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15/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18515

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2004, 18515


Tribunal administratif N° 18515 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18515 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité ser

bo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du mini...

Tribunal administratif N° 18515 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 6 août 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18515 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … (Monténégro/Etat de Serbie et Monténégro), de nationalité serbo-monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 avril 2004 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 7 juillet 2004 prise sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 novembre 2004.

Madame … introduisit en date du 10 juin 2002 une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la police grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Elle fut entendue le 20 juin 2002 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame … par décision du 19 avril 2004, lui envoyée par courrier recommandé en date du 28 avril 2004, de ce que sa demande a été refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte qu’elle ne saurait bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève.

Le 1er juin 2004, Madame … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision.

Le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure par une décision prise en date du 7 juillet 2004.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 août 2004, Madame … a fait déposer un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles de refus des 19 avril et 7 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que le tribunal est compétent pour l’analyser. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, elle fait valoir qu’au vu des pièces par elle versées auprès des autorités ministérielles luxembourgeoises, à savoir le jugement comportant sa condamnation pénale, l’extrait de journal qui relate les faits, ainsi que des photos des pierres tombales de ses proches défunts, il serait établi que les autorités policières de son pays, pour des raisons qui tiennent à leur religion musulmane, auraient provoqué la mort de son frère et de sa mère, tandis qu’elle même aurait été physiquement agressée par ces mêmes autorités et ensuite condamnée par les juridictions de son pays. Elle reproche notamment à l’autorité administrative d’avoir mis en doute l’authenticité des faits à la base de sa demande et d’avoir considéré que ces faits ne constitueraient pas des actes de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement répond que des coups de téléphone anonymes et des perquisitions policières ne sauraient en eux-mêmes constituer des persécutions au sens de la Convention de Genève et ajoute qu’aucun arrière fond politique ou religieux ne serait établi. Il souligne encore que la situation politique a changé en Ex-Yougoslavie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2 de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Madame … fait état d’un incident ayant eu lieu le 27 décembre 2003 au cours duquel la police aurait encerclé la maison et « tiré dans le tas ». Au cours de cet incident sa mère et son frère auraient été blessés par la police et seraient morts des séquelles de leurs blessures. Son plus jeune frère aurait également été blessé, il aurait été condamné par la suite et aurait purgé une peine de prison de 8 ans. Quant à sa propre personne elle fait valoir qu’au cours de sa détention préventive du 27 décembre 1993 au 18 janvier 1994, elle aurait été maltraité et qu’elle aurait été condamné par la suite à un an de prison avec sursis.

Il résulte des pièces versées au dossier que Madame … a été condamnée à un 1 an de prison avec sursis du chef « d’entrave à l’exercice des représentants de la loi en essayant d’empêcher des officiers de police judiciaire de faire leur service », à savoir l’arrestation et l’incarcération d’Xxx et Yyy ….

Un article de journal fait également état de l’incident ayant eu lieu le 27 décembre 1993 au domicile de la famille …. Des photos de pierres tombales versées au dossier portent l’inscription qu’Xxx et Zzz … sont morts le 27 décembre 1993.

Même à admettre la véracité des faits, force est de constater que Madame … reste en défaut d’établir à suffisance que cet incident et sa condamnation auraient été motivés pour des considérations tenant à la religion de sa famille.

En effet au cours de son audition elle précise que « mon frère s’est bagarré avec l’un des policiers. Mon frère voulait aller chez sa copine à Prije Polje. Il avait pris des billets de train. Il voulait y aller avec un copain. Un policier voulait les empêcher de monter dans le train. Le policier prétendait qu’ils étaient trop jeunes pour voyager seuls dans le train. Mon frère a dit qu’il avait payé les billets et qu’ils étaient en règle. Il a expliqué qu’il allait voir sa copine. Finalement, le policer a commencé à maltraiter mon frère et le copain de mon frère. Il y a eu une bagarre. Mon frère et le policier ont roulé par terre et ils avaient tous les deux quelques ecchymoses. Le policier était beaucoup plus costaud que mon frère qui n’avait que 17 ans à ce moment-là. Finalement, après cette bagarre, ils ne sont pas allés à Prije Polje. Environ une semaine après cela, la maison de ma famille s’est trouvée encerclée par 20 policiers », de sorte qu’on peut admettre que c’est cette bagarre entre le frère de la demanderesse, …, et la police qui a été à l’origine de la descente de la police au domicile de la famille …, d’autant plus que Madame … relate qu’avant cet incident sa famille n’a pas eu de problèmes avec la police.

Le jugement du tribunal de grande instance de BIJELO POLJE du 12 décembre 1994 confirme également le fait que la police s’est rendue le 27 décembre 1993 au domicile de la famille … pour arrêter les frères de la demanderesse. Il ne résulte cependant pas de ce jugement, comme veut le faire croire la partie demanderesse, que les autorités policières et judiciaires du Monténégro auraient instruit le dossier uniquement à sa charge et ce dans le seul but d’éviter de mettre en exergue la responsabilité pesante et manifeste des autorités étatiques dans la mort de ses proches et de conduire à la condamnation de Madame ….

Dès lors la simple réponse « Personne n’a fait de la politique chez nous, je pense que c’est à cause de notre religion » à la question « Vos problèmes sont-ils liés à vos opinions politiques, religieuses ou à votre groupe social ou national », de même que cet article de journal mettant, sans aucune preuve, les faits en relation causale avec la religion de la famille …, n’emportent pas la conviction du tribunal pour retenir un lien causal entre les événements mis en avant et la religion de la famille ….

A cela s’ajoute que les faits datent de 1993 et que Madame … a seulement quitté son pays en juin 2002. Or, concernant la période postérieure aux événements de 1993, Madame … fait seulement état de coups de fils anonymes et de persécutions policières, faits qui ne sont pourtant pas d’une gravité suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. A ce titre s’est également a bon droit que le délégué du Gouvernement a retenu que depuis 1993 le régime politique a changé en Ex-Yougoslavie. Par ailleurs la demanderesse a affirmé elle-même auprès de la police judiciaire « Ich habe zur Zeit keine Probleme mit der aktuellen politischen Führung aus Jugoslavien. In Bilejo Polje habe ich Probleme mit der Polizei. » De tout ce qui précède, il résulte que Madame … n’a pas fait état d’une crainte actuelle de persécution du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

Il en résulte que le recours sous analyse est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2004 par :

Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, M. Sünnen, juge, en présence de M. Schmit greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18515
Date de la décision : 15/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-15;18515 ?

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