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15/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18589

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2004, 18589


Tribunal administratif N° 18589 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18589 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Madame …, née le … (Nigéria), de nationalité nigériane et demeurant actuellement à L-…, tend...

Tribunal administratif N° 18589 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 août 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18589 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 août 2004 par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Nigéria), de nationalité nigériane et demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport à l’audience publique du 13 décembre 2004, en présence de Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH, qui s’est rapporté aux écrits de la partie publique, Maître Yvette NGONO YAH n’ayant été ni présente, ni représentée.

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Le 30 décembre 2003, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, elle fut entendue par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg.

Madame … fut entendue le 24 mai 2004 par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 11 juin 2004, notifiée par courrier recommandé expédié le 18 juin 2004, le ministre de la Justice informa Madame … que sa demande avait été rejetée étant donné qu’elle peut être considérée comme manifestement infondée, au motif que les craintes de persécution dont elle a fait état sont manifestement dénuées de tout fondement, et, a fortiori, que sa demande peut également être considérée comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 6 juillet 2004 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre prit une décision confirmative le 22 juillet 2004.

Le 23 août 2004, Madame … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle prévisée du 11 juin 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le recours en réformation, introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Quant au fond, Madame … fait exposer à l’appui de son recours avoir tenté de sauver sa vie en quittant son pays, où sévirait une guerre entre deux tribus qui aurait fait des milliers de morts.

Elle fait plaider que la Convention de Genève aurait été signée au lendemain de la seconde guerre mondiale afin de « donner un statut à tous ceux qui fuient la guerre dans leur pays, indépendamment du fait qu’on ait été persécuté directement ou non », et reproche partant au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la réalité et la gravité des motifs de crainte de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Elle reproche enfin au ministre de ne pas lui avoir accordé la protection temporaire sur base de l’ « article 11 de la loi du 3 avril 1996 » au vu de la situation dans son pays.

Le délégué du Gouvernement pour sa part estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse, de sorte que celle-ci serait à débouter de son recours.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

Il s’ensuit que contrairement aux affirmations de la demanderesse, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New York, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de tout fondement ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».

Or, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il ressort de l’audition de la demanderesse, telle qu’actée au procès-

verbal du 24 mai 2004, qu’elle n’a jamais fait l’objet de persécutions et n’a jamais connu de problèmes particuliers dans son pays d’origine, mais qu’elle a décidé de quitter le Nigéria en guerre suite au décès accidentel de sa mère, touchée par une balle perdue, qui l’a laissée sans famille.

Le tribunal relève en particulier que la demanderesse a à chaque fois répondu par la négative aux questions « Have you ever been arrested ? », « Did you have any other problems in your country » et qu’à la question « When exactly your personal problems started ? » elle a précisé « I don’t had any problems, I just lived with my mother ».

Il en résulte que la demanderesse a quitté le Nigéria pour fuir une situation personnelle difficile, liée au fait de la guerre et à sa propre situation familiale, sans avoir pour autant dû subir personnellement des persécutions, ou avoir été exposée à une crainte justifiée de persécution, de sorte que sa fuite doit être considérée comme ayant été uniquement motivée par un sentiment général d’insécurité.

Or une demande d’asile basée exclusivement sur un sentiment général d’insécurité sans faire état d’un quelconque fait pouvant être considéré comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève est à considérer comme manifestement infondée (trib. adm., 22 septembre 1999, n° 11508, Pas. adm. 2004, v° Etrangers, n° 108, p. 217, et les autres références y citées).

C’est partant à juste titre que le ministre de la Justice a considéré la demande d’asile sous analyse comme étant manifestement infondée pour ne pas tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Toute demande d’asile remplissant les conditions fixées par l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, de sorte à pouvoir être rejetée comme étant manifestement infondée, peut également, et a fortiori, être considérée comme simplement non fondée au sens de l’article 11 de la même loi, la seule différence entre les deux dispositions légales consistant dans le fait que les procédures administrative et contentieuse à respecter en application de l’article 9 en question sont réglementées de manière plus stricte par rapport à celles applicables en application de l’article 11 précité, dans la mesure où non seulement seuls les recours en annulation sont susceptibles d’être introduits à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée mais qu’en outre les délais d’instruction sont beaucoup plus courts par rapport à ceux applicables pour les décisions prises au sujet des demandes d’asile déclarées simplement non fondées.

Or, le fait de faire application des dispositions des articles 11 et 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 au lieu de celles contenues aux articles 9 et 10 de la même loi ne saurait en aucune manière préjudicier au demandeur d’asile qui, au contraire, bénéficie ainsi de garanties de procédure plus étendues, dans la mesure où il pourra introduire un recours en réformation devant les juridictions administratives et où les délais d’instruction au niveau administratif et au niveau juridictionnel ne comportent pas la même limitation dans le temps que ceux prévus au sujet des demandes d’asile déclarées manifestement infondées (Cour adm. 19 février 2004, n° 17263C ; Cour adm. 19 février 2004, n° 17264C, non encore publiés).

A partir de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la décision litigieuse est a fortiori justifiée dans son résultat en ce qu’elle a rejeté comme non fondée sur base de l’article 11 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée la demande du demandeur en obtention du statut de réfugié.

En ce qui concerne le moyen non autrement précisé par la demanderesse et relatif à la violation alléguée des dispositions de la loi du 3 avril 1996 précitée régissant le statut de protection temporaire, le tribunal relève que ce statut spécifique, régi par les articles 16 et suivants de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, est prévu en cas d’afflux massif de personnes fuyant une zone de conflit armé, de guerre ou de violences généralisées et est soumis à la condition de la promulgation d’un règlement grand-ducal afférent.

La partie demanderesse restant cependant en défaut de préciser son moyen en ce qui concerne l’applicabilité éventuelle de ce régime à sa situation particulière compte tenu des conditions énoncées par la loi, et de prendre position par rapport à l’argumentation lui opposée par le délégué du Gouvernement, le tribunal ne saurait utilement le toiser.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, déclare le recours non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18589
Date de la décision : 15/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-15;18589 ?

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