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16/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18395

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 décembre 2004, 18395


Tribunal administratif N° 18395 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18395 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2004 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Etat de

Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … à Berane, agissant tant en leur no...

Tribunal administratif N° 18395 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 juillet 2004 Audience publique du 16 décembre 2004 Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18395 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2004 par Maître Jeannot BIVER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro) et de son épouse, Madame …, née le … à Berane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus du ministre de la Justice par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2004 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 novembre 2004 en nom et pour compte des demandeurs ;

Vu les pièces versées en cause ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie.

Après s’être vu refuser l’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 au Grand-Duché de Luxembourg, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, ci-

après dénommés « les consorts … », sollicitèrent, par courrier de leur mandataire du 31 décembre 2003 « un statut pour raisons humanitaires », basé sur l’état de santé de leur enfant A., né le … à Esch/Alzette.

Il ressort de l’avis du 19 février 2004 du médecin du contrôle médical auprès du ministère de la Sécurité sociale, ci-après dénommé « le médecin de contrôle », que l’enfant A. « ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d’origine ».

Par courrier du 8 avril 2004, les consorts …, par l’intermédiaire de leur mandataire, sollicitèrent une nouvelle fois auprès du ministère de la Justice une autorisation de séjour basée sur l’état de santé de l’enfant A., tout en signalant que Monsieur …, lors d’un passage en les locaux du Service des étrangers auprès du ministère de la Justice en date du 9 mars 2004, se serait vu notifier « verbalement un refus à la demande présentée le 31 décembre 2004 ».

Cette demande s’étant soldée par une décision implicite de rejet du ministre de la Justice, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la Justice, suite à leur demande préindiquée du 8 avril 2004.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent que leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires serait justifiée par l’état de santé de l’enfant A. qui serait allergique aux produits laitiers et à l’arachide, étant de sorte atteint d’une maladie d’une gravité exceptionnelle ne leur permettant pas de retourner dans leur pays d’origine. A l’appui de cette conclusion, les demandeurs invoquent un certain nombre de certificats médicaux attestant la nécessité d’un suivi régulier de l’enfant A. et desquels il ressortirait qu’un retour dans son pays d’origine pourrait nuire à sa santé, aux motifs qu’il ne serait pas garanti qu’il puisse y poursuivre un régime alimentaire strict et qu’un suivi médical adéquat n’y serait pas disponible. Les demandeurs mettent encore en doute l’avis du médecin de contrôle du 19 février 2004, aux motifs qu’ils n’auraient jamais été convoqués par ledit médecin et qu’aucun certificat ne leur aurait été remis par ce dernier, de sorte que la décision critiquée ne serait « aucunement basée juridiquement ».

Le délégué du gouvernement souligne en premier lieu que l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers, 2) le contrôle médical des étrangers, 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère prévoit clairement que l’entrée et le séjour pourraient être refusés à l’étranger qui ne dispose pas de moyens d’existence personnels suffisants pour supporter les frais liés à son séjour au pays et que Monsieur … ne serait pas titulaire d’un permis de travail l’autorisant à occuper un emploi salarié au pays.

Concernant l’état de santé de l’enfant A., le représentant étatique estime que l’allergie dont se prévalent les demandeurs serait une maladie assez répandue dont le traitement, respectivement le régime alimentaire pourraient être continués dans le pays d’origine des demandeurs. Dans ce contexte, il se prévaut encore de l’avis du médecin de contrôle du 19 février 2004 attestant que l’enfant A. ne présenterait pas de pathologie médicale empêchant un rapatriement dans son pays d’origine.

Il n’est pas contesté en cause qu’au vœu de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, une autorisation de séjour peut être refusée, notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants légalement perçus pour supporter les frais de voyage et de séjour au pays, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers, et qu’en l’espèce, les demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient, à la date de la décision ministérielle attaquée, autorisés à travers un permis de travail à occuper un poste de travail au Grand-Duché, voire s’adonnaient légalement à une activité indépendante, et qu’ils pouvaient partant disposer de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis. Il s’ensuit que le ministre peut en principe refuser l’autorisation de séjour aux demandeurs en se fondant sur ce motif du défaut de moyens d’existence personnels légalement acquis.

Il est cependant également établi en cause que la demande des consorts … tend à l’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires, basée sur l’état de santé de l’enfant A., de sorte qu’il convient encore de se prononcer sur l’existence de raisons humanitaires, telles que prévues par l’article 14 alinéa 3 de la loi précitée du 28 mars 1972, de nature à justifier la délivrance d’une autorisation de séjour.

Ainsi, il ressort d’un certificat médical du Dr. L. du 17 octobre 2003 que « l’enfant … A. (…) présente une allergie aux produits laitiers et qu’un régime d’éviction strict s’impose ».

Dans un certificat daté au 12 mars 2004, le « Centre de Médecine Générale Dr.

Hoffmann – Dr. WAGNER & Associés » de Differdange retient que « l’enfant souffre d’une maladie congénitale qui se manifeste par l’allergie au lait et aux produits laitiers. Il est obligé de suivre un régime strict, car l’utilisation des éléments allergisants (de même des médicaments qui contiennent de la lactulose !!) peuvent provoquer un état de dyspnée grave lié à une réaction asthmatiforme.

J’estime qu’un retour à son pays natal n’est pas propice car il n’y pourrait pas avoir de régime alimentaire qui lui convient ».

Dans un certificat daté au 18 mars 2004, le Dr. H. certifie ce qui suit : « Bei dem Kind A. … liegt eine laborchemisch und klinisch bestätigte Allergie gegen Kuhmilchprotein sowie gegen Erdnussprotein vor.

Eine strikte Meidung dieser Proteine muss durchgeführt werden, so dass insbesondere auf eine streng kuhmilch- und erdnussallergenfreie Ernährung geachtet werden muss. Bei nicht Beachten können schwerste allergische Reaktionen mit Urtikaria, Quinckeödem, Bronchospasmen, akuter Atemnot und schockähnlichen Zustände die Folge sein. Bei fehlender ärztlicher Intervention können diese Zustände lebensbedrohlich sein.

Ausserdem leidet … unter rezidivierenden teils allergisch teils infektbedingten spastischen Bronchitiden und Asthmaanfällen (…) ».

Finalement le Dr. L., dans un nouveau certificat médical daté au 19 mars 2004, confirme que l’enfant A. présente une allergie aux produits laitiers, qu’un régime d’éviction strict s’impose et qu’ « un écart de régime peut induire une réaction allergique (urticaire avec oedème de Quincke, asthme) ».

Lesdits certificats médicaux ont encore été soumis au Dr. V., pédiatre à l’hôpital public de Bérane, qui dans un rapport daté au 3 septembre 2004 estime qu’ « en changeant le régime alimentaire (retour au Monténégro) la situation générale de l’enfant va changer rapidement en ce qui concerne qu’une telle sorte d’alimentation est très difficile de se procurer et que de tels examens cliniques ne peuvent être pratiqués uniquement à Belgrade. C’est pour cela qu’il est nécessaire que même pour un certain temps l’enfant reste où il demeure actuellement (Luxembourg).

Un écart de régime peut induire une réaction allergique (urticaire, avec oedème de Quincke, asthme), ce qui peut se produire en utilisant une alimentation défendue, et ce qui remettrait en question la vie de l’enfant, sa croissance et son développement. » Dans la mesure où les demandeurs ont ainsi établi que l’enfant A. présente une maladie qui a été traitée au Luxembourg de manière concertée par différents médecins par l’élaboration d’un programme alimentaire strict, qui a abouti à un bon état de santé, force est de constater que la seule référence à la conclusion du médecin de contrôle, qui a uniquement statué sur dossier et qui a uniquement affirmé que l’enfant A. ne présente pas de pathologie médicale empêchant le rapatriement dans son pays d’origine, sans se prononcer sur la maladie effective dont il souffre, est insuffisante pour contredire les éléments concordants fournis en cause par les demandeurs tendant à établir une impossibilité de renvoyer l’enfant A. dans son pays d’origine, sous peine de compromettre sérieusement son état de santé, et ceci également en considération du fait qu’un suivi clinique ne peut être pratiqué dans la ville d’origine des demandeurs, c’est-à-

dire Bérane, mais uniquement à Belgrade et des efforts déjà déployés au Luxembourg en vue d’améliorer la situation de l’enfant A..

Il se dégage des considérations qui précèdent que les décisions déférées encourent l’annulation pour défaut de motivation suffisante.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ; reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le dit justifié ;

partant, annule la décision orale du 9 mars 2004 du Service des étrangers auprès du ministère de la Justice et la décision implicite de rejet du ministre de la Justice sur recours gracieux et renvoie le dossier audit ministre ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2004 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Campill 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18395
Date de la décision : 16/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-16;18395 ?

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