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16/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18561

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2004, 18561


Numéro 18561 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18561 du rôle, déposée le 17 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de lâ€

™Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Khemishte, de nationalité mar...

Numéro 18561 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 août 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 18561 du rôle, déposée le 17 août 2004 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel BAULISCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Khemishte, de nationalité marocaine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 mai 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2004;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG, en remplacement de Maître Daniel BAULISCH, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 décembre 2004.

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Le 24 février 2004, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en dates des 29 avril et 10 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 21 mai 2004, notifiée par courrier recommandé du 25 mai suivant, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays en février 2004 pour aller en Espagne, en France, et puis au Luxembourg.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié au Luxembourg le 24 février 2004.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire mais que cela ne vous a causé aucun problème.

Vous auriez été membre du Mouvement National Populaire, mais cela ne vous aurait pas posé de problème non plus.

Vous expliquez que vous seriez parti travailler en Libye de 1999 à 2000. Vous auriez fait la connaissance d’une femme, Hafida, dont le mari, un certain Rostom vous aurait proposé de travailler pour lui et ses amis dans le Sahara. Vous vous seriez rendu au rendez-vous, on vous aurait présenté à Brik MANKOUCH SALAH. Après une semaine d’attente, on vous aurait promis monts et merveilles à condition que vous appreniez le maniement des armes. Vous précisez que les gens de ce groupe ne travaillaient que la nuit. Vous auriez trouvé cela louche et vous auriez décliné la proposition de travailler pour eux. Les amis de Rostom vous auraient pris votre passeport mais vous auriez été libre de vos mouvements. Vous seriez rentré chez vous mais peu de temps après Rostom et Hafida auraient emménagé dans la même ville pour « ne plus avoir des histoires avec Brik ». Par la suite, vous auriez trouvé un travail dans la cafétéria d’une université à Jdabi. Trois jours après, des militaires seraient venus vous chercher pour vous poser des questions au sujet des « gens qui travaillent la nuit ». Ils vous auraient menacé. Finalement, un certain Ahmed, dont vous précisez qu’il était très gentil, serait venu vous voir dans votre cellule et vous aurait demandé de travailler pour eux. Vous auriez également refusé. On vous aurait libéré et vous auriez quitté votre emploi à la cafétéria pour travailler dans une firme spécialisée dans le nettoyage des égouts. Peu de temps après, Rostom vous aurait rendu votre passeport et vous aurait annoncé son intention de déménager. Vous vous seriez offert de l’aider. A l’occasion du déménagement, vous auriez vu des photos de Rostom, de Brik et de leur groupe, photos dont vous vous seriez emparé. Après avoir encore travaillé sept mois en Libye, vous seriez reparti au Maroc. La première chose que vous auriez fait à votre retour, c’est d’amener ces photos à la police marocaine. Celle-ci vous aurait demandé de ne pas quitter le territoire national et vous aurait proposé de travailler pour elle, ce que vous auriez refusé. Vous auriez trouvé un emploi comme distributeur de journaux. Vous dites que vous vous sentiez surveillé. En effet, un inconnu qui lisait un journal vous aurait adressé la parole dans un café et vous aurait fait une remarque concernant le terrorisme international. Par la suite, votre employeur vous aurait changé de secteur de distribution, ce que vous auriez trouvé louche. Vous auriez donc décidé de quitter le Maroc et vous ajoutez que, après votre départ, la police serait passée à deux reprises chez vous et des Libyens seraient passé dans le café où vous étiez un client habituel. Vous ajoutez que vous connaissez personnellement des hommes d’affaires qui étaient en Libye, qui étaient en contact avec ceux « qui travaillaient la nuit » et qui sont en Europe maintenant.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Je relève de nombreuses invraisemblances dans votre récit. D’abord, il est normal en Libye de prendre le passeport d’une personne étrangère venant y travailler. Ce passeport est gardé par les autorités et est restitué à son propriétaire au moment où, son contrat de travail expiré, il quitte la Libye. Le fait que Brik ou Rostom ait confisqué votre passeport n’est donc pas crédible. Il est peu crédible aussi, alors que vous aviez attendu une semaine dans le Sahara et vu tous les membres du « groupe qui travaillait la nuit », qu’on vous ait laissé rentrer chez vous sans vous faire de difficulté après que vous ayez refusé de travailler pour ce groupe. Le passage de votre récit concerne les photos est encore moins vraisemblable. En admettant que personne ne se soit aperçu de leur disparition, que vous les ayez spontanément portées à la police marocaine, qui n’est pas concernée par les affaires intérieures de la Libye, ne tient pas debout.

Pour le surplus, je remarque que vous être rentrée au Maroc depuis 2000, soit environ quatre ans et que pendant ces quatre ans, vous n’avez subi ni persécution ni mauvais traitement. Le fait qu’un inconnu vous ait adressé la parole dans un café et que vous ayez été muté dans un autre secteur par votre employeur ne saurait prouver que l’on vous surveille.

Je constate donc que tout votre récit est incohérent et qu’on ne saurait y voir de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Vous n’alléguez en effet aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 18 juin 2004 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 19 juillet 2004, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision ministérielle initiale du 21 mai 2004 par requête déposée le 17 août 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, de nationalité marocaine et de religion musulmane, expose que de 1999 à 2000, il serait parti travailler en Libye, qu’un homme lui y aurait proposé de travailler pour lui et ses amis dans le Sahara, qu’il aurait cependant refusé ce travail par crainte d’être impliqué dans des histoires illégales ou criminelles au vu de l’exigence de devoir apprendre le maniement d’armes et de travailler exclusivement la nuit, qu’après avoir trouvé un autre emploi dans une cafétéria d’une université à Jdabi, des militaires seraient venus pour lui poser des questions quant aux hommes qui lui avaient proposé le travail prévisé et que ces militaires l’auraient même menacé et emprisonné. Suite à sa libération, il aurait encore travaillé sept mois en Libye auprès d’une firme spécialisée dans le nettoyage des égouts et serait ensuite retourné au Maroc où il aurait immédiatement remis à la police des photos des personnes dont il aurait fait la connaissance en Libye. Le demandeur soutient que depuis le dépôt de cette « plainte », il se serait senti surveillé, étant relevé que son employeur aurait changé son secteur géographique d’activité après les attentats de Casablanca, qu’une personne totalement étrangère lui aurait fait une remarque sur le terrorisme international dans un café et qu’après son départ vers le Luxembourg la police serait passée à deux reprises à son domicile.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2003, v° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions des 29 avril et 10 mai 2004, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le demandeur a avancé comme seuls éléments concrets de persécution dans son pays d’origine un sentiment d’être surveillé par les autorités et quelques faits disparates qu’il interprète comme indices en ce sens. Or, même à les supposer établis, ces faits ne dénotent pas une attitude répréhensible des autorités marocaines qui serait fondée sur un des motifs visés par la Convention de Genève et ne sont pas d’une gravité suffisante pour rendre la vie intolérable au demandeur dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. CAMPILL, vice-président, M. SCHROEDER, premier juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2004 par le vice-président en présence de M. LEGILLE, greffier.

LEGILLE CAMPILL 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18561
Date de la décision : 16/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-16;18561 ?

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