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16/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18587

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2004, 18587


Tribunal administratif N° 18587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18587 du rôle, déposée le 23 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tabarghanak (Afghanistan), de...

Tribunal administratif N° 18587 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18587 du rôle, déposée le 23 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Tabarghanak (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mai 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 22 juillet 2004 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Par courrier de son mandataire du 18 février 2004, Monsieur …, retenu au Centre de séjour pour personnes en situation irrégulière à Schrassig, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du 4 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 21 mai 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 25 mai 2004, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport de la Police des Etrangers du 12 janvier 2004, le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 janvier 2004 et le rapport d’audition de l’agent du Ministère de la Justice daté du 4 mai 2004.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté l’Afghanistan il y a un an pour aller vivre en Iran, où vous aviez déjà séjourné et travaillé en 2002 avant d’être rapatrié dans votre pays. Comme vous craigniez d’être rapatrié une nouvelle fois, vous auriez décidé de venir en Europe. Vous seriez d’abord allé en Turquie où vous auriez travaillé pendant un mois et demi pour financer la suite de votre voyage. De là, vous seriez allé en Grèce avec un petit bateau. Vous auriez pris ensuite place dans un camion qui vous aurait mené en Italie.

D’Italie vous auriez tenté à deux reprises de passer en France et après avoir réussi la seconde fois, vous seriez venu au Luxembourg. Vous ajoutez que, théoriquement, vous auriez dû aller du Luxembourg en Norvège.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg le 18 février 2004 alors que vous vous trouviez au Centre pour Personnes en Situation Irrégulière.

Vous exposez que vous étiez berger en Afghanistan. Votre père aurait été spolié par le dirigeant du parti Vahdat de votre région, un certain Hassan DJAVADI. A l’arrivée des Talibans, votre père aurait porté plainte et, grâce aux Talibans, il serait rentré en possession de ses terres. Par la suite, à la chute des Talibans, DJAVADI aurait voulu se venger. Il aurait torturé votre père et violé votre mère et votre sœur. Vous ajoutez que DJAVADI est toujours au pouvoir dans cette région d’Afghanistan et qu’il continue à persécuter vos parents car il voudrait que votre père lui vende ses terres. Vous précisez que les terres en question ont été mises à votre nom et que votre père est dans l’impossibilité de les vendre. Vous dites que, si vous rentrez dans votre village, DJAVADI vous forcera à signer l’acte de vente ou vous tuera.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 4 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsque le demandeur d’asile, invoquant des persécutions qui sont limitées à une zone géographique déterminée, aurait pu trouver une protection efficace dans une autre partie de son propre pays, qui lui était accessible ».

Je constate d’abord que les problèmes de votre famille avec (…) [DJAVADI], qui sont essentiellement des problèmes d’ordre privé, sont limités à la région dans laquelle vous habitez. Vous n’apportez aucune preuve que vous seriez persécuté en vous installant dans une grande ville, comme par exemple à Kaboul. En effet, s’il est vrai que la situation est encore confuse en Afghanistan, surtout dans les petits villages, la situation des grandes villes, comme Kaboul est stabilisée actuellement. Le UNHCR y est très présent et œuvre à la réinstallation des Afghans qui avaient quitté leur pays. De plus, le Président Hamdi KARZAI a promulgué le 4 janvier 2004 la nouvelle Constitution qui vient d’être votée par la Loya Jirga. Celle-ci instaure un régime présidentiel et un parlement bicaméral.

Ceci mis à part, je constate qu’il résulte pas de votre dossier que vous n’auriez pas pu rester en Iran où vous aviez même trouvé du travail. De plus, après la Turquie, vous êtes allé en Grèce, en Italie, et puis en France, trois pays où vous auriez pu sans difficulté demander l’asile si vous aviez vraiment été persécuté.

Une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

Il résulte de ce qui précède que votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 25 juin 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du même ministre du 22 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 21 mai et 22 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur déclarant être originaire de l’Afghanistan, reproche au ministre une appréciation erronée des faits et de ne pas en avoir tiré les conséquences qui se seraient imposées. Il fait valoir qu’il aurait quitté son pays d’origine par crainte de persécutions de la part des membres du parti « VAHDAT » qui auraient repris le pouvoir dans sa région après la chute des Talibans. Il expose plus particulièrement que des membres locaux de ce parti auraient confisqué des terres appartenant à son père, qu’ils l’auraient torturé et qu’un membre de ce même parti aurait violé sa mère et sa sœur. Il soutient que sa vie serait menacée en cas de retour en Afghanistan, au motif que son père aurait mis les terres à son nom et que les membres du parti VAHDAT le forceraient sous la menace à les leur céder à un prix dérisoire. Il affirme encore que la situation actuelle en Afghanistan ne lui garantirait pas une protection adéquate, au motif que le parti VAHDAT ferait partie du pouvoir central en place.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2004, v° Recours en réformation, n° 12).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 4 mai 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur invoque essentiellement une querelle de droit privé concernant des terres, qui opposerait sa famille à un dénommé Hassan DJAVADI, membre du parti VAHDAT, parti au pouvoir dans sa région, et qui avant l’arrivée des Talibans aurait volé des terres au père du demandeur pour ensuite être contraint de les rendre sous le régime des Talibans. Après la chute des Talibans, ladite personne revendiquerait à nouveau ces terres que le père du demandeur aurait entre-temps mises au nom du demandeur, de sorte que celui-ci risquerait d’être forcé à les lui transférer en cas de retour en Afghanistan.

Or, même en admettant la réalité des faits tels qu’exposés par le demandeur, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les problèmes du demandeur avec la famille DJAVADI sont essentiellement d’ordre privé et ne sauraient partant justifier l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

D’autre part, s’il est vrai que la situation générale en Afghanistan reste certes difficile et même à admettre qu’une protection du demandeur contre les agissements des membres de la famille DJAVADI ne soit pas assurée dans sa région d’origine, il n’en demeure pas moins que la situation est stabilisée dans les grandes villes et que le demandeur, restant en défaut de prouver que le défaut de protection s’étendrait sur tout le territoire afghan, n’avance pas des raisons suffisantes qui l’empêcheraient de s’installer dans une région de son pays d’origine sous contrôle des autorités officielles afghanes, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité du demandeur d’asile sans restriction territoriale et que le défaut d’établir les raisons suffisantes pour lesquelles un demandeur d’asile ne serait pas en mesure de s’installer dans une autre région de son pays d’origine et de profiter ainsi d’une possibilité de fuite interne doit être pris en compte pour refuser la reconnaissance du statut de réfugié (cf. trib. adm. 10 janvier 2001, n° 12240 du rôle, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 48 et autres références y citées).

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays d’origine, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18587
Date de la décision : 16/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-16;18587 ?

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