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22/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18564

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 décembre 2004, 18564


Tribunal administratif N° 18564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 22 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18564 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rasht (

Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décis...

Tribunal administratif N° 18564 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 22 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18564 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rasht (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 juin 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 15 juillet 2004, suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 9 janvier 2004, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut entendu en date des 8 et 9 mars 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 7 juin 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 10 juin 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le procès-verbal du Service de Police Judiciaire du même jour et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice daté des 8 et 9 mars 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Iran en décembre 2003 pour aller en Turquie d’où, après un séjour de plusieurs jours, vous êtes venu au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 9 janvier 2004.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire.

Vous n’étiez membre d’aucun parti politique et vous n’auriez participé à aucune manifestation.

Vos problèmes auraient été causés par votre homosexualité. Pendant que vous étiez encore à l’école, vous auriez été surpris avec un autre élève et vous auriez tous deux été emmenés à la Brigade des Mœurs. Vous auriez été emprisonnés pendant deux ans à la section des mineurs. Vous dites que vous auriez été frappé pendant votre détention. A votre sortie de prison, vous auriez continué à être surveillé par la police. Vous auriez commencé à faire de la boxe, sport que vous auriez pratiqué pendant deux ans. Ensuite, vous auriez fait de la lutte. Vous expliquez qu’il y aurait beaucoup d’homosexuels parmi les sportifs de « close-combat ». Vous auriez fait la connaissance d’un certain HAMID dans les vestiaires du club sportif. Avec votre ami HAMID, vous auriez pris l’habitude de filmer vos rapports sur cassettes vidéo. Vous auriez copié et distribué cette cassette à quelques amis, tandis que HAMID préférait la vendre. Un jour, HAMID aurait été arrêté en possession de cette cassette. Sa sœur vous aurait directement prévenu que, très reconnaissable sur le film, vous risquiez d’être arrêté également. Vous vous seriez caché quelques jours chez un oncle avant de quitter le pays. HAMID aurait été torturé en prison et vous dites qu’après votre départ, il aurait été condamné à mort.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

L’appartenance à une minorité sexuelle, en admettant que ce fait soit avéré, n’entraîne pas d’office l’application de la Convention de Genève. S’il est vraisemblable que l’homosexualité soit mal vue en Iran, je constate que vous n’aviez encore fait l’objet d’aucune poursuite dans votre pays. Que vous risquiez d’être reconnu et que vous risquiez une condamnation reste à l’état de pure conjecture. Vous avez, certes, dit qu’il serait difficile pour vos parents de s’installer avec vous dans une autre région à cause de la profession de votre père, mais je remarque que vous, personnellement, vous n’avez jamais travaillé et que vous n’êtes pas tenu, professionnellement, de rester dans une ville déterminée. Il ne résulte pas de votre dossier que vous n’auriez pu vous installer ailleurs qu’à Bandare Anzali, et commencer à travailler, en vivant plus discrètement votre homosexualité.

Je dois donc constater que vos assertions font davantage état d’un sentiment général d’insécurité, commun aux minorités, ce qui ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En conséquence, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 12 juillet 2004, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Suivant décision du 15 juillet 2004, notifiée par lettre recommandée expédiée le 20 juillet 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Le 17 août 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles prévisées des 7 juin et 15 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur expose qu’il serait de nationalité iranienne et qu’il aurait été emprisonné en Iran pendant deux ans à la section des mineurs à cause de son homosexualité, qu’il aurait bénéficié d’une liberté conditionnelle en raison de sa minorité et en échange d’un engagement financier de ses parents, ainsi que d’un engagement de sa part de ne plus « pratiquer ses comportements anti-islamiques ». Il fait valoir plus particulièrement qu’il aurait pris la fuite à la suite de l’arrestation de son ami HAMID par la brigade des mœurs iranienne en possession d’une vidéocassette, sur laquelle on reconnaîtrait le demandeur ayant des rapports intimes avec le dénommé HAMID. Il soutient, en se référant notamment à un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), que sa crainte d’être persécuté à cause de ses orientations sexuelles en Iran, pays appliquant la loi de la Charia, laquelle condamnerait les actes homosexuels, serait bien réelle, au motif que l’homosexualité y serait susceptible de poursuites pénales et qu’elle serait même punie de la peine de mort.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir suffisamment instruit le dossier, d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre de la Justice a fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours. Se référant au rapport « Iran Country Report April 2004 du Home Office britannique », il soutient que, même si l’homosexualité était interdite en Iran, elle ne serait pas poursuivie par les autorités iraniennes, tant qu’elle se déroulerait « à huis clos » et que l’intéressé ne se livrerait ni à la prostitution ni au prosélytisme, et que les personnes effectivement poursuivies ne le seraient pas exclusivement pour des actes homosexuels, mais que l’inculpation d’homosexualité viendrait s’ajouter à d’autres chefs d’inculpation.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié (cf. Cour adm. 28 novembre 2001, n° 10482C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 43).

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions, telles que celles-

ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur fait état et établit à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur a fourni des déclarations cohérentes et crédibles dont il ressort qu’à l’âge de quinze ans, il a été condamné par les autorités iraniennes à cause de son homosexualité et emprisonné durant deux ans, que durant sa détention, il a été victime de mauvais traitements et qu’après sa libération, il a continué à faire l’objet de harcèlements et arrestations arbitraires de la part de la brigade des mœurs iranienne et que s’il est renvoyé en Iran, il risque d’être poursuivi et condamné à mort comme son ami HAMID qui aurait entre-temps été torturé et condamné à mort par les autorités iraniennes.

En ce qui concerne la situation des droits de l’homme en Iran, il est constant en cause et non contesté sous ce rapport, que l’homosexualité entre hommes est susceptible de poursuites pénales et qu’elle est punie de la peine de mort selon le code pénal iranien, des peines moins graves étant uniquement prévues pour les mineurs, certaines pratiques sexuelles et pour le cas où toutes les preuves nécessaires à la peine capitale n’ont pas pu être rapportées.

Même s’il n’est pas établi que les autorités iraniennes pratiquent une politique systématique de poursuites contre les homosexuels, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, pour ce qui est de l’orientation sexuelle du demandeur, laquelle n’est pas contestée sous ce rapport par le représentant étatique, le demandeur était déjà connu des autorités iraniennes pour son homosexualité, étant donné qu’il a déjà été condamné en tant que mineur pour des actes homosexuels. S’y ajoute que le demandeur n’a pas eu des relations homosexuelles en privé, mais que ses rapports ont été filmés, que les vidéocassettes sont tombées entre les mains des autorités et que son partenaire a été arrêté et condamné à mort. Il s’ensuit que le demandeur risque de subir concrètement le même sort en cas de retour dans son pays d’origine.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le demandeur peut craindre avec raison d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de son homosexualité et qu’il remplit partant les conditions posées par l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié.

Il s’ensuit que les décisions ministérielles de rejet de sa demande d’asile sont à réformer en ce sens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare justifié, partant, par réformation de la décision ministérielle du 7 juin 2004 et de la décision ministérielle confirmative du 15 juillet 2004, accorde le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève à Monsieur …, renvoie le dossier devant le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration en prosécution de cause, condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 22 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18564
Date de la décision : 22/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-22;18564 ?

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