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16/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18593

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2004, 18593


Tribunal administratif N° 18593 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18593 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mbano (Nigeria), de nati

onalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministr...

Tribunal administratif N° 18593 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18593 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2004 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Mbano (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 mai 2004, rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 22 juillet 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

Le 11 décembre 2003, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 5 avril 2004, il fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 12 mai 2004, envoyée par courrier recommandé le 18 mai 2004, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été refusée aux motifs libellés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 11 décembre 2003 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice du 5 avril 2004.

Il ressort du rapport de la Police Judiciaire que vous auriez rencontré une personne au Nigeria qui vous aurait donné quelque chose, grâce à laquelle vous vous seriez soudainement trouvé au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté le Nigeria parce que, tous les cinq ans, il serait procédé à une sacrifice humain à Isiala Mbano/Imo State. Le chef prêtre aurait consulté l’oracle pour voir désigner la personne devant servir au sacrifice.

Le 5 novembre 2003, le chef prêtre se serait déplacé au marché pour annoncer publiquement que vous auriez été désigné par l’oracle pour être sacrifié le 1er décembre.

Vous auriez fui votre ville natale le 7 novembre 2003 pour passer une journée dans la brousse avant de vous rendre en bus jusqu’à Aba, où vous auriez séjourné jusqu’au 26 novembre 2003 chez une personne que vous connaissiez. En compagnie de cette dernière, vous auriez embarqué à bord d’un avion à Lagos. Vous ignorez le nom de la compagnie aérienne empruntée ainsi que le lieu d’atterrissage. Au lieu d’arrivée, des gens noirs dans la rue auraient collecté de l’argent pour vous permettre de prendre un train. Vous auriez payé la somme de 25.- EUR pour le ticket de train à destination du Luxembourg.

Vous n’auriez pas cherché une protection au Nigeria pour la simple raison que si le chef prêtre vous retrouvait, un autre membre de votre famille devrait, conformément à la tradition, également servir au sacrifice. Vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police sous prétexte que la police ne pourrait de toute manière rien entreprendre contre cette tradition.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins être en mesure de présenter un récit crédible et cohérent. Or, plusieurs contradictions entachent la véracité de votre récit. Ainsi, devant le Service de Police Judiciaire, vous déclarez avoir passé deux semaines dans la brousse, alors que lors de l’audition par l’agent du Ministère de la Justice, vous affirmez n’y avoir passé qu’une seule journée. Questionné sur le trajet emprunté, vous avez affirmé devant le Service de Police Judiciaire que vous auriez avalé quelque chose et vous seriez retrouvé au Luxembourg, alors que lors de votre audition, vous déclarez avoir pris un avion, puis un train pour venir au Luxembourg.

De toute façon, même à supposer les faits que vous alléguez établis, ils ne sauraient, en eux-mêmes, constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’ils ne peuvent, à eux seuls, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève.

Il ressort du rapport d’audition que vous n’avez subi aucune persécution. A cela s’ajoute que le chef prêtre ne saurait constituer un agent de persécutions. Aussi et surtout, force est de constater que des craintes de persécutions commises par des groupes ou des personnes qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement ne peuvent être invoquées à l’appui d’une demande en obtention du statut de réfugié que si les autorités gouvernementales soutiennent ces groupes ou personnes, les tolèrent ou n’assurent pas une protection adéquate des victimes et si les victimes sont visées pour une des causes énumérées à la Convention de Genève. En ne requérant point la protection des autorités de votre pays, il n’est pas démontré que celles-ci seraient dans l’incapacité de vous protéger ou bien qu’elles encourageraient vos prétendus ennemis.

Enfin, à la question de savoir pour quelle raison vous ne vous êtes pas rendu dans une autre région de votre pays, vous répondez que si le chef prêtre vous avait retrouvé, un membre de votre famille aurait également du être sacrifié. Une telle raison n’est certes pas suffisantes pour justifier votre impossibilité de bénéficier d’une fuite interne.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 24 juin 2004, Monsieur … formula, par le biais de son mandataire, un recours gracieux auprès du ministre de la Justice à l’encontre de cette décision ministérielle.

Par décision du 22 juillet 2004, notifiée par lettre recommandée envoyée le 23 juillet 2004, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale, « à défaut d’éléments pertinents nouveaux ».

Par requête déposée le 24 août 2004, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 12 mai et 22 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, Monsieur … fait exposer qu’il serait originaire du village de Mbano au Nigeria et de religion chrétienne et qu’il aurait dû quitter son pays d’origine, au motif que sa vie y aurait été en danger. Il fait valoir qu’il aurait été choisi par « l’oracle » pour être sacrifié conformément à un rite traditionnel qui serait pratiqué tous les cinq ans dans son village. Il soutient qu’une fuite interne n’aurait pas été possible, au motif que s’il était retrouvé, lui ainsi qu’un autre membre de sa famille risqueraient d’être sacrifiés, et que les autorités nigérianes ne feraient rien pour protéger les victimes de telles pratiques.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d'asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations faites.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, même abstraction faite des incohérences et invraisemblances contenues dans le récit du demandeur concernant son trajet, telles que relevées par le ministre de la Justice, force est de constater que le demandeur invoque essentiellement sa crainte d’être sacrifié par le chef prêtre de son village selon un rite traditionnel. Or, les faits allégués par le demandeur, même à les supposer établis, n’émanent pas de l’Etat, mais de personnes privées et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du statut de réfugié que si les personnes en cause ne bénéficient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s). Or, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant donné qu’il ne s’est même pas adressé aux autorités en place pour obtenir une protection, face à la prétendue menace pesant sur lui et due aux agissements du chef prêtre de son village d’origine.

Pour le surplus, les risques allégués par le demandeur se limitent essentiellement à sa région d’origine et il reste en défaut d’établir à suffisance de droit qu’il ne peut pas trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie du Nigeria, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité d’un demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir des raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, V° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il résulte de tous les développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18593
Date de la décision : 16/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-16;18593 ?

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