La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/12/2004 | LUXEMBOURG | N°18611

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 décembre 2004, 18611


Tribunal administratif N° 18611 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 août 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

================================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18611 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004 par Maître Olivier POOS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

M. …, né le … à Banga/Tumbukutu (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tenda...

Tribunal administratif N° 18611 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 août 2004 Audience publique du 13 décembre 2004

================================

Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

--------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 18611 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 août 2004 par Maître Olivier POOS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Banga/Tumbukutu (Libéria), de nationalité libérienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 26 juillet 2004 rejetant sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2004 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Olivier POOS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 7 avril 2003, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il fut encore entendu les 7 et 28 juillet 2003 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice l’informa par décision du 26 juillet 2004 que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés comme suit :

« Il ressort du rapport de Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Libéria pour vous rendre tout d’abord en Guinée, puis de ce pays vous seriez monté à bord d’un bateau grâce à l’aide d’un homme blanc, et vous seriez arrivé en Italie. Ensuite, vous auriez pris le train pour venir au Luxembourg.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez été attaqué un an environ avant la date de l’audition par trois rebelles, qui seraient passés par là. Ils auraient eu l’intention de vous tuer, cependant ils auraient ensuite changé d’avis, de sorte qu’après vous avoir battu, ils s’en seraient allés. Vous dites que ces personnes seraient des criminels qui volent et tuent sans raison. Vous pensez qu’ils se battraient peut-être contre le gouvernement. Environ un mois avant votre départ votre père aurait disparu, vous auriez alors commencé à avoir peur, la vie étant risquée au Libéria, les rebelles pourraient venir sans raison alors que vous vivriez dans les bois. Ainsi, ne vous sentant pas en sécurité, vous seriez parti en Guinée où vous auriez rencontré un blanc dans la rue qui vous aurait aidé en vous faisant monter à bord d’un bateau pour l’Italie. Par la suite, vous auriez donc pris un train pour venir au Luxembourg, un homme noir vous aurait dit qu’en Italie il n’y aurait pas d’asile, il vous aurait conseillé d’aller dans un autre pays.

Enfin, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Je vous rends attentif au fait que, pour invoquer l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, il faut une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par contre, selon l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile. » Je vous informe qu’une demande d’asile qui peut être déclarée manifestement infondée peut, a fortiori, être déclarée non fondée pour les mêmes motifs.

En effet, vos allégations à savoir que le pays ne serait pas sûr et que vous ne vous sentiriez pas en sécurité ne constituent pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève mais un sentiment général d’insécurité. De plus, votre demande d’asile repose principalement sur le fait que votre père aurait disparu et que vous seriez seul, or un tel fondement ne correspond à aucun des motifs de la prédite Convention.

Aussi, force est de constater qu’il n’est pas établi que votre père ait subi une quelconque persécution, vous déclarez à ce sujet ne pas savoir ce qui lui serait arrivé. De plus, les rebelles que vous qualifiez de criminels ne sauraient constituer des agents de persécution, d’ailleurs l’attaque dont vous auriez fait l’objet peut être qualifiée d’infraction de droit commun, donc non justifiée par une des raisons énumérées par la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’il convient de constater que la situation au Libéria s’est considérablement améliorée. Effectivement, non seulement le président Charles Taylor a été évincé pour laisser place à un gouvernement transitoire, mais de plus le conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution afin d’établir une vaste opération de maintien de la paix dans ce pays, notamment en déployant jusqu’à 15000 casques bleus et policiers, effectif qui sera atteint très prochainement, et dont sa mise en place a débuté le 1er octobre 2003. Une attention particulière est naturellement portée aux questions de sécurité, avec en l’occurrence l’observation du cessez-le-feu, le désarmement et la démobilisation des combattants des forces armées et de police. Néanmoins l’opération a également pour mandat de faciliter la délivrance de l’aide humanitaire, de contribuer à la protection des droits de l’homme et d’aider le gouvernement de transition à restaurer les structures de l’Etat.

Par ailleurs, selon nos renseignements vous avez quitté illégalement le territoire luxembourgeois pour vous rendre en France, par conséquent un tel comportement doit être considéré comme une omission flagrante de vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures d’asile.

Il convient de noter qu’auprès des autorités françaises, vous avez apporté comme nom celui de « DANSO Omar », de même qu’une autre date de naissance à savoir le 11 octobre 1985, il s’ensuit que de sérieux doutes doivent être émis au sujet de votre identité.

Aussi, concernant votre récit, il est tout de même peu convaincant que vous ne puissiez donner aucune indication sur le bateau que vous auriez pris, ni sur les endroits où vous auriez été en Guinée comme en Italie, ni sur les distances ou les durées des trajets.

Enfin dans un autre contexte, force est de constater que vous ne vous êtes pas rendu au Ministère de la Famille conformément à une convocation par lettre recommandée afin de subir un examen physique médical prévu en date du 18 juillet 2003 dans le but d’évaluer votre âge probable, un tel comportement doit être qualifié de refus de collaboration manifeste.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. Votre demande ne répond donc à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 26 août 2004, Monsieur … a introduit un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus prévisée du 26 juillet 2004.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

A l’appui de son recours, il soutient avoir été abordé par un groupe de rebelles qui auraient voulu le convaincre de rejoindre leurs rangs et comme il aurait refusé d’y donner suite, ils l’auraient « violemment frappé à coups de machettes et de couteau et abandonné dans la brousse » et que suite à cet incident, il n’aurait cessé de vivre dans la peur, ce pourquoi il se serait résigné à quitter son pays pour se réfugier en Europe. Il ajoute qu’à l’époque des faits et de son départ, son pays d’origine aurait été en pleine guerre civile et qu’il n’aurait pas pu solliciter et obtenir une aide des autorités policières ou judiciaires.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

L’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, précise que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

L’examen des déclarations faites par le demandeur lors de ses deux auditions, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que les actes de persécution allégués par le demandeur n’émanent pas de l’Etat, mais de rebelles. S’agissant ainsi d’actes émanant de certains groupements de la population, il y a lieu de relever qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités publiques pour l’un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile. En outre, la notion de protection de la part du pays d’origine de ses habitants contre des agissements de groupes de la population n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Pareillement, ce n’est pas la motivation d’un acte criminel qui est déterminante pour ériger une persécution commise par un tiers en un motif d’octroi du statut de réfugié, mais l’élément déterminant à cet égard réside dans l’encouragement ou la tolérance par les autorités en place, voire l’incapacité de celles-ci d’offrir une protection appropriée.

Or, en l’espèce, force est non seulement de constater que le demandeur reste en défaut d’établir que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics, qui étaient en place dans son pays d’origine au moment des faits incriminés, étaient incapables d’assurer un niveau de protection suffisant, étant relevé qu’il ressort des déclarations du demandeur telles que relatées dans le compte rendu des deux auditions, qu’il n’a pas recherché concrètement la protection des autorités en place, de sorte que les éléments du dossier ne permettent pas de conclure à l’existence d’une attitude générale de refus de protection des autorités compétentes susceptibles de sous-tendre utilement la demande d’asile sous examen, mais en outre, la situation générale régnant au Libéria a largement évolué depuis l’époque du départ du demandeur, étant donné que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté le 19 septembre 2003 une résolution en vue de la mise en place d’une opération de maintien de la paix en déployant des forces onusiennes sur place avec la mission notamment d’assurer la sécurité intérieure du pays et de soutenir la démobilisation et le désarmement des forces rebelles, qu’un cessez-le-feu a été décidé et qu’un gouvernement transitoire a été mis en place et au regard de cette évolution positive de la situation générale au Libéria et en l’absence d’éléments quelconques de nature à étayer un risque concret de recrudescence des violences, les faits mis en avant par le demandeur, tenant essentiellement à des actions de forces rebelles, ne sont plus de nature à fonder à l’heure actuelle une crainte justifiée de persécution.

Il résulte de tous les développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Campill, vice-président, M. Spielmann, juge, Mme Gillardin, juge, et lu à l’audience publique du 13 décembre 2004, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Campill 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 18611
Date de la décision : 13/12/2004

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2004-12-13;18611 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award