracommunautaires par route, à vérifier l’existence effective d’un tel établissement avant l’émission d’une autorisation d’établissement respectivement d’une licence communautaire.

En ce qui concerne la compétence pour l’octroi de ces deux sortes d’actes administratifs, c’est le ministre ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement, à savoir le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, qui est, conformément aux articles 1er et 5 (1) de la loi du 30 juillet 2002, compétent pour vérifier l’existence d’un établissement au Luxembourg et le respect des autres conditions posées par la loi du 30 juillet 2002 et pour délivrer, dans l’affirmative, une autorisation pour l’exercice de l’activité de transporteur de marchandises par route.

Concernant par contre la compétence pour la délivrance d’une licence communautaire, l’article 5 paragraphe 1er du règlement 881/92 pose que « la licence communautaire visée à l'article 3 est délivrée par les autorités compétentes de l'État membre d'établissement ». Pour le Grand-Duché du Luxembourg, le règlement grand-ducal du 15 mars 1993 portant exécution et sanction du règlement 881/92, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 15 mars 1993 », désigne comme autorité compétente « le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions les transports routiers », à savoir, conformément à l’arrêté grand-ducal du 11 août 1999 portant constitution des Ministères encore applicable à la date de la décision critiquée, le ministre des Transports.

Force est dès lors de conclure à ce stade que la compétence pour le contrôle du respect d’une même condition de fond, celle relative à l’existence d’un établissement posée par l’article 5 (2) de la loi du 30 juillet 2002, laquelle conditionne la délivrance à la fois d’une autorisation d’établissement et d’une licence communautaire, revient ainsi de manière conjointe à deux ministres différents, à savoir au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en ce qui concerne les autorisations d’établissement et au ministre des Transports en ce qui concerne les licences communautaires.

Le règlement grand-ducal du 15 mars 1993 tient compte de cette dualité de compétence en disposant dans son article 2 que « les vérifications visées à l’article 7 du règlement (CEE) n° 881/92 sont menées conjointement et en collaboration par le Ministre et par le membre du Gouvernement ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement.

Ce dernier communique notamment au Ministre copies des autorisations d’établissement et toutes les données utiles concernant la modification, le transfert, le retrait ou la caducité d’une autorisation d’établissement ».

Au vu du parallélisme de compétences et de l’identité partielle des conditions concernant l’octroi d’une autorisation d’établissement et d’une licence communautaire à un même transporteur, le pouvoir réglementaire, en requérant à l’article 2 du règlement grand-

ducal du 15 mars 1993 que les vérifications soient menées « conjointement et en collaboration » par les deux ministres y visés, a nécessairement imposé que ces derniers agissent ensemble et de concert en procédant ensemble à des mesures d’instruction et en tirant du résultat de cette instruction une conclusion commune. Cette exigence d’une action de concert des deux ministres répond à la fois à une finalité de protection de l’intérêt général, le constat d’un défaut de satisfaire à une condition de fond commune à une autorisation d’établissement et une licence communautaire devant entraîner l’arrêt de l’activité du transporteur fautif, et à la protection des droits des administrés concernés afin d’empêcher une multiplication des actes d’instruction et des appréciations divergentes entre différentes administrations.

Or, en l’espèce, force est de constater que la décision ministérielle déférée du 16 décembre 2003 est fondée essentiellement sur le défaut, dans le chef de la société demanderesse, d’un établissement répondant aux exigences de la loi du 30 juillet 2002, dont l’existence effective constitue une condition pour la délivrance tant d’une autorisation d’établissement que d’une licence communautaire, de manière que l’exigence d’une vérification conjointe du ministre des Transports et du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, laquelle doit être qualifiée de substantielle au bénéfice des développements ci-avant, doit trouver application en l’espèce.

Il découle cependant des éléments du dossier, et plus particulièrement du rapport prévisé du 22 juillet 2003, qu’en l’espèce, les agents de l’administration des Douanes et Accises ont effectué leur contrôle au siège de la société demanderesse en coopération avec l’Inspection du Travail et des Mines et le Centre commun de la sécurité sociale, mais que le ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement n’a aucunement été associé à cette enquête sur l’existence d’un établissement de la société demanderesse suffisant aux exigences de la loi du 30 juillet 2002. Une association du ministère des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement ne résulte pas non plus d’un autre élément du dossier administratif.

L’enquête à la base de la décision ministérielle a partant été accomplie en violation de cette exigence substantielle et ce vice affecte également la décision ministérielle prise à la suite de cette enquête.

Par voie de conséquence, le moyen d’annulation de la société demanderesse laisse d’être fondé en ce qu’il entend voir dénier au ministre des Transports toute compétence pour contrôler l’effectivité de l’établissement d’une entreprise de transports dans le cadre du régime de la licence communautaire, mais est fondé dans la mesure où le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement n’a pas été mis en mesure d’exercer sa compétence conjointement avec celle du ministre des Transports.

La décision ministérielle déférée du 16 décembre 2003 encourt partant l’annulation.

Le mandataire de la société demanderesse a sollicité à l’audience le prononcé de l’effet suspensif du recours pendant le délai et l’éventuelle instance d’appel conformément à l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

En considération de l’annulation de la décision déférée découlant des développements qui précèdent et du fait que le délégué du gouvernement a déclaré lors des plaidoiries dans le cadre de la requête en effet suspensif ayant conduit à l’ordonnance du 16 février 2004 qu’il ne pouvait pas contester raisonnablement les effets engendrés par la décision déférée concernant le préjudice grave et définitif, condition posée par l’article 35 de la loi susvisée du 21 juin 1999, il y a lieu d’admettre que les prémisses pour ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai et une éventuelle instance d’appel se trouvent réunies en l’espèce et que cette demande est partant à accueillir favorablement.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, annule la décision du ministre des Transports du 16 décembre 2003 portant retrait de la licence communautaire n° 0087 délivrée à la société demanderesse, ordonne l’effet suspensif du recours pendant le délai et une éventuelle instance d’appel, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 23 décembre 2004 par le vice-président en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.12.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 17550
Date de la décision : 23/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-23;17550 ?

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