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15/12/2004 | LUXEMBOURG | N°17890

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 décembre 2004, 17890


Tribunal administratif N° 17890 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., … contre une décision de la commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17890 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l

a société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., établie et ayant son siège soc...

Tribunal administratif N° 17890 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2004 Audience publique du 15 décembre 2004 Recours formé par la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., … contre une décision de la commission nationale pour la protection des données en matière de vidéosurveillance

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 17890 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision de la commission nationale pour la protection des données (CNPD) du 9 janvier 2004, lui communiquée le 10 janvier 2004, refusant de faire droit à deux demandes d’autorisation relatives au traitement de données à des fins de surveillance ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2004 par Maître Dean SPIELMANN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de la CNPD ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2004 par Maître Georges KRIEGER pour compte de la société … Luxembourg s.à r.l. ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2004 par Maître Marc THEWES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg pour compte de la CNPD ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maîtres Georges KRIEGER et Marc THEWES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 novembre 2004.

En date du 31 juillet 2003, la société à responsabilité limitée … Luxembourg s.à r.l., ci-après désignée par « la société … », introduisit sur base de l’article 11 de la loi du 2 août 2002 relative à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, une demande afin de pouvoir procéder à la surveillance par caméra dans ses différents points de vente dans un but de protection des biens de l’entreprise.

Cette demande fut complétée par des informations supplémentaires fournies par courriers des 20 août et 1er octobre 2003, ainsi que suivie d’une seconde demande d’autorisation introduite en date du 10 octobre 2003 sur base de l’article 10 de la loi précitée du 2 août 2002. En faisant valoir que la surveillance aux moyens de caméras vidéo serait nécessaire au sens dudit article pour les raisons suivantes :

« les magasins …, quelque soit par ailleurs leur taille et leur nature, sont des lieux où circulent de l’argent et des biens, d’une plus ou moins grande valeur, ils doivent être considérés comme étant de par la nature des lieux à risque et donc susceptibles d’attirer des agissements criminels, rendant le traitement des données à des fions de surveillance nécessaire à la sécurité des usagers, qui sont le personnel et la clientèle des magasins ….

(…) » Après avoir donné l’occasion tant à la société … qu’au syndicat LCGB d’exposer verbalement leurs arguments lors d’une entrevue ayant eu lieu le 3 décembre 2003, la CNPD, par délibération du 9 janvier 2004 référencée sous le numéro 1/2004, a reçu ces deux demandes d’autorisation en la forme, mais au fond les a déclarées non fondées et en a débouté après avoir exposé et analysé en détail les dispositions légales applicables, ainsi que les principes directeurs pour la protection des personnes par rapport à la collecte et au traitement des données au moyen de la vidéo-surveillance, ensemble les différentes notions susceptibles de trouver application à la demande lui soumise. Elle a retenu plus particulièrement dans le cadre de l’application de l’article 10 de la loi précitée du 2 août 2002 visant la surveillance en dehors de la relation de travail, que le législateur aurait uniquement entendu viser le risque d’atteinte à l’intégrité physique des personnes, mais non l’aspect « protection des biens ».

Concernant cette condition de légitimité relative au volet « sécurité des usagers » inscrite audit article 10, la CNPD a ainsi retenu « qu’en l’absence de pièce y relative versée au dossier, force est de constater qu’aucun des motifs avancés par la demanderesse tend à établir si les lieux en question (les magasins …) présentent effectivement de par leur nature, leur situation, leur configuration ou leur fréquentation un risque rendant le traitement nécessaire à la sécurité des usagers.

En effet, l’intention formulée de la demanderesse consiste exclusivement à vouloir protéger sa propriété contre d’éventuels vols mais non à vouloir assurer la sécurité de ses clients.

Il n’existe d’ailleurs aucun argument plausible relatif à une éventuelle agression corporelle dont un client de la demanderesse aurait été victime ou serait susceptible de le devenir. En outre, une agression spécifique n’a ni été alléguée par la demanderesse, ni a été étayée par le moindre élément du dossier.

La commission nationale retient dès lors que la demande d’autorisation de …, en ce qu’elle a été introduite sous l’article 10 pour légitimer un traitement à des fins de surveillance pour les besoins de la sécurité des usagers, est à déclarer non fondée ».

Quant à la licéité de la surveillance envisagée au regard de l’article 11 de la loi du 2 août 2002 précitée, la CNPD a retenu que les termes « sécurité et santé des travailleurs » « ne sauraient englober en l’occurrence le traitement à des fins de surveillance visant à assurer la prévention, la recherche et la détection d’actes susceptibles d’engager la responsabilité du salarié ou de l’employeur ou de prouver l’absence de responsabilité à laquelle … fait ici allusion. (…) Cette acception étant limitée à l’aspect « intégrité physique » du salarié, il en suit qu’à défaut de conditions de légitimité expressément réservées par la loi à ce cas de figure, la demande de … est également à écarter sous cet aspect. » Quant au but invoqué de « la protection des biens » visé à l’article 11, paragraphe 1er, lettre b) de la loi du 2 août 2002, elle a retenu que les objets que la société … entend protéger constituent des « biens mobiliers de faible valeur de sorte qu’il faut sérieusement douter que les magasins … représentent des lieux à risque caractérisé susceptibles d’attirer des agissements criminels.

Il n’apparaît pas non plus que les circonstances objectives ou l’expérience rendent particulièrement probable un hold-up sur la caisse enregistreuse ou sur les objets à vendre.

Dans ce contexte, la commission nationale relève que la demanderesse n’a pas apporté le moindre élément de preuve de nature à préciser ni le principe ni le quantum des montants circulant quotidiennement à travers les caisses des différents magasins ….

En dépit du fait que les magasins … sont majoritairement localisés dans des grandes surfaces commerciales et pour une large part grandement ouverts vers la galerie marchande, la commission nationale conclut de l’examen de toutes les circonstances de fait invoquées que le danger de vol est assez minime et qu’il s’agit davantage d’un risque théorique auquel aucune activité similaire n’échappe plus dans notre société d’aujourd’hui que d’une menace réelle et permanente.

Par ailleurs, la volonté des actionnaires de … d’étendre davantage à l’avenir la gamme des produits offerts en vente pour promouvoir le développement futur de l’entreprise ne saurait justifier une vidéo-surveillance des biens de l’entreprise dès aujourd’hui.

En revanche, l’atteinte à la vie privée des salariés sur le lieu de travail qu’engendrerait la surveillance envisagée est bien réelle et d’autant plus accrue du fait qu’il ressort des propres déclarations des responsables … que chaque salarié travaillant seul dans son magasin auquel il est affecté serait de façon permanente dans le champ visuel de la caméra de surveillance, … ayant opté pour une technique de surveillance lui permettant dans toute la mesure du possible de superviser toutes les zones de ses magasins.

La surveillance à laquelle les travailleurs de l’entreprise seraient exposés sur leur lieu de travail s’étendrait à toutes les heures (d’ouverture du magasin) de la journée, de sorte que les objections, que les représentants du personnel et le syndicat LCGB font valoir, apparaissent sérieuses. Le traitement envisagé aurait un caractère invasif indéniable peu compatible avec l’espace résiduel minimal de la vie privée sur le lieu de travail auquel tout salarié a le droit de prétendre et la pression psychologique non négligeable qui pèserait sur les salariés concernés apparaît disproportionnée par rapport aux risques contre lesquels l’entreprise … entend certes légitimement vouloir se protéger. D’autres moyens moins attentatoires aux libertés et droits fondamentaux peuvent également être mis en œuvre en vue d’accroître la sécurité dans les magasins de l’entreprise, qu’il s’agisse de mesures de nature organisationnelles ou techniques.

Il en suit que le traitement projeté par … consistant dans une vidéosurveillance automatique et continue des salariés n’est pas adapté au but légitime poursuivi, alors que l’employeur pourrait recourir à des moyens alternatifs davantage protecteurs de la sphère privée du salarié, de sorte qu’il y a également lieu de débouter la requérante de sa demande d’autorisation en ce qu’elle est basée sur l’article 11 de la loi. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2004, la société … a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la délibération prévisée de la CNPD du 9 janvier 2004.

A l’appui de son recours la société demanderesse fait d’abord valoir que la décision litigieuse ne serait pas une décision à caractère administratif, mais une décision à caractère juridictionnel en ce qu’elle présenterait, non seulement d’un point de vue formel, mais également d’un point de vue de son contenu, toutes les caractéristiques d’un jugement. Elle estime que cette décision ne relèverait dès lors pas du contentieux administratif dont le tribunal administratif et la Cour administrative sont appelés à connaître par l’effet de l’article 95bis de la Constitution.

Elle poursuit ses développements à l’appui du recours en faisant valoir que l’acte déféré porterait sur un droit de nature civile, la demande dont a eu à connaître la CNPD ayant porté sur le droit de la société … à appliquer dans ses locaux des caméras de surveillance et le syndicat LCGB, en se déclarant défendeur des salariés, ayant invoqué un autre droit pour s’y opposer lequel ne revêtirait pas non plus un caractère administratif.

La société demanderesse fait valoir ensuite que le règlement interne de la CNPD a été développé sur base de l’article 35 de la loi du 2 août 2002 précitée, mais que force serait de constater que le législateur n’aurait pas pu accorder à la commission un tel pouvoir de réglementer, de sorte qu’il y aurait violation à cet égard de l’article 36 de la Constitution. Elle en déduit qu’il n’y aurait pas lieu d’appliquer en l’espèce les textes retenus dans le règlement interne.

Concernant ensuite l’appréciation au fond par la CNPD de ses deux demandes, la société … relève qu’elle avait introduit une première demande basée sur l’article 11 de la loi du 2 août 2002 précitée, ainsi qu’une seconde demande basée sur l’article 10 de la même loi. Elle fait valoir à cet égard que si une demande avait été motivée par l’article erroné d’une même loi, il aurait incombé à la CNPD, par application de la procédure administrative non contentieuse, « d’étudier une et la même demande sous l’aspect des deux articles ».

Elle reproche ensuite à la CNPD de s’être livrée à une interprétation, officielle ou officieuse, de la loi alors qu’elle aurait été tenue de l’appliquer purement et simplement, étant entendu qu’à son avis les notions de sécurité et de santé ne se réduiraient pas au seul aspect « intégrité physique » tel que retenu par la CNPD à la page 14 de la décision litigieuse.

Quant au principe de nécessité ancré à l’article 11 de la loi du 2 août 2002, la société demanderesse fait valoir que la CNPD, qui ne doit pas être une juridiction, ne serait pas appelée à statuer sur l’opportunité ou le degré de nécessité d’un traitement. Elle reproche à cette dernière d’avoir invoqué un principe de nécessité pour cacher en fait un principe d’opportunité. Pour le surplus, elle estime que les caméras seraient nécessaires pour empêcher des vols et que cette nécessité ne pourrait pas être mise en doute, étant donné que la présence de telles caméras diminuerait fortement les vols dans les magasins perpétrés aussi bien par les clients que par le personnel.

Quant au principe de proportionnalité invoqué à la base de la décision déférée de la CNPD, la société … estime qu’elle se serait arrogée des droits, en l’occurrence un droit d’interprétation, un droit d’application d’un principe de nécessité et d’un principe de proportionnalité, voire un droit d’application d’un principe d’opportunité qu’elle n’aurait pas, de sorte qu’il y aurait encore lieu à annulation de l’acte déféré de ce chef.

La société demanderesse reproche ensuite à la CNPD d’avoir fait une différenciation que la loi ne ferait pas à propos de la notion de protection des biens, en ce qu’elle a posé l’exigence d’un risque spécial pour la sécurité, ce qui ne correspondrait pourtant à aucune exigence légale. La même conclusion s’imposerait à son avis au sujet de la distinction basée sur la faible valeur de la marchandise présente dans ses magasins, étant donné qu’ici encore la loi ne ferait pas de différence entre des marchandises à faible valeur et des marchandises dignes de protection. La société demanderesse donne à considérer dans ce contexte que si tout commerçant courrait un même risque d’être cambriolé, cette circonstance n’enlèverait pas pour autant à chacun le droit de se protéger avec les moyens qu’il estime adéquats.

Concernant finalement le volet de la protection de la sphère privée du salarié, la société demanderesse conteste que le lieu de travail soit entièrement une sphère privée, ceci d’autant plus qu’il s’agit en l’espèce du lieu de travail d’une caissière, soit plus précisément des environs de la caisse enregistreuse d’un local de commerce où il s’agirait d’acter toutes les entrées et sorties de fonds et de retenir une trace écrite de ces opérations financières. Elle en déduit que c’est à tort que la CNPD a estimé qu’il y aurait un caractère invasif peu compatible avec l’espace résiduel de vie privée sur le lieu de travail, étant donné que l’espace concerné par la surveillance projetée se résumerait à quelques mètres carrés et qu’en dehors de cet espace, aucune atteinte à un espace résiduel minimal de vie privée ne pourrait être utilement invoquée.

Dans son mémoire en réponse la CNPD conclut principalement à l’irrecevabilité du recours en faisant valoir que la société demanderesse n’articulerait aucun cas d’ouverture prévu par l’article 2, paragraphe 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.

Le tribunal ne saurait partager cette conclusion étant donné que la requête introductive d’instance, ensemble le mémoire en réplique fourni pour compte de la société demanderesse, sont en substance suffisamment explicites pour permettre de cerner avec la précision requise le cadre tant factuel que légal des moyens avancés à l’appui du recours. La partie défenderesse ayant pour le surplus su amplement prendre position, à travers ses mémoires écrits très complets, par rapport aux différents griefs formulés par la partie demanderesse, le premier moyen d’irrecevabilité laisse partant d’être fondé pour ne pas être vérifié en fait.

La société demanderesse a d’abord contesté la compétence du tribunal administratif pour connaître de l’acte déféré en faisant valoir qu’il ne relèverait pas du contentieux administratif visé par l’article 95bis de la Constitution pour s’analyser en une décision à caractère juridictionnel.

La CNPD rencontre ce moyen en faisant valoir que les juridictions administratives auraient compétence d’attribution pour connaître de la régularité d’un acte de nature administrative et que cette compétence serait non pas d’exception, mais ordinaire, le juge administratif étant, dans le domaine du contentieux des décisions individuelles et par la voie du recours en annulation, le juge de droit commun en ce sens qu’un acte de l’administration revêtant le caractère objectif d’une décision n’échapperait pas à sa censure. Pour conclure à son propre caractère d’autorité administrative, elle se réfère au détail des travaux parlementaires ayant conduit à la loi du 2 août 2002 précitée. Dans la mesure où elle aurait agi en l’espèce en vertu de ses prérogatives de puissance publique face aux besoins d’intérêt public, la décision litigieuse relèverait dès lors parfaitement du contentieux administratif. Elle tient pour le surplus à relever que la décision attaquée aurait respecté les droits de la défense de toutes les parties impliquées en ce que celles-ci ont été entendues en leurs explications orales, de manière à être intervenue dans le plus strict respect des règles de la procédure administrative non contentieuse.

Conformément aux dispositions de l’article 95bis (1) de la Constitution « le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative (…) ».

Le contentieux administratif étant le contentieux des actes administratifs, il y a lieu de relever d’abord que l’acte administratif se définit par rapport à deux critères de distinction, en l’occurrence d’abord par référence à l’autorité administrative qui l’a adopté en ce sens qu’on doit qualifier d’acte administratif l’acte pris par une autorité relevant, du moins pour cet acte, de la sphère du droit administratif et investie du pouvoir de prendre des décisions unilatérales opposables au destinataire et exécutoire, au besoin, par voie de contrainte. A côté de ce premier critère de distinction coexiste un second, à savoir celui du service public. Entendu dans un sens organique, la notion de service publique ne s’applique pas à une activité mais à un organisme : c’est un organisme auquel on a confié une mission d’intérêt général, étant entendu que suivant cette acception, la notion de service public s’oppose à celle d’entreprise privée et implique la réunion de deux ordres d’éléments, en l’occurrence des éléments d’ordre organique (dépendance vis-à-vis des gouvernants) et des éléments d’ordre matériel (la nécessité d’une mission de répondre d’une manière continue et régulière à des besoins collectifs jugés essentiels par les gouvernants)1.

Conformément aux dispositions de l’article 34 (1) de la loi du 2 août 2002 précitée la CNPD est une autorité publique qui prend la forme d’un établissement public exerçant en toute indépendance la mission dont elle est investie en vertu de cette loi, de sorte qu’eu égard aux missions et pouvoirs lui conférés plus particulièrement par les dispositions de l’article 32 de la même loi, les décisions qu’il est appelé à prendre notamment sur base de l’article 14 de la loi du 2 août 2002 rencontre les critères ci-avant énoncés pour qualifier des actes administratifs.

En l’espèce, force est de constater que si la CNPD a certes accordé au syndicat LCGB la possibilité d’exposer, à un stade préalable à sa prise de décision, son point de vue relativement à la demande présentée par la société …, ledit syndicat ne saurait pas pour autant être considéré comme étant une partie à un litige au sens juridictionnel du terme. En effet, l’activité juridictionnelle, consiste dans son essence à dire le droit dans un litige contentieux entre deux ou plusieurs personnes privées ou publiques et ne se confond pas avec la prise d’une décision administrative.

Dans la mesure où le syndicat LCGB, en tant que représentant du personnel de l’entreprise concernée, n’a fait que présenter à l’autorité investie du pouvoir de décision en la matière les arguments et les soucis ressentis au niveau des salariés directement concernés par le système de vidéosurveillance projeté, il est dès lors à considérer non pas comme une partie à un litige qui serait à toiser par la CNPD, mais tout au plus comme une entité tierce intéressée à la décision administrative litigieuse.

Il y a lieu de relever par ailleurs que la possibilité accordée audit syndicat de s’exprimer librement avant la prise de la décision litigieuse, cadre parfaitement avec l’esprit général de la procédure administrative non contentieuse dans son volet relatif à la phase prédécisionnelle en ce qu’elle témoigne de la volonté de l’autorité administrative de prendre sa décision en connaissance des avis des personnes intéressées à son issue.

La conclusion ci-avant dégagée quant au caractère administratif de l’acte déféré ne saurait en aucun cas être énervée par les développements de la société demanderesse consistant à soutenir que, par sa forme, la décision litigieuse s’apparenterait davantage à un jugement qu’à une décision administrative par le fait d’être minutieusement et exhaustivement motivée sur une vingtaine de pages. Ce n’est en effet pas la forme qui 1 Cf. trib. adm. 30 octobre 2000, n° 11798 du rôle, confirmé par Cour adm. 29 novembre 2001, n° 12592C du rôle, Pas. adm. 2004, V° Actes administratifs, n° 1 et autres références y citées, p. 14 détermine la nature juridique d’un acte. Il s’y ajoute que les efforts déployés par la CNPD à cet égard, loin de devoir lui valoir une quelconque critique, épousent le souci du législateur qui, à travers la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et son règlement grand-ducal d’exécution du 8 juin 1979 pris plus particulièrement en son article 6, a posé des exigences minimales quant à l’indication formelle des motifs à la base d’une décision administrative qui refuse de faire droit à la demande de l’intéressé. Le législateur ayant en effet fait obligation aux décisions administratives de refus d’indiquer formellement les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il est permis de s’interroger sur la pertinence de critiques basées sur un prétendu excès de motivation, de sorte que le moyen afférent laisse encore d’être fondé.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen basé sur l’incompétence du tribunal pour connaître du recours sous examen laisse d’être fondé, la décision litigieuse de la CNPD étant en effet une décision administrative individuelle par rapport à laquelle le tribunal administratif, par l’effet de l’article 2, paragraphe 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, est appelé à statuer en tant que juge de l’annulation, aucun autre recours n’étant prévu par les lois et règlements applicables en la matière.

Le recours en annulation sous examen ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, il n’est pas contesté que la demande présentée par la société … s’inscrit dans le champ d’application de la loi du 2 août 2002 défini notamment en son article 3, (4) en ce sens que cette loi s’applique « à toutes formes de captage, de traitement et de diffusion de son et d’image qui permettent d’identifier des personnes physiques ou morales. » Au-delà des conditions générales de licéité du traitement inscrites aux articles 4 (qualité des données) et 5 (légitimité du traitement), applicables indépendamment du type spécifique de traitement concerné, et devant de ce fait trouver application en l’espèce, la demande de la société … s’inscrit également dans le contexte plus spécifique des articles 10 et 11 de la loi du 2 août 2002 précitée pour s’analyser à la fois en un traitement à des fins de surveillance, ainsi que plus spécifiquement en un traitement à des fins de surveillance sur le lieu du travail.

Il s’ensuit que conformément aux dispositions de l’article 14 (1) (a) de la même loi, le traitement à des fins de surveillance projeté par la société … est sujet à autorisation préalable de la CNPD, la demande d’autorisation afférente devant comprendre, conformément aux dispositions du point (2) du même article 14, notamment les informations suivantes : « (…) (b) la condition de légitimité du traitement ; (c) la ou les finalités du traitement ; (…) » Quant à la mission et aux pouvoirs de la CNPD, il y a lieu de se référer aux dispositions de l’article 32 de la même loi qui dispose sous son point (1) que cette commission « est chargée de contrôler et de vérifier si les données soumises à un traitement sont traitées en conformité avec les dispositions de la présente loi et de ses règlements d’exécution. » Conformément aux dispositions du point (3) (d) du même article 32 elle a également pour mission d’autoriser la mise en œuvre des traitements soumis au régime de son article 14, soit notamment de ceux faisant l’objet des demandes litigieuses.

Eu égard au cadre légal ainsi tracé, la CNPD a valablement pu examiner si la demande présentée par la société … rencontre les exigences inscrites aux articles 10 et 11 de la loi précitée du 2 août 2002.

Dans la mesure où il ne fait par ailleurs aucun doute au regard du libellé clair et explicite de la décision déférée, que la CNPD a analysé et toisé les deux demandes introduites par la société demanderesse en dates respectivement des 31 juillet et 10 octobre 2003 dans tous leurs éléments et partant aussi bien au regard des exigences inscrites à l’article 10 qu’à l’article 11 de la loi du 2 août 2002, le tribunal ne perçoit pas la pertinence du reproche libellé par la société demanderesse à l’adresse de la décision litigieuse en ce sens qu’il aurait incombé à la CNPD, par application de la procédure administrative non contentieuse, « d’étudier la même décision sous l’aspect des deux articles », étant donné que c’est précisément ce que la CNPD a fait à travers la décision déférée du 9 janvier 2004.

Quant au moyen basé sur la considération que le règlement interne de la CNPD serait intervenu en violation de l’article 36 de la Constitution pour excéder le cadre légal de l’article 35 de la loi du 2 août 2002 précitée, le tribunal peut entièrement souscrire à l’observation de la partie défenderesse pour conclure qu’en l’absence du moindre développement de la requérante quant à l’incidence dudit règlement interne sur la régularité de la décision litigieuse, cet argument n’est pas de nature à énerver la régularité de celle-ci.

Conformément aux dispositions dudit article 11, le traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail « n’est possible que s’il est nécessaire :

(a) pour les besoins de sécurité et de santé des travailleurs, ou (b) pour les besoins de protection des biens de l’entreprise, ou (c) pour le contrôle du processus de production portant uniquement sur les machines ou (d) pour le contrôle temporaire de production ou des prestations du travailleur, lorsqu’une telle mesure est le seul moyen pour déterminer la rémunération exacte, ou (e) dans le cadre d’une organisation de travail selon l’horaire mobil conformément à la loi. » Pour conclure à une juste interprétation par la CNPD de la disposition légale prérelatée, la partie défenderesse relève que dans le cadre strict de l’article 11, un traitement à des fins de surveillance n’est autorisable que pour les besoins de la protection des biens de l’entreprise et que par ailleurs, combien même correspondrait-il à un des critères de légitimation prévus par la loi, un tel traitement devrait respecter de surcroît les exigences de l’article 4 de la loi du 2 août 2002, à savoir être loyal et licite et notamment ne pas être excessif, par application du principe de proportionnalité, par rapport à la finalité déterminée poursuivie. Il souligne dans ce contexte que c’est le législateur lui-même qui a investi la CNPD du pouvoir d’examiner les demandes d’autorisation par rapport aux conditions légales, de sorte que loin d’avoir interprété « officiellement ou officieusement une loi », tel que soutenu par la société demanderesse, la CNPD aurait appliqué cette loi conformément aux attributions qui lui ont été confiées.

Dans la mesure où il se dégage du libellé clair et précis de l’article 11 prérelaté que le traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail n’est possible « que s’il est nécessaire » pour les différents besoins y limitativement énoncés, c’est à juste titre que la CNPD a en l’espèce procédé à l’évaluation de la nécessité du traitement faisant l’objet de la demande de la société … par rapport aux différents cas d’ouverture limitativement énoncés par la loi à cet égard, la mission lui expressément conférée par le législateur consistant précisément à vérifier si la demande soumise à autorisation préalable rentre dans les prévisions des dispositions pertinentes de la loi.

Les besoins allégués par la société demanderesse à l’appui de sa demande étant ceux libellés sub (a) et (b) de l’article 11 prérelaté ci-avant se rapportant à la sécurité et à la santé des travailleurs ainsi qu’à la protection des biens de l’entreprise, il y a partant lieu d’examiner si la CNPD a valablement pu conclure à l’absence de nécessité afférente vérifiée.

La société … fait plaider à cet égard que le système de surveillance projeté serait nécessaire pour empêcher des vols, étant donné que la présence de caméras diminuerait notamment les cas de vol perpétrés dans des magasins aussi bien par les clients que par le personnel.

Elle estime pour le surplus que dans le cadre des pouvoirs lui conférés, il n’appartiendrait pas à la CNPD de se prononcer sur l’opportunité du traitement envisagé.

Si le tribunal peut certes s’accorder avec la société demanderesse pour dire qu’il y a une différence certaine entre les notions de nécessité et d’opportunité, il ne saurait pas pour autant suivre le raisonnement que la société demanderesse entend baser sur cette différence. En effet, un dispositif dont la mise en place peut paraître opportune à de multiples égards – diminution du risque de vol par l’effet dissuasif des caméras par exemple – n’est pas pour autant à considérer automatiquement comme étant nécessaire, la nécessité excédant en effet la simple opportunité en ce sens qu’elle vise ce dont on a absolument besoin, dont on ne peut se passer, l’indispensable, soit quelque chose qui va au-delà de ce qui simplement convient au temps, au lieu, aux circonstances et qui caractérise le simplement opportun.

Dans la mesure où il se dégage de l’article 11 prérelaté que c’est non pas la CNPD, mais bien le législateur qui a expressément opté pour une approche restrictive en la matière consistant à ne permettre le traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail que lorsqu’il est nécessaire, le reproche adressé à la commission d’avoir apprécié en l’espèce l’opportunité de la mise en place du système de vidéosurveillance préconisé et d’avoir ainsi excédé ses pouvoirs, laisse d’être fondé, la CNPD ayant au contraire suivi l’approche prétracée par le législateur en appréciant le caractère nécessaire ou non du dispositif envisagé par rapport au besoin de sécurité et de santé des travailleurs ainsi que par rapport au besoin de protection des biens de l’entreprise.

Concernant d’abord le besoin de sécurité et de santé des travailleurs, la CNPD a retenu à l’appui de la décision litigieuse qu’aucun risque d’agression physique concret n’a été évoqué par …. Elle a relevé en outre que les termes « sécurité et santé des travailleurs » ne sauraient englober le traitement à des fins de surveillance visant à assurer la prévention, la recherche et la détection d’actes susceptibles d’engager la responsabilité du salarié ou de l’employeur ou de prouver l’absence de responsabilité à laquelle … fait allusion dans ce contexte à l’appui de sa demande.

La charge de la preuve d’une nécessité de procéder au traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail pour les besoins de sécurité et de santé des travailleurs incombant au départ au demandeur en autorisation, le tribunal fait sienne l’analyse à laquelle s’est livrée la CNPD à cet égard pour constater l’absence d’élément concret caractérisant par rapport à l’établissement concerné la nécessité de mettre en place le dispositif de surveillance litigieux, les problèmes d’ordre général mis en avant par la société demanderesse à cet égard étant en effet communs à tout commerce et s’analysent tout au plus en des considérations d’opportunité, insuffisantes à elles seules pour caractériser une véritable nécessité pourtant requise par la loi.

La société demanderesse entend justifier ensuite sa demande par la nécessité du traitement à des fins de surveillance sur le lieu de travail pour les besoins de protection des biens de l’entreprise. Si la loi ne distingue à cet égard certes pas en fonction de la valeur des biens à protéger, il n’en demeure pas moins qu’ici encore il incombe à la société demanderesse d’établir que le système de vidéosurveillance par elle envisagé est nécessaire, condition qui, au vu des développements qui précèdent, au sujet de la portée de cette notion, laisse encore d’être vérifiée. En effet, les développements afférents de la société demanderesse tendent tout au plus à établir l’utilité et par voie de conséquence l’opportunité du système préconisé sans pour autant permettre de conclure à une nécessité afférente.

La même conclusion s’impose finalement au regard des exigences inscrites à l’article 10 de la loi du 2 août 2002, étant donné que force est ici encore de constater que la société demanderesse reste en défaut d’établir à suffisance l’existence d’un risque rendant le traitement nécessaire à la sécurité des usagers ainsi qu’à la prévention des accidents prévue au point (1) sub (b) dudit article.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que faute pour la demanderesse d’établir que c’est à tort que la CNPD a retenu qu’elle ne remplissait pas les conditions d’application des articles 10 et 11 de la loi du 2 août 2002, le recours en annulation laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne la société demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 décembre 2004 par :

M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Delaporte Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le Le Greffier en chef du Tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 17890
Date de la décision : 15/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-15;17890 ?

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