La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18334C

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 décembre 2004, 18334C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 18334C Inscrit le 5 juillet 2004

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 14 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, Remich contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d'autorisation d'établissement - Appel -

(jugement entrepris du 24 mai 2004, n° du rôle 17684)

-------------------------------------------------------------------------------------

--------------------------------

Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 1...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle: 18334C Inscrit le 5 juillet 2004

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Audience publique du 14 décembre 2004 Recours formé par Monsieur …, Remich contre deux décisions du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement en matière d'autorisation d'établissement - Appel -

(jugement entrepris du 24 mai 2004, n° du rôle 17684)

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Vu la requête d'appel, inscrite sous le numéro 18334C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 5 juillet 2004 par Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles Roth, agissant en nom et pour compte de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, sur base d'un mandat lui conféré par le ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement en date du 28 mai 2004, dirigée contre un jugement rendu par le tribunal administratif le 24 mai 2004, par lequel il a déclaré fondé le recours en réformation, introduit contre une décision du ministre des Classes Moyennes, du Tourisme et du Logement du 12 septembre 2003 et celle confirmative du 5 décembre 2003, intervenue sur recours gracieux, lui refusant l'autorisation d'établissement en tant qu'entrepreneur de construction ;

Vu la notification de ladite requête d'appel par voie postale à l'intimé .….. et à son mandataire Maître Roy Reding en date des 7 et 8 juillet 2004 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 5octobre 2004 par Maître Roy Reding, au nom d'… ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Ouï le conseiller en son rapport à l'audience publique de la Cour administrative, Maître Aziza Gomri, en remplacement de Maître Roy Reding, ainsi que le délégué du Gouvernement Gilles Roth en leurs observations orales.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Par requête inscrite sous le numéro 17684 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 mars 2004 par Maître Roy Reding, avocat à la Cour, …, demeurant à L-…, a demandé l'annulation d'une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 12 septembre 2003 et de celle confirmative du 5 décembre 2003, intervenue sur recours gracieux, lui refusant l'autorisation d'établissement en tant qu'entrepreneur de construction.

Le tribunal administratif, première chambre, statuant à l'égard de toutes les parties en date du 24 mai 2004, a déclaré le recours en annulation justifié, a annulé les décisions litigieuses et renvoyé le dossier en prosécution de cause devant le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement.

Fort d'un mandat du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 28 mai 2004, le délégué du Gouvernement Gilles Roth a déposé une requête d'appel en date du 5 juillet 2005 auprès du greffe de la Cour Administrative.

D'après la partie appelante, le jugement entrepris cause torts et grief à l'État en ce qu'il a annulé les décisions du 12 septembre 2003 et du 5 décembre 2003 du Ministre des Classes Moyennes, par lesquelles l'autorisation d'établissement sollicitée par le requérant avait été refusée.

Le tribunal opèrerait un revirement de sa jurisprudence antérieure, elle-même fondée sur un arrêt de la Cour Européenne de Justice.

Ce jugement serait nuisible et d'une portée considérable, puisqu'en l'état il aurait pour conséquence de permettre les abus les plus criants en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles sur le plan communautaire.

En effet, admettre la validité de la pratique professionnelle du requérant au Portugal telle que renseignée sur l'attestation CE émise par la chambre professionnelle portugaise du ressort, alors pourtant que cette personne était occupée au Luxembourg pendant la même période, serait consternant et reviendrait de fait à imposer au ministre la charge d'une preuve négative, impossible par essence à rapporter, puisqu'il y aurait lieu en pareil cas d'établir que le requérant n'a pas effectivement travaillé au Portugal.

La charge de la preuve en pareille situation reviendrait ainsi fort justement au postulant, qui doit prouver que nonobstant ces documents contradictoires, il a bien exercé effectivement l'activité en question dans le pays de provenance pendant la durée et dans la qualité requise par les dispositions de la directive, en l'occurrence celles de l'article 4 de la directive 1999/42/CE du 7 juin 1999.

L'analyse faite par le tribunal dans le jugement du 24 mai 2004 serait donc erronée, le fait de relever que l'attestation CE répond aux deux critères - indication de la nature et de la durée de l'activité prévus à l'article 8 de cette directive ne pouvant en effet conférer le moindre effet probant à ce document dès lors, précisément, qu'il est vicié dès le départ parce que contenant une inexactitude manifeste.

La partie intimée a déposé un mémoire en réponse en date du 5 octobre 2004 dans lequel elle demande la confirmation du jugement entrepris.

Elle fait valoir que suivant l'article 4 a) de la directive 1999/42/CE, l'exercice pendant six années consécutives à titre d'indépendant ou en qualité de dirigeant d'entreprise est équivalent à la possession d'un brevet de maîtrise ou d'un diplôme d'ingénieur de la branche à condition que cette activité n'ait pas pris fin depuis plus de dix ans à la date du dépôt de la demande.

A ce titre, … aurait versé une attestation de laquelle il résulterait qu'il a exercé à titre d'indépendant l'activité concerné depuis six années au moins au Portugal et que cette activité n'a pas pris fin depuis plus de dix ans à la date du dépôt de la demande.

Le principe de confiance légitime fait obligation aux Etats membres d'accepter les documents et certificats émanant d'un autre Etat membre de sorte que l'argument de la partie appelante ne saurait tenir.

Par ailleurs, la partie appelante soutiendrait à tort qu'en raison de l'exercice simultanée d'une activité professionnelle au Portugal et au Grand-Duché de Luxembourg, l'intimé ne répondrait pas aux conditions légales, alors qu'il serait indéniable qu'il répondrait aux conditions légales puisque son activité au Portugal n'aurait pas pris fin depuis plus de dix ans.

Le fait d'avoir été affilié au Luxembourg de manière discontinue n'affecterait pas l'exercice effectif depuis plus de dix ans d'une activité au Portugal.

Il serait par ailleurs de principe que tout ressortissant communautaire a la possibilité de s'établir et d'offrir ses services dans tous les Etats de l'Union européenne et que les restrictions à cette liberté seraient interdites à moins d'être justifiées par des motifs légitimes.

En l'espèce il n'existerait aucune raison impérieuse d'intérêt général ni aucune menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société qui empêcherait … d'exercer une activité à titre d'indépendant au Grand-Duché de Luxembourg, La partie appelante introduirait non seulement une condition supplémentaire à celles prévues par les textes mais aussi une entrave à la liberté d'établissement.

Au voeu de l'article 13 (2) de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, « les artisans exerçant un métier principal et les entrepreneurs industriels de construction doivent être en possession du brevet de maîtrise ou du diplôme universitaire d'ingénieur de la branche. Le ministre ayant dans ses attributions les autorisations d'établissement, sur avis de la commission prévue à l'article 2 et après consultation de la Chambre des Métiers, peut reconnaître à un postulant, démuni des diplômes précités, une qualification professionnelle suffisante soit pour l'ensemble, soit pour une partie d'un métier repris sur la liste établie par règlement grand-ducal sur la base de pièces justificatives reconnues comme équivalentes, conformément aux critères à déterminer par règlement grand-ducal ».

En l'espèce, il est constant en cause, que … n'est titulaire ni d'un brevet de maîtrise dans la branche dans laquelle il souhaite exercer ses activités ni d'un diplôme universitaire d'ingénieur de la branche en question.

En l'absence des diplômes précités, le ministre peut toutefois décider de reconnaître à un postulant une qualification professionnelle équivalente, en se basant sur les critères déterminés par le règlement grand-ducal précité du 15 septembre 1989, qui dispose en son article 6 que « les attestations délivrées par les organismes compétents des pays membres du Marché Commun sur base des directives communautaires dans le domaine de l'artisanat sont à considérer comme pièces équivalentes lorsque le bénéficiaire de l'attestation répond aux conditions de capacité professionnelle y prévues ».

En l'espèce, comme retenu à juste titre par le tribunal administratif, la directive communautaire applicable est la directive 1999/42/CE dont l'article 4 détermine les conditions selon lesquelles l'exercice préalable de l'activité considérée dans un autre Etat membre est à reconnaître comme preuve suffisante de la qualification professionnelle requise par l'Etat membre dans lequel l'artisan entend entamer l'exercice de la même activité.

L'article 4 de ladite directive 1999/42/CE dispose :

«Lorsque, dans un Etat membre, l'accès à l'une des activités énumérées à l'annexe A, ou son exercice, est subordonné au fait de posséder des connaissances et aptitudes générales, commerciales ou professionnelles, cet Etat membre reconnaît comme preuve suffisante de ces connaissances et aptitudes l'exercice préalable de l'activité considérée dans un autre Etat membre. Cet exercice doit avoir été effectué, lorsque l'activité est mentionnée à l'annexe A, première partie : 1) dans le cas d'activités figurant sur la liste I a) soit pendant six années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant d'entreprise ;

b) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant ou en qualité de dirigeant d'entreprise, lorsque le bénéficiaire prouve qu'il a reçu, pour l'activité en question, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'Etat ou jugée pleinement valable par un organisme professionnel compétent;

c) soit pendant trois années consécutives à titre indépendant lorsque le bénéficiaire peut prouver qu'il a exercé à titre salarié l'activité professionnelle en cause pendant cinq ans au moins ;

d) soit pendant cinq années consécutives dans des fonctions dirigeantes, dont un minimum de trois ans dans des fonctions techniques impliquant la responsabilité d'au moins un secteur de l'entreprise, lorsque le bénéficiaire prouve qu'il a reçu, pour l'activité en question, une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un certificat reconnu par l'Etat ou jugée comme pleinement valable par un organisme professionnel compétent. ( … ) Dans les cas visés aux points a) et c) ci-dessus, cette activité ne doit pas avoir pris fin depuis plus de dix ans à la date du dépôt de la demande prévue à l'article 8 ».

Il résulte d'un côté d'une attestation non datée délivrée par la Confédération de l'industrie portugaise de Lisbonne que … a exercé du 1er mars 1981 au 1er décembre 1994 des « activités pour compte propre » en construction civile : travaux publics, de crépissage, de couverture, de terrassement et de déblaiement.

L'article 8 de la directive 1999/42/CE dispose :

« La preuve que les conditions énoncées à l'article 4 sont remplies résulte d'une attestation, portant sur la nature et la durée de l'activité, délivrée par l'autorité ou l'organisme compétent de lÉtat membre d'origine ou de provenance, que le bénéficiaire doit présenter à l'appui de sa demande d'autorisation d'exercer la ou les activités en question dans lÉtat membre ».

S'il est vrai que l'autorité compétente de l'Etat membre d'accueil, saisie d'une demande d'autorisation d'exercer une profession sur la foi d'une attestation établie par l'autorité compétente de l'Etat membre de provenance est en principe liée par les constatations contenues dans l'attestation en question, il n'en reste pas moins que cette même autorité n'est pas tenue d'accorder automatiquement l'autorisation demandée lorsque l'attestation en question produite contient une inexactitude manifeste en ce qu'elle assure que la personne visée par la directive a accompli une période d'activité professionnelle dans l’Etat membre de provenance, s'il est constant qu'au cours de cette même période, cette personne a exercé des activités professionnelles sur le territoire de l’Etat membre d'accueil (cf CJCE 27 septembre 1989, Van Bijl, affaire n° 130/88).

En l'espèce, il ressort d'un certificat de résidence émis par l'administration communale de la Ville de Remich en date du 8 juin 2004 que l'intimé a résidé au Grand-Duché de Luxembourg, de manière ininterrompue, depuis le 26 septembre 1989, y arrivant par ailleurs en provenance de St. Raphael, situé en France.

Il résulte d'un autre côté d'un certificat d'affiliation établi le 18 juillet 2003 par le Centre commun de la sécurité sociale que … est affilié au Luxembourg en tant qu'ouvrier auprès de différentes entreprises de construction à partir du 1er avril 1989, cette affiliation présentant un caractère discontinu à certaines époques.

Il ressort des certificats qui précèdent que … était dans l'impossibilité d'exercer une profession à titre indépendant au Portugal pendant la période allant du 26 septembre 1989 au 8 juin 2004, date d'émission du dernier certificat de résidence, ceci d'autant plus que le Portugal constitue un pays très éloigné du Luxembourg, ce qui rend impossible l'exercice simultané d'une activité d'ouvrier auprès d'entreprises luxembourgeoises et de dirigeant d'une entreprise située au Portugal.

L'attestation produite par le demandeur contient partant une inexactitude manifeste et c'est partant à bon droit que le ministre des Classes moyennes et du Tourisme n'a pas pris en considération l'attestation en question en vue d'apprécier l'accomplissement des conditions de qualification professionnelle du demandeur.

Quant au moyen invoqué par … tiré de ce qu'il aurait exercé, à titre indépendant, l'activité d'entrepreneur en construction et bâtiment pendant au moins six années consécutives, il y a lieu de relever qu'en vertu de l'article 4, alinéa final de la directive 1999/42/CE précitée, « dans les cas visés aux litteras a) et c) ci-dessus, cette activité ne doit pas avoir pris fin depuis plus de 10 ans à la date du dépôt de la demande prévu à l'article 8 [de la directive] ».

Comme en l'espèce les périodes précitées ont pris fin depuis plus de dix ans à la date d'introduction de sa demande du 30 juin 2003 auprès du ministère des Classes moyennes et du Tourisme, … résidant de manière ininterrompue à Luxembourg depuis le 26 septembre 1989, ces périodes d'activité ne peuvent pas être prises en considération de sorte que le moyen y afférent est à rejeter.

L'argumentation d'après laquelle tout ressortissant communautaire aurait la possibilité de s'établir et d'offrir ses services dans tous les Etats de l'Union européenne et que les restrictions à cette liberté seraient interdites à moins d'être justifiées par des motifs légitimes et qu'en l'espèce il n'existerait aucune raison impérieuse d'intérêt général ni aucune menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société qui empêcherait … d'exercer une activité à titre d'indépendant au Grand-Duché de Luxembourg est à abjuger face au libellé clair de la loi précitée du 28 décembre 1988.

Le jugement du 24 mai 2004 ayant annulé les décisions litigieuses et renvoyé le dossier au ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement est partant à réformer.

Par ces motifs la Cour, statuant contradictoirement, sur le rapport de son conseiller, reçoit l'acte d'appel du 5 juillet 2004, le déclare également fondé par réformation du jugement entrepris, dit que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé la décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 12 septembre 2003 et de celle confirmative du 5 décembre 2003, intervenue sur recours gracieux, refusant l'autorisation d'établissement en tant qu'entrepreneur de construction à ….

rejette la demande d'une indemnité de procédure présentée par l'intimé ;

condamne … aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par Jean Mathias Goerens, vice-président Marc Feyereisen, conseiller, rapporteur Carlo Schockweiler, conseiller et lu par le vice-président Jean Mathias Goerens en l'audience publique au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête en présence du greffier de la Cour Anne-Marie Wiltzius.

le greffier le vice-président


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 18334C
Date de la décision : 14/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-14;18334c ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award