La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18568

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2004, 18568


Tribunal administratif N° 18568 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18568 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom

de M. …, né le 2 juin 1972 à Abidjan (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement ...

Tribunal administratif N° 18568 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004

===============================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18568 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 août 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le 2 juin 1972 à Abidjan (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 25 mai 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 7 avril 2004, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, M. … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu le 4 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 25 mai 2004 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 avril 2004 et le rapport d’audition de l’agent du ministère de la Justice du 4 mai 2004. Vous ne présentez aucune pièce d’identité.

Il résulte de vos déclarations que vous avez essentiellement quitté la Côte d’Ivoire parce que vous n’y auriez pas de travail depuis un an et que vous n’y gagneriez rien. Vous déclarez également que vous auriez été arrêté et frappé à plusieurs reprises par des militaires lors de contrôles d’identité. Vous ne dites pas savoir pour quelles raisons, plus tard vous ajoutez que tout cela serait lié à votre ethnie. Selon vos dires les dioulas seraient considérés comme étrangers et frappés sans raison.

En janvier 2004 vous auriez quitté la Côte d’Ivoire pour aller en Guinée où vous seriez resté pendant 3 mois. Vous auriez ensuite pris un bateau de Conakry en direction du Portugal où vous seriez resté 10 jours. Par la suite, vous auriez pris un train pour le Luxembourg, train qui serait passé par Paris. Vous avez déposé votre demande d’asile le 7 avril 2004.

Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique ou d’un groupe rebelle.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il y a tout d’abord lieu de relever que lors de l’audition du 4 mai 2004, vous pensez être né en 1974, alors que lors du dépôt de votre demande d’asile vous avez rempli sur la fiche personnelle être né le 2 juin 1972. Vous ajoutez ne pas avoir « retenu tout » et avoir des problèmes quant à la mémorisation des dates. Vous dites également qu’une personne aurait rempli la fiche personnelle pour vous lors du dépôt de votre demande d’asile et de seulement « voir si la date est correcte si vous la voyez ». De telles déclarations jettent des doutes quant au fait que vous ayez donné votre réelle identité au Ministère de la justice, d’autant plus que vous ne présentez pas de pièce d’identité et que vous admettez avoir délibérément détruit votre passeport pour éviter que vous ne soyez renvoyé dans votre pays d’origine. Dans ce contexte rappelons que l’article 6 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée, dispose « qu’une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle repose clairement sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Tel sera le cas notamment lorsque le demandeur a détruit, endommagé ou fait disparaître de mauvaise foi un passeport ou tout autre document ou billet pouvant servir à l’examen de sa demande, dans le but d’établir une fausse identité pour les besoins de sa demande d’asile ou d’en compliquer l’examen ». Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

A défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Force est cependant de constater que des contradictions et invraisemblances dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et au motif de fuite invoqué. Tout d’abord, le 7 avril 2004, auprès de la police judiciaire, vous dites avoir quitté Conakry en janvier 2004, lors de l’audition du 4 mai 2004, vous dites pourtant être allé en Guinée en janvier 2004 et y avoir passé 3 mois. Vous dites ne pas savoir combien de temps vous auriez voyagé en bateau et vous ne connaissez pas la ville dans laquelle vous auriez accosté, alors que vous dites avoir su être [au] (…) Portugal quand vous auriez acheté votre billet de train pour venir au Luxembourg. Il est ainsi peu probable que vous ne sachiez pas dans quelle ville vous auriez été au Portugal, d’autant plus que vous dites y être resté pendant 10 jours.

Vous déclarez avoir principalement quitté la Côte d’Ivoire parce que vous y seriez sans travail. Vous seriez venu en Europe pour travailler. Or, des raisons économiques et le désir de vouloir travailler en Europe ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié politique car ils ne rentrent pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Même à supposer le fait que vous auriez été arrêté et frappé à plusieurs reprises par de militaires lors de contrôles d’identité parce que vous seriez dioula, comme établi, il ne saurait, en lui seul constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et suffire pour fonder une crainte justifiée d’être persécuté dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève. En effet, la seule appartenance à l’ethnie dioula ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, d’autant plus que vous ne faites pas état de persécutions ciblées à votre personne.

Vous n’avez à aucun moment apporté un élément de preuve permettant d’établir des raisons pour lesquelles vous n’auriez pas pu vous installer au Mali, pays tiers sûr où vous avez de la famille, notamment votre mère, votre femme et vos enfants et où vous dites passer une semaine par an. Vous ne donnez également pas de raisons pour lesquelles vous n’auriez pas pu rester en Guinée où vous avez séjourné et travaillé pendant 3 mois. Enfin, le même raisonnement doit être fait pour le Portugal, où vous auriez pu demander le statut de réfugié politique.

En ce qui concerne la situation en Côte d’Ivoire, soulignons qu’un accord de paix a été conclu sous les auspices de la France le 24 janvier 2003 entre tous les protagonistes de la guerre civile. Cet accord prévoit entre autre la création d’un gouvernement de transition sous la présidence de Seydou Elimane Diarra ainsi que le désarmement et la démobilisation des groupes armés. Le recrutement militaire a ainsi été stoppé aussi bien du côté gouvernemental que rebelle en juin 2003. Des élections présidentielles ont été prévues pour octobre 2005. Un cessez-le-feu a été signé entre les forces armées et groupes rebelles en mai 2003 et une loi d’amnistie a été adoptée en juillet 2003 permettant la libération de plusieurs détenus arrêtés pendant la guerre civile. Enfin, notons la création par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de l’ONUCI, « l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire », soutenue par les forces françaises et dont la composante militaire contient plus de 6000 soldats, 200 observateurs militaires, 120 officiers d’état-major, 350 membres de la police civile ainsi qu’un effectif civil, judiciaire et pénitentiaire approprié. Dotée d’un mandat de douze mois avec effet le 4 avril 2004, cette mission de maintien de la paix a été créée pour assurer la protection des civils en Côte d’Ivoire et pour appuyer le processus de paix ivoirien.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Un recours gracieux formé par courrier de son mandataire en date du 18 juin 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 15 juillet 2004, l’intéressé a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 25 mai 2004 par requête déposée le 17 août 2004.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur reproche en substance au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation et une mauvaise application de la loi en refusant sa demande d’asile. Il soutient remplir les conditions pour être admis au statut de réfugié, au motif qu’il aurait subi des persécutions par des militaires et ceci en raison de son appartenance à l’ethnie des « dioulas » (les ivoiriens d’origine malienne). Le demandeur ajoute encore que depuis longtemps, son pays serait la proie de sentiments xénophobes et que même à l’heure actuelle, sa sécurité ne serait pas garantie en cas de retour dans son pays d’origine.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, une crainte de persécution doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions et force est de constater que l’existence de pareils éléments ne se dégage pas des éléments d’appréciation soumis au tribunal.

Ainsi, d’une part, le seul motif de persécution quelque peu concret invoqué – en des termes essentiellement vagues et peu circonstanciés - par le demandeur a trait à de prétendues maltraitances qu’il aurait dû subir à l’occasion de contrôles d’identité effectués par des militaires et ceci en raison son appartenance à l’ethnie des « dioulas ».

Or, de tels faits, même à les supposer vrais, constituent certainement des pratiques condamnables, mais n’apparaissent pas avoir été d’une gravité telle qu’elles aient rendu la vie du demandeur intolérable dans son pays d’origine. S’y ajoute qu’il n’est pas établi à suffisance que les nouvelles autorités chargées d’assurer la sécurité publique en Côte d’Ivoire ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé que la notion de protection des habitants d’un pays contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission matérielle d’un acte criminel et qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers uniquement en cas de défaut de protection dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

D’autre part, les motifs véritables qui ont conduit le demandeur à quitter son pays et pour lesquelles il ne veut pas y retourner apparaissent résider dans des considérations d’ordre matériel et économique, dès lors qu’il a clairement déclaré lors de son audition qu’il est venu au Luxembourg pour chercher du travail et ne pas vouloir retourner en Côte d’Ivoire parce qu’« il n’y a rien là-bas, pas de travail, comment tu veux manger » (pages 11 et 12 du rapport d’audition). Or, pareilles motivations, aussi compréhensibles qu’elles puissent être, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Schroeder, premier juge, Mme Gillardin, juge et lu à l’audience publique du 16 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18568
Date de la décision : 16/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-16;18568 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award