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20/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18908

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 décembre 2004, 18908


1 Tribunal administratif N° 18908 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2004 Audience publique du 20 décembre 2004 Recours formé par les époux … et … ainsi que par leurs enfants…, … et …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18908 du rôle et déposée le 25 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, ainsi...

1 Tribunal administratif N° 18908 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 novembre 2004 Audience publique du 20 décembre 2004 Recours formé par les époux … et … ainsi que par leurs enfants…, … et …, … contre une décision du ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18908 du rôle et déposée le 25 novembre 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … et de son épouse Madame …, ainsi que de leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 6 septembre 2004, confirmée le 10 novembre 2004 sur recours gracieux, déclarant irrecevable leur demande en obtention du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2004 par Maître Edmond DAUPHIN pour compte des consorts … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Entendu le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Mourad SEBKI, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 décembre 2004.

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Par jugement du tribunal administratif du 4 décembre 2002, la demande d'asile introduite par Monsieur … et son épouse Madame …, ainsi que par leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, ci-après dénommés les consorts …, fut rejetée.

Le 4 mars 2004, les consorts … firent déposer auprès du ministère de la Justice, par l'intermédiaire de leur avocat, une itérative demande en obtention du statut, se prévalant de ce qu'il découlerait d'une nouvelle pièce, à savoir d'un justificatif délivré par le président du tribunal serbe de Mitrovica à l'avocat des demandeurs au Kosovo, que la police serbe serait toujours « à la recherche de Monsieur … pour le conduire en prison pour une période de 1 à 2 5 ans », ce qui conforterait les informations livrées aux autorités dans le cadre de la première demande en obtention du statut de réfugiés.

Par décision du 6 septembre 2004, le ministre des Affaires étrangères et de l'Immigration releva qu'il résultait des renseignements en sa possession ainsi que d'une enquête menée sur les lieux auprès de leur avocat sur place, que l'authenticité de la nouvelle pièce introduite par les demandeurs était « loin d'être établie. » Il estima pour le surplus qu'étant donné que la province du Kosovo est actuellement sous administration des Nations Unies, il serait hautement improbable que Monsieur … soit forcé de répondre devant les juridictions actuelles d'allégations de désobéissance à des mesures prises par les autorités serbes pendant le conflit. – Il déclara partant la demande irrecevable la nouvelle demande d'asile sur base de l'article 15 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d'une procédure relative à l'examen d'une demande d'asile; 2) d'un régime de protection temporaire. – Un recours gracieux, introduit le 8 octobre 2004, fut rejeté par décision ministérielle du 10 novembre 2004.

Par requête déposée le 25 novembre 2004, inscrite sous le numéro 18908 du rôle, les consorts … ont introduit un recours en annulation à l'encontre de ces deux décisions ministérielles, et par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 18907 du rôle, ils ont introduit un recours tendant à ordonner le sursis à exécution sinon toute autre mesure de sauvegarde par rapport aux décisions attaquées.

Suivant ordonnance du 1er décembre 2004, le président du tribunal administratif a reçu la demande tendant à voir ordonner le sursis à exécution sinon toutes autres mesures de sauvegarde en la forme, mais au fond, l’a déclarée non justifiée et en a débouté.

A l'appui de leur recours en annulation, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir pris position par rapport à l’attestation complémentaire versée à l’appui de leur recours gracieux du 8 octobre 2004 et émanant de l’avocat qui leur avait procuré la nouvelle pièce remise à l’appui de leur seconde demande d’asile du 4 mars 2004 et que le ministre avait considéré, dans le cadre de sa décision de refus du 6 septembre 2004, comme non authentique. Or, cette attestation complémentaire confirmerait pourtant l’authenticité de la première pièce. Ils reprochent en outre au ministre de ne pas avoir pris position par rapport au rapport de l’UNHCR du mois d’août 2004 qui, dans son paragraphe 20, relèverait que si la plupart des Albanais du Kosovo peuvent retourner sans trop de problèmes, tel ne serait pas le cas de ceux qui sont perçus comme ayant été associés au régime serbe, ces dernières personnes étant susceptibles de faire face à de sérieux problèmes incluant des atteintes à leur intégrité physique. Dans la mesure où tel serait manifestement leur cas, ils estiment dès lors remplir les conditions d’octroi du statut de réfugié.

Le délégué du Gouvernement expose que les consorts … ont séjourné en Suisse entre 1995 et 2000 et qu'une première demande d'asile a été définitivement rejetée au motif que leur récit quant aux prétendues persécutions dont ils auraient fait l'objet n'était pas crédible, étant donné qu'ils ne se trouvaient pas en Yougoslavie à l'époque des faits invoqués. Il fait remarquer qu'ainsi que l'a souligné le tribunal, la situation actuelle au Kosovo a évolué, l'armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes étant parties et une force armée internationale, agissant sous l'égide des Nations Unies, s'y étant installée. Il estime que la nouvelle pièce, dont l'authenticité est contestée, ne constituerait pas un élément nouveau permettant d'ouvrir une nouvelle procédure d'asile. Au contraire, aucune menace sérieuse et actuelle n'existerait à l'égard des consorts …, ni de la part des autorités albanaises 3 du Kosovo, les demandeurs étant eux-mêmes des Albanais, ni de des autorités serbes qui n'y exercent plus de pouvoir effectif.

Conformément aux dispositions combinées des articles 15 (2) et 10 (3) de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, seul un recours en annulation a pu être utilement introduit à l’encontre de la décision litigieuse. Le recours en annulation ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Conformément aux dispositions de l’article 15 (1) de la même loi de 1996, « le ministre (des Affaires étrangères et de l’Immigration) considérera comme irrecevable la nouvelle demande d’une personne à laquelle le statut de réfugié a été définitivement refusé, à moins que cette personne ne fournisse de nouveaux élément d’après lesquels il existe, en ce qui la concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève. Ces nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après une décision négative prise au titre des articles 10 et 11 qui précèdent. » Il se dégage clairement du libellé de la disposition légale prérelatée que la possibilité de pouvoir déposer une nouvelle demande d’asile après un refus définitif est strictement limitée à l’hypothèse de la survenance de faits ou de situations postérieures à la décision négative initiale devenue définitive. Cette possibilité ne s’analyse partant pas en une itérative voie de recours permettant le réexamen d’une même situation déjà définitivement toisée, mais constitue une mesure d’exception, à entrevoir strictement par rapport au cas d’ouverture énoncé par la loi.

A l’appui de leur nouvelle demande introduite en date du 23 mars 2004, les demandeurs font état en substance d’un risque actuel dans le chef de Monsieur … d’encourir une peine d’emprisonnement du fait de ne pas avoir voulu, lors du conflit au Kosovo, collaborer avec les Serbes. L’élément nouveau mis en avant pour établir la réalité actuelle de cette crainte est une pièce délivrée par le « tribunal municipal de Mitrovica (Nord) » faisant état d’une instruction à charge de Monsieur … dans le cadre d’une infraction au paragraphe 256, article 2 du code pénal de la République Serbe qui serait en rapport avec la résistance ou désobéissance par rapport à des décisions et mesures émanant d’organes gouvernementaux.

Il est constant au vu des pièces versées au dossier que cette pièce fut soumise aux fins de vérification de son authenticité au bureau du Grand-Duché de Luxembourg à Pristina qui, suivant avis du 13 juillet 2004, fait état d’un certain scepticisme quant à l’authenticité du document concerné sans pour autant être formel à cet égard, mais qui a relevé en outre ce qui suit :

« Quant au fond du document, vous trouverez ci-joint la traduction de celui-ci.

Comme vous pourrez le constater, les investigations du « tribunal municipal de Mitrovica (Nord) » à l’encontre de Monsieur … portent sur la résistance et désobéissance à des décisions et mesures prises par les autorités serbes. Ces investigations remontent à janvier 1999.

Etant donné qu’actuellement la province du Kosovo est sous administration des Nations Unies, en cas de retour de Monsieur …, d’origine albanaise, au Kosovo, il me semble peu probable que celui-ci doive répondre devant les juridictions actuellement sous contrôle 4 de la MINUK, des allégations de résistance et désobéissance à des décisions et mesures prises par des autorités serbes durant la période de conflit. » Dans le même avis il est précisé que le « tribunal municipal de Mitrovica (Nord) » est une juridiction dépendante des autorités serbes, considérées actuellement comme structure parallèle, étant donné que la MINUK a la responsabilité de l’administration de toute la province du Kosovo (Nord et Sud).

A l’appui de son recours gracieux, le demandeur a soumis une nouvelle pièce au ministre, en l’occurrence une attestation complémentaire émanant de l’avocat de Monsieur … qui s’était procuré la pièce ci-avant visée émanant du « tribunal municipal de Mitrovica (Nord) ». Il y précise que c’est suite à son intervention orale auprès la juge du tribunal parallèle communal de Mitrovica qu’il a pu se procurer le certificat en question. Il y explique pour le surplus qu’après le retrait de l’armée et de la police serbes et yougoslaves du Kosovo à la fin de la guerre en mars 1999, le tribunal communal serbe à Mitrovica aurait transféré tous ses dossiers et fonctionnerait depuis lors parallèlement à Novi Pazar où se trouveraient ses bureaux, ceci en dépit du fait de l’installation d’une administration civile sous contrôle international au Kosovo. Il insiste en outre sur le caractère dangereux à l’heure actuelle d’une déclaration de ce type.

Force est de constater que la décision ministérielle litigieuse repose non pas sur l’unique considération que l’authenticité de la pièce nouvelle invoquée par les demandeurs laisse d’être établie à suffisance, mais également sur le fait que cette pièce, au-delà des doutes émis quant à son authenticité, ne pourrait pas constituer un élément nouveau au sens de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée pour ne pas entraîner de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Au vu notamment des explications fournies au dossier par l’agent du bureau luxembourgeois à Pristina, ci-avant citées en ce qui concerne le fond du document, force est de constater que même à admettre l’authenticité de la pièce remise à l’appui de la nouvelle demande d’asile, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, lequel doit être considéré non pas par rapport à un endroit géographique délimité tel la seule ville de Mitrovica mais dans son ensemble, Monsieur … serait effectivement exposé au risque de devoir répondre devant les juridictions actuellement sous contrôle de la MINUK, voire de celle alléguée comme fonctionnant en tant que structure parallèle à Novi Pazar. En effet, ni la pièce versée au dossier, ni les explications fournies ultérieurement permettent d’éclaircir les raisons précises qui amènent les demandeurs à conclure à l’existence d’un risque de ce type.

Les développements effectués tant à l’appui de leur recours gracieux que dans le cadre du recours contentieux sous examen ont pour le surplus trait à la situation générale dans le pays d’origine des demandeurs sans pour autant relever un quelconque élément nouveau, dans le sens d’une aggravation, par rapport à la situation générale ayant prévalu à l’époque de leur demande initiale, qui s’est soldée par une décision de refus entre-temps coulée en force de chose jugée.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu recourir en l’espèce aux dispositions de l’article 15 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée.

5 Le recours en annulation laisse partant d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais ;

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef s. Schmit s. Lenert Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20.12.2004 Le Greffier en chef du Tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18908
Date de la décision : 20/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-20;18908 ?

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